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Nicolas : Les racines de la domination

Article de Nicolas paru dans La Lanterne noire, n° 10, mars 1978, p. 10-16


« La femme prolétaire est celle qui travaille pour le compte d’un maître quelconque. Que le maître se nomme Etat, corporation société par actions, fabricant, patron ou mari, n’importe ! »

L’Exploitée. n°8. Déc. 1907

« Nous avons vu arriver une bande, à la tête de laquelle il y avait
une femme avec un drapeau noir ; arrivée devant chez nous, elle a frappé la terre avec son drapeau, quelqu’un a dit Allez ! On a envahi la maison et tout a été pillé ».

Procès à Louise Michel. Cour d’Assises de la Seine 1883

« Tout comme le salon-bains où l’accueille l’une des douze ravissantes jeunes femmes, venues de tous les coins du monde. En plus de leur beauté, elles ont un point commun : leur art de pratiquer la douceur dans les nuances ».

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« Elle sera celle qui tortille des hanches, qui offre son cul, qui vous jette son sexe à la figure »

A propos d’une star.

« L’émancipation de la femme de tout travail autre que domestique »

Congrès Ouvrier. 1871

Prolétaire ou sorcière, mère ou putain, femme objet, mère ou putain, l’exploitation de la femme dans le cadre du système capitaliste montre à l’évidence qu’il y a une dimension de cette exploitation qui dépasse le capitalisme, qui plonge ses racines dans un sol plus profond, là où se tisse la trame des institutions, des mythes et des phantasmes qui reproduisent inlassablement au fil de l’histoire les relations de domination-soumission. Structure de la domination qui instaure le lien profond entre la définition patriarchale de la société et la lutte de classes dans une société hiérarchisée.

L’opposition homme/femme double la société de classes. Cependant, les désirs et les besoins de « la femme » sont déterminés par l’appartenance à une classe. De même que l’appartenance à une classe sociale déterminé des possibilités différentes pour les hommes ou pour les femmes.

Les anarchistes luttent pour l’abolition de la propriété privée, du
salariat et de l’Etat, contre toute autorité, pour la libre détermination de l’individu ou du groupe, au sein d’une société non répressive.

Qu’est-ce que ressent alors un militant anarchiste quand il est accusé d’être un exploiteur, un patron, et ceci d’une façon radicale, de par
son appartenance à une cathégorie sexuelle ? Et qu’est-ce qu’il ressent
alors quand il se rend compte que l’accusation est vraie ? En plus d’un
profond malaise, l’envie de modifier la situation, de sortir d’une position non désirée consciemment ; l’insertion inconsciente dans la structure de la domination, voilà le problème !

La prise de conscience féminine de l’exploitation et la lutte pour la libération des femmes, a pour conséquence la nécessité pour les hommes voulant la Révolution, de prendre conscience à leur tour, de leur participation dans le système qu’ils veulent détruire !

Lorsque le mouvement féministe cessa d’être réformiste et de demander l’égalité avec l’homme, à l’intérieur du système hiérarchique de classes, et qu’il posa, d’une façon radicale, la question de la position de la femme par rapport à tout le système autoritaire-patriarchal, alors, le potentiel révolutionnaire de ce mouvement devînt une force subversive.

Mais nous nous trouvons encore une fois devant le type de problème
qui n’admet pas une solution volontariste, au niveau individuel. Nous savons tous par la propre expérience et par celle de notre voisin comment les meilleures intentions naufragent aussi bien dans le couple, que dans le groupe, quand apparaissent consciemment tous les problèmes de la relation de domination-soumission à laquelle inconsciemment s’adaptent, tant bien que mal, les hommes et les femmes. Mais c’est précisément grâce à cette accumulation inconsciente que se perpétuent l’exploitation et la domination, et par conséquent, la totalité du système d’Etat.


En ce qui concerne l’anarchisme, deux constatations s’imposent d’emblée : premièrement, l’anarchisme en tant que théorie de la révolution contient implicite et explicitement l’idée de la libération de la femme.

Deuxièmement, la pratique historique à l’intérieur du mouvement anarchiste montre, au niveau des relations interpersonnelles, la même situation d’oppression de la femme qu’on trouve dans la société globale, la même misogynie. Pourquoi cette contradiction et quels sont les problèmes qu’elle pose ?

Il existe une certaine tendance, négligeable du point de vue du mouvement révolutionnaire mais diffusée dans certains milieux culturels, d’un anarchisme philosophique et libéral, pour ne pas dire libertaire, qui présente les idées comme permanentes et an-historique. Ainsi, la pulsion vers la liberté totale, la révolte contre la force et le pouvoir peuvent être repérés depuis l’antiquité classique ou les philosophes chinois de la période Ming. Ces idées sont entrées dans le prolétariat et on est nombreux à avoir écouté ces longues dissertations qui commençaient avec les philosophes grecs, continuaient avec les mystiques qui s’opposaient à l’hégémonie de l’Eglise au Moyen Age, suivaient avec la Révolution française, les « carbonari », etc. (1) Et, si bien il est intéressant de savoir comment le noyau dur de l’utopie perdure et se transmet à travers le temps, et d’évaluer l’importance de ce noyau dans le projet révolutionnaire, l’anarchisme, à mon avis, est autre chose.

Nous l’avons souvent répété, l’anarchisme en tant que mouvement social et en tant que théorie du changement révolutionnaire naît avec la scission de la Première Internationale ; la majorité de l’Association se plie aux positions antiautoritaires défendues par certaines fédérations régionales, tel que l’italienne ou l’espagnole ou celle du Jura, qui adoptent une claire définition anarchiste. C’est un mouvement collectif qui exprimera la position du prolétariat industriel de l’époque, position d’affrontement total au système établi, mais, ainsi que différents exemples historiques le montrent, elle peut être portée par couches ou classes sociales diverses.

Evidemment, les antécédents médiats et immédiats existent. Certains
éléments de l’anarchisme peuvent se retrouver dans les positions de Proudhon, dans Coeurderoy ou Dejacques. Plus loin, chez Godwin et Stirner. Plus près, chez Bakounine avant 1868. Mais nous ne pouvons pas parler d’anarchisme au sens plein du terme.

Cette précision est importante car sans aucun doute, d’un point de
vue humaniste, abstrait et individualiste, les « idées anarchistes », par
une logique nécessaire à leur propre cohérence, tendent vers la libération totale de la femme en tant qu’individu, qu’être humain.

Mais au niveau du mouvement tel qu’il s’est développé jusqu’à une époque récente, personne ne niera la rupture entre cet aspect de l’idéologie et la pratique sociale.

Tant que les affirmations resteront au niveau platonitien des idées, tant qu’on affirmera l’égalité des droits des individus sans distinction de classes ni de sexes et qu’on ne verra pas que les individus appartiennent à des groupes, à des classes, à des sexes différents et qu’on ne tiendra pas compte du rapport au pouvoir politique et à l’exploitation économique, ces affirmations resteront « idéologiques » sans intervenir ni modifier la « réalité » des pratiques sociales.

Cette rupture elle est évidente surtout au niveau des comportements plus personnels et intimes, dans la relation quotidienne homme/femme, lieu privilégié de l’exercice du pouvoir, dernier refuge de l’aliénation, de la mystification, élément fondamental de la reproduction des rapports de domination. Nous verrons pourquoi.

Mais avant, à l’origine du mouvement révolutionnaire moderne, le premier point sensible de la rupture idéologique, l’endroit où celle-ci devient évidente et contradictoire avec le projet, et, on pouvait s’y attendre, le marché du travail. L’exploitation capitaliste du début de l’industrialisation – lorsque le prolétariat urbain se constitue en tant que classe, processus qu’on peut situer en France vers 1830 – est violente et brutale : 14 et 16 heures par jour de travail sans aucune garantie de l’emploi.

Simultanément à l’introduction de la machine se développe un sous-prolétariat, les femmes et les enfants, avec un salaire inférieur à celui
des hommes.

Depuis le premier congrès de l’AIT (Genève 1866, 3/8 septembre) la
question du travail des fermes est débattue, mettant en évidence l’ambiguïté et la contradiction de la situation dans laquelle la plupart des hommes se trouvent par rapport à :

1) la concurrence réelle due à l’inclusion dans le marché du travail d’une main d’oeuvre sous-payée ;

2) la présence d’images, mythes, traditions, sur la sexualité et le corps de la femme, compagne de l’homme, mère de ses enfants, gardienne du feu sacré du foyer, justifications patriarchales de la prééminence de l’homme dans la tradition gréco-romaine et chrétienne ; mais restons ici pour l’instant.

3) La contradiction de cette subordination de la femme avec le contenu utopique, millénariste, de l’égalité de sexes et la libération de l’humanité.

Etant donné les conditions de vie de la classe ouvrière, nier à la femme les possibilités de travailler c’est la réduire exclusivement au domaine domestique ou à la prostitution. A l’harem ou au gynécée. Varlin, par
exemple, membre de la minorité de la délégation française à Genève, a conscience du problème et l’exposera pendant le congrès. La seule résolution du congrès sera que les femmes soient exclues de n’importe quel travail de nuit et de toute sorte de travail où la pudeur serait blessée et où leur corps serait exposé à des poisons ou à d’autres agents déléters ». (2)

L’année d’après, Varlin exposera sa position, fermement liée à la réalité sociale, au sein de la Société de Crédit mutuel des Relieurs (1867).

« La femme doit travailler et être rétribuée pour son travail. Ceux qui veulent lui refuser le droit au travail veulent la mettre toujours sous la dépendance de l’homme. Nul n’a le droit de lui refuser le seul moyen d’être véritablement libre. Elle doit se suffire à elle-même, et comme ses besoins sont aussi grands que les nôtres, elle doit être rétribuée comme nous-mêmes. Que le travail soit fait par un homme, qu’il soit fait par une femme, même produit, même salaire. Par ce moyen, la femme ne fera pas baisser le salaire de l’homme et son travail la fera libre » (3).

Cette ligne continuera à s’exprimer dans l’aile antiautoritaire et
dans le mouvement anarchiste. La Fédération Régionale Espagnole de l’Association Internationale des Travailleurs, au Congrès de Saragosse (1872) approuva la proposition suivante que modifiait une antérieure proposition du Congrès de Barcelone, concernant « l’émancipation de la femme de tout travail autre que domestique » :

DE LA FEMME « A notre avis, cette proposition est issue d’une préoccupation ; elle est inspirée dans un sentimentalisme traditionnel qui doit disparaître… Ceux que veulent émanciper la femme du travail, pour qu’elle se consacre exclusivement au foyer, à la garde de la famille, supposent qu’elle n’a pas d’autre mission, en affirmant qu’elle a pour
cela des facultés spéciales qui sont contrariées quand on l’écarte de ce
qu’ils appellent son centre.

Ceux qui affirment cela supposent que l’actuelle constitution de la famille est immuable… Mais les faits (montrent) que, lorsqu’on varie les conditions économiques des sociétés, surtout la forme de la propriété, les institutions sociales varient aussi (…)

La femme est un être libre et intelligent, et, comme tel, responsable de ses actes, ainsi que l’homme ; donc, si c’est ainsi, ce qu’il faut c’est la mettre en condition de liberté pour qu’elle se développe selon ses facultés. Or, si nous limitons la femme exclusivement aux taches domestiques, c’est la soumettre, comme jusqu’à présent, à la dépendance de l’homme, et, en conséquence, la priver de sa liberté » (4).

Plus tard, le Congrès Ouvrier de France (1876), qui n’est pas dans la
ligne antiautoritaire, est en retard lorsqu’il déclare que « Tout en reconnaissant le droit au travail pour la femme, nous voudrions qu’elle ne fît rien en dehors du foyer ».

Vingt ans plus tard et dans un autre continent, aux origines du mouvement ouvrier révolutionnaire, la revendication féministe réapparaît d’une façon plus radicale. En Argentine, un groupe de femmes organise un groupe féministe anarcho-communiste, lequel publie un journal « La voz de la mujer ». Dans le premier numéro, en 1896, on critique les hommes anarchistes qui sont très révolutionnaires dans les Sociétés de Résistance mais qui oppriment les femmes chez eux.

Ces exemples, choisis au hasard montrent comment, malgré le climat et les hésitations propres à un mouvement qui, étant donné les conditions mêmes de la structure sociale qu’il combattait, était composé par une majorité d’hommes, l’idée de l’émancipation de la femme était présente et ses effets immédiats se voyaient à travers les positions du mouvement ouvrier organisé de tendance anarchiste.

Néanmoins les rapports de domination homme/femme ne changèrent pas à l’intérieur du mouvement révolutionnaire, au niveau des relations interpersonnelles.


Comme nous le disions au début de cet article, la position de la femme
dans la structure de la domination va plus loin et d’une certaine façon
est sous-jacente à l’exploitation du travail salarié dans le système capitaliste et étatique.

Bakounine, qui était bien placé pour théoriser les aspects proprement
anarchistes du courant révolutionnaire, au moment de la scission de l’Internationale, montre certaines intuitions fondamentales.

Dans une note en bas de page de sa Lettre aux rédacteurs du Prolétaire Italien, en 1871, il écrit :

« Nous sommes aussi les adversaires de l’autorité patriarchale et juridique des maris sur les femmes, des parents sur les enfants ; parce que l’histoire nous apprend que le despotisme dans la famille est le germe du despotisme dans l’Etat » (5).

Et quelques deux ans plus tard, une fois consumée la scission de l’Internationale, dans l’appendice à Étatisme et Anarchie (1873) (6), Bakounine revient sur le thème de l’état patriarchal du peuple « mal historique, le plus grand de tous ».

Bakounine parle du peuple russe et il pense que personne peut lui donner de l’extérieur ni idéaux ni conseils, la passion révolutionnaire est dans le peuple lui-même.

Mais « l’idéal du peuple russe est obscurci par trois autres traits qui en dénaturent le caractère et en compliquent à l’extrême, en la retardant, la réalisation. « Ces trois traits sont : 1. l’état patriarchal ; 2. l’absorption de l’individu par le mir ; 3. la confiance dans le tzar. Et il ajoute : « les deux derniers… sont pour ainsi dire les effets naturels du premier ». Et encore : « Le despotisme du mari, du père, et ensuite du frère aîné a fait de la famille, déjà immorale par son fondement juridico-économique, l’école de la violence et de la bêtise triomphantes, de la lâcheté et de la perversion quotidiennes au foyer domestique ». (…) « Il se conduira chez lui en despote absolu, mais il sera le domestique du ‘mir’ et l’esclave du tzar ».

A mon avis, l’importance de ces paragraphes de Bakounine est dans la
relation qu’ils établissent entre ce que nous appellerions la matrice émotionnelle de la « famille » et la domination de l’Etat.

C’est à dire que dans la société il existe une certaine circularité de la reproduction de la domination grâce à laquelle les institutions–sociales répressives et les relations-interpersonnelles se reconnaissent mutuellement au niveau des relations de pouvoir. Hommes et femmes appartiennent à une même société et ils l’ont intériorisé, pour ainsi dire. Cette société est hiérarchique et répressive.

« Pour se révolter contre cette influence que la société exerce naturellement sur lui, l’homme doit se révolter au moins en partie contre lui-même » (Bakounine).

Car l’autorité de l’Etat s’appuie sur des institutions archaïques qui articulent chaque désir personnel individuel, à l’intérieur d’un système de parenté régit par une asymétrie de fait – asymétrie voulue par certains comme radicale et naturelle (7) – en vertu de laquelle femmes et mineurs sont dépendants du rôle paternel.

La persistance de ces institutions archaïques, qui tendent à passer inaperçues, tant elles imprègnent tout (8) est directement visée par la revendication féministe. Son pouvoir subversif est là.

On va me reprocher de situer la domination, l’autorité, au sein même des relations d’amour, de tendresse, d’amitié, dans les liens les plus valorisés de l’être humain. Et bien ; oui. C’est cela la difficulté, pour modifier la structure du pouvoir, pour terminer avec la société de classes, il faut arriver à des niveaux profonds du monde humain où l’historicité des affects, à travers la construction d’un univers symbolique, lie la sexualité au pouvoir.

Celle-ci fut une des grandes découvertes de Freud et sa pertinence amena les penseurs « scientifiques » à croire à l’universalité de l’interdiction de l’inceste. Parce que l’interdiction de l’inceste est l’image ou la métaphore qui imbrique la sexualité au pouvoir dans la structure de la parenté.

En critiquant le postulat de l’universalité de l’interdiction de l’inceste un auteur contemporain dit :

« l’inceste est une notion morale produite par une idéologie liée à l’élaboration du pouvoir dans les sociétés domestiques comme un des moyens de maîtrise des mécanismes de la reproduction, et non une prescription innée qui serait en l’occurrence la seule de son espèce : ce qui est présenté comme péché contre la nature n’est en vérité que péché contre l’autorité » (9).

Mais la réalité de cette affirmation n’empêche pas que l’univers symbolique d’une société de classes contienne sa propre justification. Ce niveau symbolique se constituant sur l’entrecroisement de la lignée et de l’échange, sur la façon propre d’associer les générations et les sexes.

En général, les explications sur la structure de la société peuvent se grouper selon deux catégories : celles qui privilégient ce qui se transmet et celles qui privilégient ce qui s’échange. Dans la première, on trouve au centre de la trame les ancêtres, les morts. Dans la deuxième, les femmes.

L’entrecroisement, l’intersection de ces deux axes d’explication est soudé, au niveau de l’imaginaire social, par la prétention de l’universalité de l’interdiction de l’inceste. Je m’explique. Dans la filiation, axe vertical, se transmettent les biens, le temps, la terre, l’héritage des parents aux enfants ; il apparaît une hiérarchie de statut, l’interdiction de l’inceste préserve les « biens » du père, ordonne la circulation de ses biens à travers les générations. Dans l’axe horizontal, celui de l’échange, circulent les biens les mots et les femmes ; il apparaît une hiérarchie de sexes – l’asymétrie radicale de l’échange – les hommes échangent les femmes. Encore une fois, l’interdiction de l’inceste préserve la place du père.

Cette structure sociale forte, la règle transformée en loi, en métaphore paternelle, s’exprime dans les institutions de pouvoir, et se continue, s’autoengendre dans l’articulation du mythe et du phantasme.

Le mythe d’Oedipe c’est le mythe central de la société patriarchale et il est intéressant de voir comment la fine analyse freudienne qui lui accorde tout son contenu de répression sexuelle, occulte en même temps ce qui est apparent et qui lui donne sa raison d’être : le conflit d’autorité. « L’impossibilité » pour Oedipe d’occuper la place de père : dans le trône et le lit de Laïos, Oedipe devient Laïos. Le rebelle qui affirme son droit à passer par le chemin sans s’incliner devant la volonté de l’autre, devient cet autre et s’autopunit. Le trône reste intact et le lit abandonné. Et la femme est encore ici une valeur d’usage. Elle est indissolublement liée à son maître. Ce que le mythe affirme c’est la pérennité du pouvoir et l’inéluctabilité pour le révolutionnaire de devenir tyran.

Ce mythe s’actualise constamment au niveau du phantasme, dans le « complexe d’Oedipe », où chaque sujet occupe une place déjà définie dans la structure de la domination.

L’asymétrie de la relation homme/femme c’est l’élément central de la domination, ordonne toutes les relations de pouvoir : entre homme et femme, entre les hommes, entre les femmes.

Qu’on me comprenne bien, je ne dis pas que les choses sont comme cela, de façon inamovible, comme la nature des sexes ou la différence de générations. Bien au contraire, les choses « sont comme ça » parce qu’elles sont articulées ainsi par les mythes (qui font partie de l’imaginaire social et auxquels nous participons tous inconsciemment) par les institutions (que nous combattons mais à l’intérieur desquelles nous agissons) et par les phantasmes individuels (qui expriment nos conflits).

Pour revenir à notre problème initial. Quand nous critiquions la rupture idéologique entre : la libération totale de l’être humain, femme et homme, voulue par l’anarchisme, et une pratique qui cantonne le femme au foyer, la rendant dépendante de l’homme, nous mettions en évidence une forme concrète des effets de cette profonde structure de la domination, dans la réalité quotidienne.

Si notre volonté anarchiste de terminer avec les rapports d’autorité, de destruction de l’Etat, de construire une société non répressive, si notre volonté anarchiste doit se traduire par des faits, des actions qui amarrent l’utopie à la terre, une condition indispensable est le prise de conscience de cette dimension occulte de la domination, qui à travers la situation dépendante de la femme, introduit dans toute relation humaine un facteur de pouvoir.

La société de classes ainsi que l’Etat trouvent dans le tissu des relations quotidiennes la base de leur perpétuation.

L’être humain peut et doit être libre. La Révolution Sociale exige la destruction de l’Etat pour finir avec l’exploitation. Et elle exige aussi l’abolition du patriarchat pour que la domination ne se reconstruise pas sur les ruines de la société de classes.

Nicolas


(1) Un exemple typique : le 1er. chap. de « Histoire de l’Anarchisme » de Max Nettlau

(2) Les révoltes logiques n° 5 p. 66

(3) Eugène Varlin, Petite Collection Maspero. Paris, 1977, p. 25

(4) A. Lorenzo : El proletariado militante Ed. Vertice – Mexico (1876) p. 243

(5) Bakounine. Œuvres Complètes.Vol.2 Ed. Champ Libre, Paris, 1974 p. 58

(6) Ibid.Vol 4, 1976 – p. 363

(7) C. Lévi-Strauss. Les structures élémentaires de la parenté. Mouton, Paris, 1967, p.73, p. 136

(8) Pour utiliser une métaphore : un poisson des profondeurs de la mer qui arrive par hasard à la surface et rencontre l’air, ce qu’il découvre c’est l’existence de l’eau.

(9) Claude Meillassoux, Femmes, greniers et capitaux. Maspero ; Paris 1975 p. 28

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