Éditorial paru dans L’Internationale, n° 1, juin 1962, p. 1
Le 1er juillet prochain, l’Algérie deviendra une République indépendante, à la suite d’une lutte héroïque qui a duré près de huit années. Après tant de scrutins truqués en Algérie, le referendum enregistrera la défaite de l’impérialisme.
La victoire du peuple algérien est cependant loin d’être complète. Les derniers tenants du régime fasciste qui avait été instauré en Algérie depuis Soustelle et Lacoste se livrent à des exactions et des crimes avec la complicité non dissimulée des derniers représentants de l’autorité française en Algérie. En France même, on voit la police avec la pleine bénédiction gouvernementale montrer aux Algériens ce qu’est sa conception de « l’autodétermination ». Ces ignominies trouvent enfin leur pendant dans l’hypocrisie qui s’étend de l’extrême-droite à la gauche et jusqu’au P.C.F. même, pour ceux qui fuient l’Algérie de demain après y avoir approuvé sinon accompli tant de crimes : ces rapatriés, c’est désormais une partie de la clientèle électorale ! Toute cette orgie de crimes, de violences, d’hypocrisies, c’est le tableau du crépuscule de l’Empire français désormais réduit à de tout petits territoires, pour peu de temps.
Nous saluons chaleureusement la victoire du peuple algérien. Elle est aussi la victoire de tous les peuples encore soumis au joug colonialiste. Et, bien que la classe ouvrière française ait fait très peu pour ne pas dire rien pour aider la Révolution algérienne, c’est aussi une victoire pour les travailleurs français car le capitalisme français a dans ces années connu une perte de substance qui a limité de toute façon la défaite ouvrière du 13 mai 1958.
Mais l’indépendance politique de l’Algérie n’est qu’une étape. C’est le G.P.R.A, lui-même qui le dit aux Algériens dans sa déclaration inaugurant la campagne pour le referendum :
« L’indépendance politique à laquelle nous allons accéder, que nous allons consolider et aménager, aura des conséquences inévitables sur l’économie de l’Algérie. Elle entraînera d’abord une véritable réforme agraire. Le premier devoir de l’Etat algérien sera de réaliser cette réforme agraire au profit du peuple, au profit des paysans pauvres et des ouvriers agricoles et non au profit d’une classe privilégiée…
« L’indépendance politique nous permettra aussi de créer et de développer l’industrie sous toutes ses formes, de stimuler la production, d’accroître l’équipement du pays, de mettre les grand moyens de production au service du peuple, d’assurer une répartition plus juste du revenu national.
« L’indépendance politique à laquelle nous allons accéder amènera en même temps une véritable révolution sociale. Partout des jeunes cadres vont prendre en mains les destinées du pays…
« Ces transformations grandioses qui supposent un plan de travail, un effort cohérent et une austérité voulue et acceptée par tous, notre génération va les réaliser. »
Nous ne discuterons pas dans cet article en détail les problèmes qui se posent aux militants algériens pour faire de ce programme une réalité, pour libérer vraiment leur pays des dangers d’un néo-colonialisme qui rode autour de Rocher-Noir : en un mot, l’Algérie doit se dégager de la voie capitaliste et s’engager sur la voie de la construction du socialisme. Ici, nous voulons appeler les militants et les ouvriers français à donner, comme malheureusement ils ne l’ont pas fait jusqu’à ce jour, à l’Algérie de demain, à l’Algérie qui s’engagera sur la voie du socialisme, l’appui, le soutien, la solidarité auxquels elle a droit et dont elle a besoin. Nous le répétons : les accords d’Evian qui sont un compromis entre la Révolution algérienne et l’impérialisme français ne peuvent être NOTRE loi. Nous sommes contre toutes les clauses qui servent l’impérialisme français et gênent la Révolution algérienne. Nous sommes pour l’évacuation immédiate de l’armée française, pour le retrait des bases de Mers-el-Kébir et du Sahara. Nous ne faisons pas nôtres toutes les dispositions qui permettent aux hommes de l’O.A.S. et à leurs complices de poursuivre leur besogne. Nous ne voulons pas non plus que les hommes et femmes enfermés ou traqués pour avoir apporté leur aide à la Révolution algérienne soient conservés par le pouvoir bonapartiste comme contrepoids aux tueurs de l’O.A.S.
Il faut secouer les organisations ouvrières qui au fond se placent là aussi sur le plan de de Gaulle : l’affaire algérienne est un chapitre clos, on tourne la page. Non ! La Révolution algérienne continue, la Révolution algérienne se met en marche vers une étape supérieure, la Révolution algérienne mettra le cap sur le socialisme. Les travailleurs de France doivent y prendre part. Aux prochaines manifestations du peuple algérien célébrant son indépendance doivent répondre des manifestations de solidarité des travailleurs français.
VIVE L’AGERIE INDEPENDANTE ! EN AVANT VERS L’ALGERIE SOCIALISTE !