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Vance Packard : L’art du gaspillage

Article paru dans Informations Correspondance Ouvrières, n° 19, juin 1963, p. 16-17

Qui veut se faire une idée de la société américaine d’aujourd’hui peut lire les trois ouvrages de Vance Packard (Ed. Calmann-Lévy) :

« Les obsédés du standing »

« La persuasion clandestine »

« L’art du gaspillage »

Leur lecture en est aisée ; ils contiennent une foule de faits précis qui donnent à réfléchir sur les méthodes et les structures de la société capitaliste. La réflexion c’est au lecteur de la faire, car les idées propres de l’auteur sur les causes de cette situation et sur ce qu’il propose comme remèdes ne présentent aucun intérêt. La critique qui suit est tirée du Bulletin Régional Normandie.


« Vance Packard : « L’art du gaspillage » : Tout le livre est consacré à l’étude de la consommation aux USA. L’auteur situe immédiatement le problème : « Les américains sont à califourchon sur un tigre. Ils doivent consommer toujours plus sinon leur admirable machine les dévorera. Il faut les inciter à augmenter sans cette leur consommation individuelle. Même s’ils n’ont aucun besoin des produits qu’on leur offre. Leur économie en pleine expansion l’exige ». Le développement considérable de l’automation permet une productivité fantastique : « depuis la fin de la guerre, le rendement horaire de chaque ouvrier s’est accru de 3 % chaque année ». Il s’agit d’écouler des produits toujours plus nombreux en augmentant la consommation individuelle ou le nombre de consommateurs. L’économie américain se heurte à deux séries de difficultés :

I°) l’automation toujours plus poussée tend à au augmenter le nombre de chômeurs, or le chômeur « est improductif et ne consomme que le strict nécessaire ».

2°) alors que « neuf maisons américaines sur dix sont équipées d’au moins un frigidaire, un poste de télévision et une cuisinière électrique ou à gaz, que sept sur dix ont un aspirateur, un grille-pain électrique et un mixer, qu’enfin il y a plus de voitures dans ce pays qu’il n’y a de familles » augmenter la consommation devient un tour de force. Ainsi des milliers de services d’études passent leur temps à élaborer de nouvelles techniques commerciales. « L’éphémère a été érigé en doctrine » : « Tout le monde sait bien que nous écourtons volontairement la durée de ce qui sort de nos usines, et que cette politique est la base même de notre économie. Nous fabriquons d’excellents produits, nous incitons les clients à les acheter… et l’année suivante nous y introduisons délibérément un élément nouveau qui fera paraître ces articles vieillots, démodés et désuets… Ce n’est pas du gaspillage organisé. C’est une saine contribution à l’économie du pays  » (Brook Stevens).

« Ainsi on a déraciné de l’esprit du public la notion de durable, mais, « cette doctrine de la désuétude systématique est poussée si loin que nos fabrications peuvent à peine supporter le transport. Les réparations et l’entretien sont si difficiles et incertains, qu’il est préférable de faire l’échange des articles défectueux ». (Product Engineering). Le dynamique patron de la Standard Packing proclame avec satisfaction : « Tout ce que nous fabriquons va à la poubelle »… Il serait évidemment nécessaire d’entrer avec Packard dans le détail de ces techniques pour se faire une idée approchée des monstruosités quotidiennes auxquelles elles aboutissent et du rythme de cette consommation forcée. L’intéressant pour nous est de constater l’emploi – sans doute moins systématisé – de ces mêmes techniques dans les pays européens. Quelques exemples ayant trait aux objet de consommation les plus courants permettent de les mettre en évidence.

« Rien n’est laissé au hasard. En témoignent des détails semblables : chacun sait que les ménagères jettent assez souvent leur épluche-légumes avec les épluchures de pommes de terre ; « en se basant sur cette constatation un fabricant travailla à accélérer le processus de disparition. Il leur donna une couleur aussi voisine que possible de celle de la pomme de terre. Mais comme un instrument d’un brun sale n’attire pas beaucoup l’œil sur le comptoir du marchand, il les présenta sur un carton de couleur vive. Après avoir ôté le support, la ménagère avait toutes les chances de perdre rapidement son instrument, comme l’expliqua l’ingénieux fabricant : « La plupart des gens enveloppent leurs épluchures dans du papier journal. On pose le couteau, il se confond avec les détritus et est jeté en même temps. Nous espérons ainsi l’année prochaine doubler nos ventes » (Packard p. 56).

« Le rayon du jouet ouvre de splendides possibilités : « Les résultats de la publicité sur les enfants sont miraculeux » (Le Monde : annonce d’un fabricant). La systématisation des séries, petites autos, habits de poupées, poupées jumelles etc… est fructueuse. La matière plastique est utilisée partout et les traditionnels jeux d’échecs, de dames, de cubes et même d’osselets n’y échappent pas. Cela permet d’apprendre aux enfants dès leur plus jeune âge que tout se remplace »(Packard). L’énumération n’en finirait pas ; on trouvera une documentation complète dans Packard qu’il est extrêmement utile de lire en laissant de côté ses diverses propositions de remèdes (pour le moins puériles).

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