Éditorial paru dans Le Monde libertaire, du 30 novembre au 6 décembre 2000.
La pratique de la torture et la liquidation physique des opposants algériens à la colonisation française a donc été un fait quotidien tout au long de la guerre d’Algérie. Les aveux publics d’au moins deux généraux directement impliqués dans ces assassinats font qu’aujourd’hui l’État français va devoir digérer cette ignominie pour sauver l’essentiel, à savoir la pérennité de l’armée et des services secrets barbouzes.
Nous n’avons pourtant guère d’illusion sur une réelle avancée démocratique, politique et humaine que ces révélations pourraient avoir sur les pratiques et la culture de pouvoir des classes dominantes.
Tout au plus cela va-t-il donner du grain à moudre à la bonne conscience des progressistes et démocrates qui se repaissent de ces petites avancées bétonnant notre domination quotidienne. C’est ainsi que la démocratie avance à coup de prisons neuves, de RMI, de loi contre l’exclusion, de parité sexuelle et sociale, de transparence judiciaire, de centres de rétention humanisés, de réduction de temps de travail, de précarité et de professionnalisation des armées… vers le meilleur des mondes possibles pour les capitalistes et le contrôle social étatique.
Peut-on imaginer que l’État français reconnaisse que la logique colonisatrice contenait en elle-même la négation des populations vivant sur les territoires conquis et que la violence est de ce fait de sa seule responsabilité historique? À coup sûr on va nous faire le coup des responsabilités partagées et nous mettre en avant l’horreur des crimes du F.L.N. Peut-on imaginer que l’État français reconnaisse que son armée a toujours réprimé avec la plus grande violence les révoltes sociales en Algérie comme ailleurs ? Que penser de la fonction de cette armée de conscrits qui défile le 8 mai 1945 sur les Champs-Élysées pour fêter la victoire contre le nazisme et qui le même jour massacre par milliers les manifestants algériens de Sétif. La même armée qui, quelques temps plus tard, écrasera dans un bain de sang la révolte de Madagascar ?
Nous savons bien que la dénonciation des crimes d’État est toujours nécessaire et participe à l’indispensable construction d’une mémoire collective. Mais ce cri du cœur qui a fait dire aux poilus de 14 comme aux rescapés des camps nazis « plus jamais ça ! » ne prendra un début d’effet que lorsque notre conscience critique collective saura imaginer une société non coercitive c’est-à-dire débarrassée des scories militaristes et étatiques. Et il n’est pas sûr que nous puissions compter sur les démocrates, tout heureux de cette opportune repentance de quelques assassins d’État, pour voir aboutir cette perspective émancipatrice.