Article paru dans Pouvoir ouvrier, n° 39, avril 1962, p. 1-2
Et maintenant ? Le colonialisme a perdu la dernière bataille, non à Evian, mais en Algérie.
Officiers déserteurs et européens fanatisés tirent leurs dernières cartouches, assassinent leurs dernières victimes. Dans quelque banlieue algéroise, Salan compulse fiévreusement ses plans de « guerre subversive », cherche « l’erreur », lance encore des ordres.
Mais dans l’Ouarsenis, les officiers de l’OAS, traqués par des paysans armés de fourches, par des enfants qui leur lançaient des pierres, se sont jetés dans les bras des gendarmes français.
Des millions d’algériens profitent de la trêve pour mieux s’organiser, pour déjà faire passer l’indépendance dans les faits, partout où ils le peuvent : la peau « française » de ce pays algérien craque de toutes parts.
En France, c’est autre chose.
Il y a eu le OUI massif dont se réjouissent De Gaulle et Maurice Thorez.
Il y a eu aussi la grosse déception : le général n’a pas voulu faire des élections !
Les partis politiques sont furieux, même l’UNR. Ils avaient déjà commencé à mettre la machine en branle : « la paix en Algérie, c’est moi ! », « triomphe de notre politique ! », « votez pour nous, les vrais artisans de la paix ! ».
Certes, tout le monde sait que « la paix » – c’est-à-dire l’indépendance – c’est le peuple algérien, le FLN, les combattants des maquis qui l’ont arrachée à la France.
Mais tout le monde sait aussi que les élections c’est pour raconter des « bobards ».
Enfin, c’est foutu.
Quoi dire alors ? Debré s’en va. Pompidou arrive. Le P.C. s’indigne: comment, Pompidou ? le directeur de la Banque Rotschild ? un banquier ? c’est le gouvernement du grand capital ! Pourtant, Debré c’était déjà le gouvernement du grand capital. Alors…?
Mais il y a le « renforcement du pouvoir personnel », et puis « le rôle du Parlement est encore diminué ». C’est un vrai concert de gémissements du Figaro à L’Humanité, on dénonce les dangers que court la démocratie.
Les droits du Parlement, en quoi cela regarde les travailleurs ? « Pouvoir personnel » ou « pouvoir du Parlement » ? Mais le Parlement a-t-il jamais changé la situation des travailleurs ? N’a-t-il pas toujours fallu se battre par la grève, dans la rue, quand on a voulu arracher quelque concession aux patrons, au Gouvernement ?
Oui, le régime actuel représente bien un renforcement, un durcissement de l’Etat. Ce n’est pas le fascisme. Le fascisme traditionnel des colonels en chômage, avec parades, bottes, chemises, incendie des syndicats ouvriers, etc., c’est du passé. Dans le nouveau régime que les dirigeants installent, les syndicats ne seront pas détruits, on s’efforcera de les domestiquer complètement ; les militants ouvriers ne seront pas assassinés, on leur offrira des places au service « relations sociales » de l’usine ; les travailleurs ne crèveront pas de faim, on augmentera tout simplement la productivité en leur montrant la « carotte » de la consommation : télé, frigidaire, vacances mécanisées, accession à la propriété… Bien entendu, toute tentative d’intervention de la population travailleuse dans les affaires publiques sera jugée « subversive », toute revendication mettant en cause le pouvoir et les plans des dirigeants sera réprimée comme « séditieuse ».
Ces dirigeants, on les connaît. C’est cette même « race » de gens qui a voulu la guerre d’Algérie, qui est responsable de tous les morts, de toutes les souffrances de ces sept années ce sont les patrons, les hauts fonctionnaires, les administrateurs à diplômes, les directeurs cultivés, les officiers distingués, « l’élite de la nation » quoi. On sait où ils sont là où on commande, à l’usine, au bureau, au chantier, à la mine, dans les administrations, dans les casernes.
Pour faire échouer leur projet totalitaire, pour défendre les conditions de vie et de travail des salariés, d’est à ces gens qu’il faut s’opposer partout où on les rencontre, c’est contre eux qu’il faut mener LA LUTTE DE CLASSE.
Inviter les travailleurs à se mobiliser pour défendre les « droits du Parlement », pour instaurer une « démocratie rénovée » ou, comme le dit Mendès-France, un régime de type anglais ou américain, c’est essayer une fois de plus de les tromper, c’est essayer de les utiliser comme masse de manœuvre pour atteindre des objectifs qui ne changeront rien à leur condition d’exploités, de salariés d’un patron ou de l’Etat.
Notre projet à nous c’est le SOCIALISME, LE POUVOIR DES TRAVAILLEURS. C’est le seul but qui peut donner son plein sens à notre résistance quotidienne à toutes les formes d’exploitation et d’oppression actuelles, le seul qui peut faire naître l’enthousiasme, le dévouement, le courage, la solidarité, c’est-à-dire tout ce qui manque aujourd’hui.