Article d’A. Coursan paru en trois parties dans Lutter !, n° 10, mars 1985, p. 19 ; n° 11, avril 1985, p. 19 ; n° 13, été 1985, p. 18-19
L’UTCL apporte son soutien actif au peuple kanak en lutte pour son indépendance. Ce n’est pas la dernière lutte de décolonisation, et ce n’est pas non plus la première.
En 1954 éclatait l’insurrection en Algérie. Les indépendantistes algériens ont pu compter dès le premier jour sur le soutien des communistes-libertaires d’alors, organisés dans la Fédération Communiste Libertaire (FCL). Le ministre de l’Intérieur de l’époque, François Mitterrand, n’a pas ménagé ses coups. Le premier militant ouvrier emprisonné pour son opposition à la guerre d’Algérie était un militant de la FCL.
Nous commençons une série d’articles avec des faits, des analyses, et la publication de documents introuvables, dont la reproduction d’exemplaires de l’hebdomadaire de la FCL, « Le Libertaire », saisis par l’État français.
Les faits :
Le 1er novembre 1954, les révolutionnaires algériens prennent les armes. Plus exactement, l’insurrection est déclenchée par le CRUA (Comité Révolutionnaire d’Unité et d’Action) composé de jeunes militants convaincus de l’impérieuse nécessité de la lutte armée, et ayant perdu toute illusion sur la valeur de la politique nationaliste conduite jusqu’ici par des « chefs ».
En France, c’est le gouvernement Mendès-France, avec François Mitterrand comme ministre de l’Intérieur. Celui-ci proclame le 7 novembre : « l’Algérie, c’est la France ».
La gauche anti-colonialiste réagira lentement. Le PCF, invoquant abusivement Lénine, condamne « le recours à des actes individuels ».
Seules deux organisations prennent immédiatement position en faveur de l’insurrection et contre la répression : le PCI (Parti Communiste Internationaliste), trotskiste, et surtout, dès le premier jour, la FCL (Fédération Communiste Libertaire).
Après le tremblement de terre d’Orléansville, l’éditorial du « Libertaire » – l’hebdomadaire de la FCL – avait le 23 septembre stigmatisé la démagogie hypocrite des Mendès et Mitterrand s’extasiant sur le « calme » qui régnait en Algérie.
Le n° 403 du « Libertaire », daté du 4 novembre, titre : « L’Afrique du Nord : un même peuple en lutte contre l’impérialisme assassin », liant les événements d’Algérie aux mouvements qui se poursuivent au Maroc et en Tunisie.
Le n° 404 du 11 novembre s’ouvre par une énorme manchette : « Les travailleurs algériens veulent en finir avec 125 ans d’exploitation. Exigeons le retrait du contingent et des troupes. » Ce même numéro publie une déclaration du MLNA (Mouvement Libertaire Nord-Africain) qui a adhéré récemment à I’ICL (embryon de l’Internationale Communiste Libertaire) aux côtés de la FCL.
L’éditorial titre : « Vive l’Algérie Libre. »
Répression contre la Fédération Communiste Libertaire
Dans la nuit du mercredi 10 au jeudi 11 novembre, une affiche de grand format éditée par la FCL le 9 a été massivement placardée sur les murs de Paris. Son titre : Vive l’Algérie libre.
Des militants ont été arrêtés alors qu’ils collaient cette affiche. L’affiche est saisie, « Le Libertaire » n° 404 également, au sortir des presses, et par surcroît, pour les numéros déjà routés, dans les postes et les gares et au siège de la FCL.
Les perquisitions se multiplient, au domicile des militants et dans les locaux du « Libertaire ». La brigade criminelle arrête les responsables, Georges Fontenis et Robert Joulin, qui sont inculpés « d’atteinte à la sûreté extérieure de l’État ».
« Le Libertaire » n° 405 du 18 novembre rend compte des faits et titre : « Le Lib saisi parce qu’il disait la vérité. Nous ne nous tairons pas ! », et publie un message de Daniel Guérin et le témoignage de solidarité du poète Armand Robin, militant libertaire, qui cloue au pilori un certain François Mitterrand (1).
La lutte de la FCL, assortie de saisies, d’interdictions et de poursuites contre les militants du secrétariat national de la FCL, se poursuivra jusqu’à l’épuisement financier, en juillet 1956.
Entre le 11 novembre 1954 et juillet 56, le « Libertaire » fut saisi sept fois et tous les numéros ont été poursuivis : plus de 200 inculpations au total (atteinte à la sûreté intérieure et extérieure de l’État ; atteinte au moral de l’armée ; injures et diffamation publiques envers les armées ; injures et diffamation publiques envers les CRS, envers Soustelle, envers Bourgès-Maunaury, etc. ; provocations de militaires et désobéissance, à la révolte ; apologie des crimes, de meurtres, vol, incendie, etc.).
Cela se concrétisait par 26 mois de prison pour les responsables : R. Caron ; R. Joulin ; G. Fontenis ; P. Philippe ; M. Dormet, et par un total de trois millions d’amendes.
Le camarade Pierre Morain, libéré après un an de prison ferme, était de nouveau poursuivi pour « atteinte à la sûreté extérieure de l’État ». Il avait été le premier militant ouvrier français emprisonné pour sa lutte contre la guerre d’Algérie. C’était un militant de la FCL.
A. Coursan
(A suivre)
(1) Nous publierons cet article dans le prochain numéro de « LUTTER ! ».
Nous reviendrons dans la suite de cette série d’articles sur les positions de la FCL face aux mouvements algériens, et sur les débats qui opposaient les libertaires (la Fédération Anarchiste d’alors refusait de prendre partie dans le conflit au nom d’un certain « purisme » : le « Monde Libertaire » était vendu dans les kiosques d’Alger, tandis que les militants de la Fédération Communiste Libertaire subissaient la répression). Pour plus d’informations sur la FCL, se reporter au « Manifeste » de la FCL
Commandes à l’adresse du journal. 25 F.
(2ème partie)
Le soutien des Communistes Libertaires aux luttes contre le colonialisme français, qui s’illustre actuellement par notre soutien au peuple kanak, n’est pas nouveau.
Dans le dernier numéro de « LUTTER ! » nous évoquions l’engagement immédiat de la Fédération Communiste Libertaire en solidarité avec les insurgés algériens de 1954.
L’auteur revient ici sur les motivations politiques de la FCL contrastant avec le non-engagement des anarchistes traditionnels, « synthétistes », de l’époque.
Les choix politiques
La position prise par la FCL n’était ni nouvelle, ni imposée comme certains l’ont laissé entendre, par une direction bureaucratique.
Il ne faut pas oublier que la guerre d’Indochine, la première, celle conduite par la France, venait de se terminer depuis l’armistice du 20 juillet 54. La Fédération Anarchiste (celle de 1945, qui devait se transformer en Fédération communiste libertaire en 1954), puis la FCL, avaient fait la démonstration de leur anticolonialisme militant : sans remonter très loin, citons la manchette du Libertaire du 22 avril 1954 (n° 388) : « Guerre de classe en Indochine comme en Espagne en 36 ». L’action contre l’envoi du contingent en Indochine, après Dien Bien Phu, était menée, accompagnée de la condamnation de la politique équivoque du PCF et des Jules Moch et Daladier. Cette action entraîne la sortie d’un numéro spécial le 4 juin 1954.
Une page-affiche dans le numéro du 15 juillet dénonce les illusions sur la politique Mendès-France et montre que « chaque victoire du prolétariat des colonies est une victoire du prolétariat français contre ses exploiteurs ».
En vérité, depuis sa dénonciation des massacres de Sétif, en 1945, jamais l’organisation n’avait mis en veilleuse la lutte anticolonialiste, qu’il s’agisse de Madagascar, du Maroc, de la Tunisie.
Et pourtant, la résolution sur le colonialisme au congrès de fondation de décembre 45 était loin d’être suffisante. Elle s’élevait contre « les méthodes colonialistes » mais l’analyse de classe manquait et on se contentait de se « méfier des dirigeants des révoltés coloniaux ». Synthèse oblige : il fallait ne mécontenter personne et rester dans le flou. Par contre, le 8ème congrès, celui de 1953, qui allait voir se constituer la Fédération Communiste Libertaire, lançait la notion de « soutien critique » qui allait éclairer notre participation aux luttes des peuples jusqu’à l’étranglement de cette FCL (1).
Le non-engagement d’anarchistes traditionnels
La nouvelle FA de 56, composée des tenants du synthétisme et renforcée d’éléments surtout individualistes et d’esprit franc-maçon, éléments qui n’avaient pas voulu s’organiser jusqu’alors (mais comment ne pas s’engager auprès des pseudo-organisateurs qui allaient combattre la FCL ?), allait faire la preuve de l’inanité de la pensée « anar » traditionnelle sur le problème du colonialisme. Le « purisme », rejetant toute tentative d’analyse de l’impérialisme, allait renvoyer dos à dos le nationalisme des colonisateurs et la révolte des opprimés coloniaux revêtant effectivement au moins pendant un temps un aspect nationaliste (2)
On reste confondu devant ce parti-pris de retrait par des gens qui acceptaient le difficile travail dans des syndicats bureaucratiques et surtout dans l’équivoque FO. Et s’il s’agissait d’événements révolutionnaires majeurs ? On peut toujours trouver une mauvaise raison de s’esquiver sous le prétexte que l’événement et ceux qui le portent ne sont pas strictement anarchistes… Mais alors, objectivement, on se situe dans l’autre camp, celui des exploiteurs, des oppresseurs.
A quoi pouvait conduire en 54-56 cette sorte de minable « purisme » ? A l’absence totale au sein des luttes réelles : le nouveau journal de la nouvelle FA, « le Monde Libertaire » était vendu dans les kiosques d’Alger pendant que les camarades de la FCL subissaient la répression mais restaient en contact avec les militants révolutionnaires algériens.
A. Coursan
(suite et fin dans le prochain « LUTTER ! »)
(1) Faut-il rappeler cette sortie d’un juge d’instruction à un camarade poursuivi : « avec les saisies, les condamnations, les amendes, on vous aura au fric » ?
(2) Citons quelques articles de la FA d’alors : « (l’indépendance des pays d’Afrique du Nord) serait une rétrogradation évidente sur le plan de la culture et des meurs. » (Prunier). « L’Algérie aurait tout à perdre de faire sa sécession. » (C.A. Barbe).
LE SORT ATTRISTANT DE FRANÇOIS MITTERRAND
(Le Libertaire n° 405, 18 novembre 1954)
par Armand Robin
Notre camarade le poète Armand Robin est venu spontanément nous apporter le témoignage de sa solidarité. On lira ici ce que lui a inspiré l’attitude du premier flic de France (*).
« Le malheur atteint promptement quiconque trahit le sort commun pour se mettre hors la loi, c’est-à-dire pour entrer dans les gangs de gouvernants. Le goût du pouvoir est le signe d’une révolte contre l’ordre naturel des choses : chercher à commander, c’est être subversif.
Voyez où en est François Mitterrand ; il est en train d’attraper la renommée d’un Gallifet. Ce qui lui arrive avec les affaires d’Algérie est ce que son pire ennemi n’aurait jamais osé souhaiter contre lui. Ministre de l’Intérieur, il est notre adversaire. Mais c’est de l’homme intelligent qu’il fût que nous tiendrons compte ici.
Oui ! Il était loin d’être un sot mais une ambition dévorante l’a dévoré. Le voici engrené et gangrené. La fréquentation d’un certain nombre de têtes vides, genre « politiciens de gauche », l’a achevé. Pour « réussir » il a pris appui sur le vent ; de son esprit à lui, rien ne lui reste. Il fallait le voir, oiseau déplumé, passant à la télévision à son retour d’Orléansville, empêtré, lui officiellement sémillant, en la plus embarrassée des déclarations.
Puis ce sont les Algériens qui se soulèvent… Les hommes après le sol ! Alors on perquisitionne au 145 quai Valmy, dans le local du « Libertaire » : c’est plus facile à réaliser que le massif de l’Aurès.
C’est toujours un grand sujet d’étonnement que de voir un homme d’esprit se mettre de la police. Ce métier est maudit : il faut prier très fort pour quiconque se jette dans cet enfer. Dans le cas de Mitterrand, il est plus que probable qu’il y eut un instant de très grande faiblesse mentale à l’origine du mouvement qui l’introduisit à accepter cette perdition.
Nous sommes prêts à admettre les excuses que font valoir ses amis non policiers. Julien Sorel, 1954, ne veut plus être condamné mais condamner. François Mitterrand avait escompté que, ministre de l’Intérieur, il s’amuserait en ce curieux état. Lui qui n’aime que les femmes et que les femmes aiment, il aurait estimé fort humoristique la besogne de couvrir d’un pudique voile les inélégants gloussements amoureux de Wybot, Dubois, Stéphane, et autres flics de haute volée… Enfin un certain besoin de bonapartisme est satisfait en lui…
Hélas ! Même regarder la mâchoire du crocodile est funeste, dit le proverbe arabe. François Mitterrand a mis la tête entière entre des dents avides de lui.
Parmi des milieux soi-disant « progressistes » (2), somnambule balloté de rêve en rêve par les capitalistes, François Mitterrand est menacé de se réveiller changé en massacreur de prolétaires, en réactionnaire sanglant pour l’éternité. »
(*) Le Libertaire n° 404 du 11 novembre avait été saisi. La « une » est reproduite dans le dernier numéro de « LUTTER ! ».
(suite et fin)
L’INSURRECTION ET LES ORGANISATIONS NATIONALISTES
Pour de nombreux camarades, l’insurrection algérienne a connu deux pôles organisationnels, le MNA et le FLN qui se sont livrés à une lutte fratricide féroce, les anticolonialistes se ralliant soit au MNA, soit au FLN selon leurs affinités.
C’est considérablement plus compliqué. Nous ne pouvons dans le cadre de ces courts articles exposer en détail ce que furent les organisations nationalistes. Il faut lire, à ce propos, le livre de Daniel Guérin : « Quand l’Algérie s’insurgeait », paru en 1979 à « La pensée sauvage ». Mais nous nous devons au moins d’apporter à ce problème quelque clarté.
La plus ancienne organisation nationaliste est l’Étoile Nord-Africaine fondée en 1926 et animée par un jeune militant révolutionnaire, Messali Hadj. Cette organisation a une base essentiellement ouvrière ; très proche du PC, elle s’en sépare rapidement, du fait de sa coloration nationaliste opposée alors à l’internationalisme violent du PC de l’époque.
L’Étoile Nord-Africaine, dissoute par le gouvernement du Front Populaire, se reconstitue sous le nom de Parti du Peuple Algérien. Messali est alors assigné à résidence pendant que le Parti Communiste Algérien et le PCF se déchaînent contre le PPA qualifié de « fasciste ».
Fin 46, peu avant les élections à l’Assemblée Nationale française, le PPA prend l’étiquette rassurante de Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques ou MTLD. Messali, de nouveau arrêté en mai 52 à la suite d’une manifestation à Orléansville qui a fait deux morts, est assigné à résidence à Niort.
Pendant que mûrissent les préparatifs de l’insurrection, notamment avec le retour des militaires algériens d’une armée française battue en Indochine, des divergences se font jour à l’intérieur du PPA-MTLD.
Aux élections de janvier-février 54 à l’Assemblée Algérienne, et pour la première fois, le MTLD et Messali rompent avec le parlementarisme et obtiennent l’abstention massive des Musulmans.
Les gouverneurs français encouragent et organisent des élections préfabriquées et la crise interne du MTLD va prendre de l’ampleur : au congrès d’avril 53, un nouveau Comité Central a été élu partisan de la collaboration, mais Messali reste président. Le nouveau Comité Central coupe court aux réactions de Messali et il faut attendre 1954 pour que les « centralistes » donnent pouvoir à Messali pour organiser un congrès ; mais la ligne dure de Messali aboutit à une sorte de scission : messalistes et centralistes. Le congrès a lieu en Belgique (aucune salle n’a été obtenue en France, même dans les municipalités communistes). C’est la rupture, les militants les plus exigeants se retrouvent derrière Messali qui préconise l’agitation et une action clandestine révolutionnaire, mais qui se laisse emprisonné dans ce qu’il considère comme prioritaire : « nettoyer » le parti.
Aussi des activistes se détachent de lui et se regroupent en mars 54 dans le CRUA (Comité Révolutionnaire d’Unité et d’Action) dont un des éléments les plus marquants est Mohamed Boudiaf. Curieusement (mais aussi sous l’influence de Nasser), les militants du CRUA vont ménager les centralistes selon eux « compétents », « réalistes ».
C’est le 25 juillet 54 qu’est prise la décision de déclencher l’insurrection. Messali est indirectement informé. Le 20 septembre, François Mitterrand, ministre de l’Intérieur, a assigné Messali en résidence forcée aux Sables d’Olonne. Et c’est à son insu que se déclenche l’insurrection de la Toussaint.
Les auteurs de l’insurrection, jeunes révolutionnaires dont la force est dans les petits centres et non dans les villes où la crise oppose centralistes et messalistes, précisent dans une proclamation qu’ils sont « indépendants des deux clans qui se disputent le pouvoir ».
Messali ne condamne pas l’insurrection, mais il y voit une atteinte contre son prestige et ses réactions sont flottantes.
Le 5 novembre, le gouvernement Mendès-France dissout le MTLD. Il se reconstitue sous le nom de Mouvement National Algérien, MNA.
En Égypte se constitue un comité regroupant toutes les personnalités algériennes pour la défense de la révolution, le Front National de Libération. Ce comité regroupe des centralistes, des éléments bourgeois, religieux (l’Association des Oulémas) et l’UDMA réformiste de Ferhat Abbas. Messali sera écarté, ayant voulu se poser en chef historique et unique. Après ce premier essai, c’est à Alger que se constitue le FLN.
Dans les masses algériennes le ralliement au FLN, appuyé par le Caire et sa radio : « La voix des Arabes », se fait mais lentement, et le MNA ira en s’affaiblissant.
En fait, les différences ne sont pas claires, elles ne sont pas programmatiques mais à base de sectarisme, et elles sont malheureusement reprises et amplifiées par les anticolonialistes français à de rares exceptions près (Pierre Stibbe, Daniel Guérin, Jacques Danos, les militants de la FCL notamment). Francis Jeanson sera fanatiquement FLN, ainsi que les trotskistes regroupés derrière Pierre Franck, les trotskistes lambertistes ultra-messalistes.
Jusqu’en 1956, en réalité, on est mal informé en France de l’état d’esprit des insurgés de la base. Les cadres se réclamant du FLN sont quelques centaines, et les travail leurs algériens en France restent pour beaucoup derrière le MNA. C’est surtout à partir du congrès de la Soummam pendant l’été 56, que beaucoup de militants du MNA se rallieront au FLN. Le congrès de la vallée de la Soummam marque pourtant une marche vers un nationalisme extrême et évite les préoccupations sociales plus révolutionnaires.
Mais longtemps encore, des unités MNA et FLN existeront dans le même cadre de l’Armée de Libération Nationale, l’ALN.
L’ATTITUDE ET L’ACTIVITÉ DE LA F.C.L.
Se gardant de tout sectarisme, grâce à sa position de « soutien critique », la FCL soutient les luttes du peuple algérien et de l’ALN sans cautionner telle ou telle faction et sans occulter les insuffisances des conceptions révolutionnaires des organisations algériennes.
Mais il faut bien tenir compte des faits. C’est la raison pour laquelle la FCL au départ soutient le MNA sans approuver l’attitude du PCI (trotskistes tendance Lambert) qui s’efforce de monopoliser les relations avec le MNA. Non sans mal, Georges Fontenis pourra rencontrer Messali Hadj à Angoulême (résidence forcée depuis le printemps 1955). Des relations précises existeront avec des responsables MNA, des équipements seront fournis pour des unités MNA de l’ALN.
Mais le MNA allant en s’effaçant, les militants de la FCL se rapprocheront naturellement du FLN auquel ils rendront des services du même ordre sans jamais approuver les tueries sanguinaires dans lesquelles les militants des deux organisations vont se complaire. Il y a mieux à faire : les élections de janvier 56 ont porté au pouvoir le « Front Républicain ». Guy Mollet fait voter par l’Assemblée Nationale les « pouvoirs spéciaux » avec l’appoint des voix des députés du PCF ! Lacoste, gouverneur de l’Algérie, socialiste, va renforcer la répression. On envoie en Algérie le contingent de 53 ; puis celui de 52, rappelé, et il y aura bientôt 500 000 soldats français en Algérie.
La campagne contre l’envoi du contingent prend de l’ampleur : manifestations dans les gares, trains bloqués ; des maquis d’appelés se constituent. Une atmosphère quasi-insurrectionnelle s’étend dans le pays.
C’est au cours de cet été 56 que le « Libertaire » devra cesser de paraître et que la FCL passera à la clandestinité, gardant difficilement ses liaisons à chaque instant reconstituées, quatre de ses militants responsables poursuivis et en fuite. Un noyau de camarades constitue alors le mouvement clandestin : « la Volonté du Peuple », qui continue le combat : appui aux Algériens en lutte et organisation des jeunes soldats refusant de partir en Algérie.
L’action en représailles contre le siège du mouvement fasciste de Poujade, rue Biomet, action mal préparée et peut-être piégée, permettra encore à la police d’arrêter plusieurs camarades. Les liaisons sont une fois de plus reconstituées, des tracts sont diffusés.
Mais la lutte s’épuise ; la répression l’emporte, les mouvements de résistance des jeunes du contingent s’étiolent. En juillet 57, après un an de « cavale », les membres du noyau responsable poursuivis depuis septembre 56 sont arrêtés par la DST les unes après les autres.
Après leur sortie de prison, les réunions qui peuvent se tenir concluent à la nécessité de passer à une autre forme de militantisme.
Les groupes d’études se retrouvent, qui avaient au cours de l’année de clandestinité édité plusieurs numéros d’une revue ronéotypée : « Les cahiers de Critique Sociale ». Des militants ont, entre temps, pris contact avec l’UGS (Union de la Gauche Socialiste, qui ira se fondre dans la création du PSU) ou avec des noyaux oppositionnels du PCF. C’est ainsi que beaucoup de ceux-ci iront renforcer l’opposition qui édite « La Voie Communiste ».
Dans ces nouveaux cadres militants, les camarades de la FCL poursuivent leur combat anticolonialiste. Ils retrouvent dans les « réseaux » des possibilités de lutte et y apportent leur expérience. Dans ces activités de réseau se sont retrouvés également les Communistes Libertaires qui avaient antérieurement quitté la FCL pour fonder les GAAR (qui donneront naissance à « Noir et Rouge » et à l’UGAC, qui sera à l’origine de Tribune Anarchiste Communiste (TAC) dont les militants participent actuellement à la Fédération pour une Gauche Alternative). Signalons à ce propos l’activité constante et courageuse du groupement animé par Guy Bourgeois, en relation avec les militants de Genève. Rappelons aussi l’épisode mémorable de l’évasion parfaitement réussie des militantes algériennes emprisonnées à la Roquette.
LA LUTTE ANTICOLONIALISTE ET LA CRITIQUE RÉVOLUTIONNAIRE
L’Algérie s’achemine vers l’indépendance. Le 19 août 1958 s’est constitué au Caire le GPRA (Gouvernement Provisoire de la République Algérienne) avec à sa tête le réformiste de toujours, Ferhat Abbas. Les rivalités au sein du FLN vont s’accentuer, et avec l’indépendance bien des espoirs des révolutionnaires vont être déçus. La bureaucratisation et la militarisation iront en s’accentuant, plus ou moins camouflées par des nationalisations et des pseudo-coopératives. Par ailleurs, il est vrai, se constitue une avant-garde ouvrière et paysanne en marche vers une prise de conscience révolutionnaire, en dépit des mesures caporalistes prises par le gouvernement algérien de Ben Bella (cela ne fera que s’empirer avec Boumédienne), assorties d’un appui aux forces islamiques traditionalistes.
La manière aussi dont est conduit le FLN inquiète ceux qui ont tant donné à la cause de l’Algérie indépendante. On peut d’ailleurs estimer que la FCL a parfois mis en sourdine l’aspect « critique » de son soutien, emportée par l’action et l’atmosphère généra le qui règne dans le camp anti-colonialiste. Mais les faits vont amener les militants à se ressaisir.
Une opposition naît à la fois au sein du FLN, et à partir de septembre 1962 se crée un « Parti de la Révolution Socialiste » qui sera mis hors la loi. Un opposant prestigieux, Mohamed Boudiaf, doit fuir et prendre contact avec les militants de la Voie Communiste. Le journal « La Voie Communiste » d’octobre 62 titre sur la largeur de deux pages : « Algérie : régression ou révolution ? ».
C’est ainsi que le soutien critique devient de plus en plus critique. La lutte anticolonialiste des Communistes Libertaires va s’achever en ce qui concerne l’Algérie, ayant illustré de novembre 1954 à novembre 1962, pendant 8 ans, ce qui est l’effort de la lucidité révolutionnaire : participer aux luttes de libération nationale dans le cadre du combat général contre l’impérialisme, en s’opposant à sa propre bourgeoisie ; participation sans faille et sans arrière-pensée, mais sans pour autant oublier le but plus lointain de la révolution socialiste autogestionnaire.
Position difficile conclurons-nous, mais il n’y en a pas d’autre, sinon de se retirer de tout combat réel au profit d’un purisme artificiel, qui finalement est un abandon de la lutte sociale révolutionnaire.
A. Coursan
(*) Les camarades de l’ex-FCL maintiennent entre eux une liaison, « Action Communiste ».
« Les Communistes Libertaires et la guerre d’Algérie ». La série d’articles est rassemblée dans une plaquette accompagnée de nombreux fac-similés du « Libertaire » de l’époque. 15 F. Commande à adresser au journal.