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Un commando OAS assassine à El Biar trois Européens et trois musulmans fonctionnaires d’un centre social

Article paru dans Combat, 16 mars 1962, p. 2

POUR de nombreux Algérois, l’O.A.S. s’est montrée hier, après le massacre d’El Biar, sous un visage révoltant.

On peut craindre, cependant, que, malgré l’arrestation de neuf chefs de commandos par les forces du maintien de l’ordre, l’O.A.S. ne soit pas réellement démantelée à Alger, mais simplement provisoirement désorganisée.

A Oran, par contre, malgré les attentats terroristes quotidiens, la journée d’hier a été plus calme. Néanmoins, on devinait l’inquiétude latente de tous les Européens qui s’attendent, sinon à un coup de force de l’O.A.S., du moins à une série d’actions spectaculaires. Un souci nouveau est apparu pour les responsables du maintien de l’ordre : la menace de coupure avec le monde extérieur que fait peser l’O.A.S. sur Oran. Récemment, les compagnies de navigation et les compagnies aériennes ont été invitées à ne plus prendre de passagers pour la métropole. Mercredi soir, l’équipage d’un navire aurait refusé de partir et, dans l’après-midi la compagnie Air France aurait annoncé qu’elle n’acceptait plus de réservation pour la métropole.


SIX Européens portant des tenues militaires ont fait irruption hier matin, à Alger, au « Château-Royal », siège des services des Centres sociaux, situé derrière l’église d’El-Biar. Dans un des bâtiments se tenait une réunion de dix-huit membres de ces services.

Forçant la porte, le chef du commando, l’arme au poing, cria : « Six d’entre vous sont condamnés à mort. Marchand, Basset, Eymard, Hammoutène, Ould Aoudia et Feraoun, suivez-nous ! »

En silence, les six personnes désignées sortirent puis furent alignées le long d’un mur. Plusieurs rafales de pistolets mitrailleurs furent alors tirées. Cinq victimes étaient tués sur le coup ; la sixième, M. Feraoun, devait mourir peu après son admission à l’hôpital.

Ces six personnes assassinées sont : MM. Marchand Maxime, 50 ans, Inspecteur d’Académie, chef des Centres sociaux ; Hammoutène Ali, 40 ans, inspecteur de l’enseignement primaire, adjoint de M. Marchand ; Ould Aoudia Salah, Inspecteur des Centres sociaux d’Alger ; Eymard Robert, inspecteur des Centres sociaux, chargé du bureau d’études ; Basset Marcel, 40 ans, chargé du service de la formation professionnelle, directeur du Centre de formation des cadres de Tixeraine, près de Birmandreis, et l’écrivain Moulond Feraoun, 50 ans, inspecteur des Centres sociaux et chargé de la pédagogie dans les milieux ruraux.

Un écrivain de renom

M. Mouloud Feraoun, qui a été mortellement blessé dans le mitraillage d’El Biar, a été l’un des amis intimes d’Albert Camus. Ecrivain de renom, ce Kabyle obtint le Prix Populiste en 1953, pour son livre « La terre et le sang » et le Prix Littéraire d’Algérie en 1955 pour un autre roman « Le fils du pauvre ».

Des tueurs bien renseignés

Une septième victime a échappé à l’atroce massacre des tueurs d’El Biar – Ben Aknoun : M. Petitbon, commissaire général à la Jeunesse et aux Sports à la Délégation générale.

Ce haut fonctionnaire était recherché par les terroristes qui avaient ajouté son nom à la liste. Après avoir appelé successivement les six victimes et les avoir dépouillées de leurs porte-feuilles, le chef du commando demanda : « M. Petitbon ». Personne ne répondit. Le commissaire général n’avait pu être pré-sent à cette assemblée qui groupait des fonctionnaires venus de toute l’Algérie : dix-neuf au total.

Cette assemblée avait été prévue par M. Marchand, l’une des six victimes, dans le courant du mois de février. Fixée initialement au 1er mars, elle avait été ajournée par la suite au 15 mars. Les tueurs étaient bien renseignés sur la date, le lieu et l’heure : à peine la réunion était-elle commencée qu’ils forçaient la porte.

Grève générale à l’Université d’Alger

Le recteur de l’Académie, directeur général de l’Éducation nationale en Algérie, a reçu le télégramme suivant de M. Lucien Paye, ministre de l’Éducation nationale : « Vous exprime au nom de l’université française et en mon nom personnel profonde indignation devant le lâche et horrible attentat qui a coûté la vie à M. l’inspecteur d’Académie Maxime Marchand et aux Inspecteurs MM Robert Aimard, Marcel Basset, Mouloud Feraoun et Ali Hammoutène. Vous demande exprimer notre douloureuse sympathie aux familles dont le nom, s’ajoute au long martyrologe de l’enseignement en Algérie ».

Le recteur a décidé qu’en signe de deuil les établissements d’enseignement de tous les degrés fermeraient leurs portes jusqu’à lundi dans l’ensemble du Grand Alger.

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