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Pierre Lecomte : Après le procès de Klaus Barbie

Article de Pierre Lecomte paru dans Informations ouvrières, n° 1325, semaine du 22 au 29 juillet 1987

Klaus Barbie lors de l’ouverture de son procès assis derrière son avocat Jacques Vergès le 11 mai 1987 à Lyon, France. (Photo by Pool PROCES KLAUS BARBIE/Gamma-Rapho via Getty Images)

C’EST volontairement que nous avons attendu, pour écrire, que le verdict soit prononcé. Verdict qui, les lois aidant, a sauvé la vie du tortionnaire nazi. Par leurs dépositions, les témoins qui ont souffert le martyre des camps et des tortures ont fait passer le souffle de la vérité. Bien que nous rejetions entièrement ses vues politiques, il faut également signaler la phrase prononcée par Chaban-Delmas : « Qui peut ici lever la main et dire qu’il n’aurait pas parlé sous la torture ? »

Cela dit, dans le déroulement du procès, bien des choses n’ont pas été dites. Ainsi les avocats de Barbie ont dénoncé les massacres de Sétif et de Guelma perpétrés en Algérie par l’armée française en mai 1945, le massacre des Palestiniens de Sabra et Chatila en 1982, les crimes et les tortures dans la guerre d’Algérie et les massacres de 1947 à Madagascar. Tout cela est vrai mais n’entraîne aucunement la justification sous quelque forme que ce soit des crimes de Barbie. Tout au contraire, il en découle la nécessité d’une condamnation ferme et non équivoque du criminel nazi. C’est là une question capitale, car si les actes infâmes de Barbie ne peuvent aucunement masquer les actes infâmes perpétrés contre les peuples algérien ou malgache, tendre à les justifier comme l’ont fait ses avocats sous des prétextes à prétention juridique, c’est en définitive ne pas condamner l’impérialisme qui est à l’origine des guerres coloniales… et du nazisme. Car c’est bien là ce dont il s’agit et non pas de chercher à prouver, comme le fait Le Monde du 5 juillet, que « le coupable peut être l’homme de partout », après avoir écrit que « le peuple allemand confronté au rappel des horreurs commises par ses gouvernants (ne devait pas) en subir indéfiniment le contrecoup devant les autres peuples ».

Le peuple allemand coupable ? Ce serait oublier d’une part la politique de division commune aux dirigeants de la social-démocratie et du PC allemands qui a permis à Hitler de prendre le pouvoir, politique « immortalisée » par Staline qui considérait la social-démocratie et le nazisme comme des « frères jumeaux » unis dans le « social-fascisme ».

A juste titre, L ‘Humanité du 4 juillet signale : « On pourra certes (et l’on doit même) regretter le silence fait sur le réemploi du « boucher de Lyon » par les services secrets nord-américains et ouest-allemands, tandis qu’en guise de linceul, un manteau de Noë était jeté sur les morts oubliés de Bolivie. »

Mais pourquoi L’Humanité ne signale-t-elle pas cette dépêche de l’AFP (non démentie) en date du 20 octobre 1986 concernant « l’ancien général commandant de la 24e division blindée de la Werhmacht de la VIe armée de Von Paulus décimée à Stalingrad, Arno von Lenski, coresponsable en tant que membre d’honneur de la Cour de justice du peuple — tribunal d’exception hitlérien spécialisé dans les affaires de trahison — de plusieurs condamnations à mort d’Allemands, de Polonais et de Néerlandais (…). Dès qu’il fut libéré de captivité, von Lenski s’installa en Allemagne de l’Est où il fit partie de ces anciens généraux de la Werhmacht qui contribuèrent à la création de l’armée populaire en RDA. »

Coupable des crimes des gouvernants nazis, le peuple allemand ? Ce serait non seulement oublier que les camps de concentration, que les Barbie peuplèrent de Juifs, de Tziganes, d’Ukrainiens, de Polonais, furent construits pour des centaines de milliers de communistes et de socialistes allemands. Ce serait oublier que Churchill déclarait encore en 1935 : « Si nous avions connu une situation identique à celle de l’Allemagne en 1932, on aurait dû en passer par les mêmes solutions. »

Coupable, le peuple allemand ? Non !

Coupable le capital financier qui, pour protéger son système d’exploitation, a porté Hitler et sa cohorte de Barbie au pouvoir… et qui est toujours prêt à tout… Confer la contra au Nicaragua, le Chili, l’Afrique du Sud…

Pierre Lecomte

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