Article paru dans Informations Correspondance Ouvrières, n° 37, mars 1965, p. 21-22
Publié aux U.S.A. en 1962, sous le titre « The Warfare State » ce livre fut édité en France au début de l’année dernière, avec une préface de l’auteur, datée de décembre 1963. Il n’a rien perdu ni de son actualité, ni de son intérêt.
Depuis la première guerre mondiale, une abondante littérature nous a été fournie sur l’importance économique et le rôle politique des « marchands de canons », des « fauteurs de guerre ». Mais, à part l’exemple allemand de 1934 à 1940, il n’était pas question d’économie de guerre permanente. Or, depuis 1945, en dépit d’une reconversion substantielle, les impérialismes qui se disputent l’hégémonie de la planète maintiennent et même accroissent leur potentiel militaire, au rythme des progrès de la science et des dangers de leur politique de guerre froide. Le nombre de milliards engloutis dans cette course aux armements est tel que le terme d’économie de guerre permanente se justifie. Fred J. Cook cite des chiffres en ce qui concerne les U.S.A. (voir pages 37 à 40).
« La puissance économique des militaires du Pentagone atteint tous les coins et recoins du pays ».
« Les avoirs militaires sont trois fois plus importants que les avoirs additionnés des cinq plus grandes firmes américaines ».
Une centaine de grandes entreprises bénéficient des commandes militaires. Le dixième de la main d’oeuvre totale du pays dépend directement de l’armée. Et plus d’un quart de toute l’activité économique des Etats-Unis s’articule sur les dépenses militaires. Pour certains Etats (voir page 207) cette dépendance est vitale, tout désarmement provoquerait l’effondrement de leur économie.
Comment en est-on arrivé là ? C’est ce que l’auteur s’efforce de nous expliquer, peut-être un peu longuement, mais en éclairant certains aspects de la vie américaine, bien mal connus à l’étranger. Il nous retracé l’histoire du « complexe militaire industriel » qui est parvenu à transformer la société américaine en un « Etat militaire », un « Etat caserne », « en route sur la chemin de l’Allemagne nazie ou du Japon d’avant-guerre ». Il nous montre comment ces « vautours de la guerre froide », grandes entreprises et militaires, ont pesé lourdement sur la politique intérieure et extérieure de l’impérialisme américain. Que la psychose de guerre préventive contre l’URSS ait foiré, ne signifie pas qu’elle ne puisse être reprise contre la Chine, et c’est ce qui rend très actuel le livre de Fred J. Cook.
Le fonctionnement et l’action du « complexe militaire industriel » sont depuis longtemps bien rodés. Que 27 généraux et amiraux soient inscrits sur les feuilles d’émargement de la seule « General Dynamics » est un exemple qui donne une idée des moyens employés pour souder cette entente entre grandes firmes et l’armée. Celle-ci n’est d’ ailleurs pas seulement une grande distributrice de milliards mais constitue un formidable appareil de propagande, mobilisé en permanence, pour faire pression à tous les échelons sur les institutions politiques du pays, et manipuler « l’opinion publique ». Un conformisme étouffant dans une atmosphère parfaitement « climatisée », tel est un des aspects de la citadelle du monde libre !
Mais Fred J. Cook, comme les Packard, White, Galbraith, se limite à une dénonciation, à une critique. Si virulente soit-elle, cette critique ne débouche sur rien. Ce qui caractérise tous ces auteurs américains, c’est qu’aucun d’eux ne remet en cause le régime. Fred J. Cook termine son livre par les lamentations d’usage au sujet de l’apocalyptique guerre nucléaire qui menace le genre humain. Ces lamentations ne sont guère plus que les bêlements du troupeau mené à l’abattoir.
« Ces vautours de la guerre froide », ce « complexe militaire-industriel » que l’auteur identifie, seule la lutte de classe peut ébranler leur puissance, seule une issue révolutionnaire de cette lutte peut mettre fin aux dangers que leur rapacité fait courir à l’humanité.