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Angleterre : « Mon royaume pour un cheval » (1)

Article paru dans Révolution sociale !, n° 2, octobre 1981, p. 1-2

Toxteth, July 1981: ‘Each evening, some of us would walk out into Parliament Street in balaclavas.’ Photograph: ANL/Rex Shutterstock (Source)

I – VIVENT LES EMEUTIERS, MA MÈRE, VIVENT LES EMEUTIERS…

3 millions de chômeurs, soit plus de 11 % de la population active (40 à 60 % des jeunes – noirs et blancs – dans certaines régions), le Royaume-Uni de Gde-Bretagne et d’Irlande s’enfonce de plus en plus dans sa DECADENCE.

Alors que sa crise économique et politique a dépassé les bornes du supportable, le capital anglais s’abandonne à la contemplation des fastes de sa grandeur passée. Dérisoire spectacle du « mariage du siècle » diffusé fin juillet par les télés du monde entier. Coût de l’opération : 1 milliard de livres…

Déjà, cependant, la tempête soulevée par les émeutiers de Brixton, en avril, avait troublé la belle ordonnance du navire en perdition. L’ouragan des émeutes généralisées, au mois de juillet, est venu sonner le glas d’un système fondé sur l’exploitation et la recherche du profit. Affirmant leurs besoins sociaux, les jeunes chômeurs en ont fait voir de toutes les couleurs (!) aux valeurs fondatrices du plus grand des anciens empires coloniaux.

« Le vernis de notre civilisation est très mince » a déclaré le 1er ministre conservateur, Margaret Thatcher, dans un accès de lucidité.

a) Les racines de la situation

Le déclenchement des émeutes trouve sa source dans la situation économico-sociale, essentiellement dans le développement du chômage parmi les jeunes et les couches les plus défavorisées de la population c’est-à-dire les immigrés anciens ou récents (Noirs d’Afrique et des Caraïbes, Asiatiques…). Le racisme, anti-noirs ou anti-jeunes, n’est qu’un sous-produit de cette situation et se transforme en cause à son tour, du fait de l’attitude de la police et des agissements, soit des groupes d’extrême-droite (Front National), soit des bandes qui, comme les skinheads (= les têtes rasées), arborent des symboles provocateurs du genre néo-nazi. Contrairement à la thèse qu’avait voulu accréditer le gouvernement à l’époque de Brixton, les émeutes n’ont donc pas un caractère racial, mais bien SOCIAL.

En effet, les mesures « monétaristes » de Thatcher pour tenter d’enrayer le déclin économique de la Gde-Bretagne n’ont fait que le renforcer. Ainsi, la hausse des taux d’intérêt a asphyxié les entreprises à la recherche de crédits, d’où bilan : 174 faillites par semaine au cours du 1er trimestre 1981, soit 39 % de plus que l’ année précédente. Paradoxalement, pour maintenir à flot les deux grandes entreprises nationalisées (British Leyland et British Steel), le gouvernement conservateur a accru les dépenses budgétaires qui sont passées de moins de 3 % en 1979 à 7,1 aujourd’hui. Du fait de son manque de compétitivité face aux importations japonaises (automobiles), British Leyland devra être renfloué de près de deux milliards de francs (déficit pour le 1er semestre 81) et demande au gouvernement de prendre des mesures protectionnistes. Quant à la British Steel Corporation (sidérurgie), elle a annoncé le 7 juillet une perte de 7,3 milliards de Frs pour 1980-81. C’est un déficit record qui doit se solder par d’importants licenciements. L’on comprend aisément que le chômage ait fait des bonds ces derniers mois et accru lui aussi le déficit budgétaire. En effet, plus que le chiffre global (3 millions), ce qui est frappant, c’est la progression spectaculaire du phénomène : les 11,1 % de sans travail par rapport à l’ensemble de la population active font que celle-ci, en proportion, est touchée deux fois plus qu’avant l’arrivée de Thatcher au pouvoir. Aux régions traditionnellement concernées, dans lesquelles régnait un chômage endémique (l’Ulster, l’Écosse, le Pays de Galles), s’ajoutent aujourd’hui avec la crise dans l’automobile des contrées encore « prospères » il n’y a pas si longtemps, comme par exemple les « Midlands » (à Coventry, le chômage a bondi de 92 % en un an). Les grandes métropoles comme Manchester et Liverpool sont touchées car elles n’ont pas pu opérer de véritables restructurations industrielles. A Toxteth, le quartier de Liverpool où ont éclaté les premières émeutes, le chômage atteint 40 % – 60 % parmi les Noirs et 90 % pour les jeunes de 16 à 18 ans… Il est de 17 % dans l’ensemble de cette ville portuaire et ce n’est pas étonnant que du 3 au 7 juillet, l’explosion de violence y ait été la plus forte. Frappant le centre du pays, le chômage n’épargne pas non plus le sud et en particulier l’agglomération londonienne : les faubourgs périphériques comme Brixton, Woodgreen, Southall, Limehouse, etc…, ont de fortes concentrations d’immigrés qui survivent dans des logements vétustes et insalubres.

b) Aspects positifs et limites des émeutes

« Jamais, nous n’avons connu des affrontements aussi violents et de cette ampleur. Vendredi, 100 hommes ont été blessés, samedi, 78, et dimanche, 183. 30 étaient encore à l’hôpital lundi »

(Déclarations du « super-intendant » de la police, Laurie Blackburn, sur les émeutes des 3, 4 et 5 juillet à Toxteth).

« Des familles entières se sont servies dans les boutiques éventrées. J’ai vu une mère de famille prendre une paire de chaussures et l’essayer rapidement pendant que ses enfants faisaient le guet »

(Déclarations d’un témoin, « Le Monde » du 8/07/81).

L’aspect sans doute le plus positif des émeutes a été leur GENERALISATION. La plupart des grandes et moyennes cités du Nord au Sud du Royaume-Uni, ont connu des nuits d’affrontements et de pillages : Liverpool, Manchester, Birmingham, Newcastle, Hull,…, quatre villes du Centre (Leicester, Derby, Nottingham et Huddersfield) dans la nuit du 13 au 14 juillet. A Londres, ce sont plusieurs quartiers de banlieue qui se sont enflammés comme une traînée de poudre… Encore une thèse du gouvernement qui s’effondre : en avril, il avait voulu réduire les émeutes de Brixton à l’action d’une « poignée d’anarchistes », de « provocateurs venus de l’extérieur. Quant à l’argument visant à les restreindre sur un plan racial, il ne tenait plus : même la presse titra « Toutes races mêlées… » et mit en exergue la présence de centaines, voire de milliers de jeunes blancs manifestant, au coude à coude, avec les jeunes noirs contre le chômage. Cette généralisation se vérifia même au niveau de l’âge des émeutiers : ainsi, sur les 75 personnes arrêtées le lundi 6 juillet à Liverpool, il y avait 21 enfants et adolescents de 8 à 16 ans (révélation du chef de la police). La participation de très jeunes gens aux émeutes est elle aussi le produit de la dégradation générale des conditions de survie : accroissement de la pauvreté, éclatement des familles, etc…

Les autres aspects positifs furent :

– L’UTILISATION DE LA VIOLENCE DE MASSE en réponse aux harcèlements constants de la police, y compris par l’assaut aux commissariats comme à Moss-Side le 8 juillet (quartier de Manchester). A Brixton et ailleurs les charges des forces de police ne sont parvenues à disperser les foules de manifestants qu’au prix d’un grand nombre de blessés. Et dès que les policiers quittaient les quartiers concernés, ceux-ci étaient réoccupés aussitôt. « Les cochons dehors » (clear the pigs out) fut le plus souvent le cri de ralliement des émeutiers.

– LA NÉGATION DE LA MARCHANDISE à travers l’appropriation directe des produits contenus dans une grande quantité de magasins saccagés (vêtements, appareils électriques, boîtes de conserve…). Les « vols » ne sont d’ailleurs pas étonnant au Royaume-Uni, à part l’ampleur qu’ils ont revêtue pendant ces nuits d’émeutes. En effet, comme l’expliquait un journaliste :

« C’est tous les week-ends que les vitrines sont brisées et les magasins pillés. Habituellement, on n’en parle même plus »

(cf. « Le Monde » du 15/07/81).

Mais, tout en soulignant le SAUT QUALITATIF qu’ont représenté ces émeutes face à la situation en Europe occidentale (stagnation des luttes ouvrières depuis plusieurs mois), il faut souligner leurs LIMITES.

En premier lieu, le fait qu’elles soient restées circonscrites aux quartiers pauvres. Comme les travailleurs peuvent rester enfermés dans leurs usines en faisant grève avec occupation des locaux, les chômeurs n’ont pas su dépasser LE CARCAN DE LEURS GHETTOS. Ils se sont acharnés contre les lieux de leur misère : avec les immeubles effondrés ou calcinés, les quartiers d’émeutes présentaient un spectacle lugubre, semblable à celui de la 2e guerre mondiale après les bombardements. Ils n’ont pas fait irruption au cœur des villes pour essayer de détruire les centres de décision du pouvoir.

Ensuite, L’ABSENCE DE SOLIDARITE AU SEIN DES ENTREPRISES vis-à-vis de cette explosion sociale. Il reste encore du chemin à parcourir pour que l’unité se réalise entre travailleurs et exclus de la production.

Il n’empêche que cette unité est EN TRAIN DE SE FORCER, y compris à l’échelle mondiale. Éclatant pratiquement au même moment que la reprise des luttes de masse en Pologne (voir l’article dans ce numéro), ces émeutes ont montré qu’à l’Ouest comme à l’Est, la seule perspective de mettre fin au capitalisme, c’était LA LUTTE SOCIALE.

c) Le renforcement de l’appareil répressif

Tentant de minimiser la profondeur du mouvement, le gouvernement voulut assimiler la flambée de violence à de simples actes de délinquance juvénile. Il menaça donc les parents des mineurs qui seraient arrêtés, de leur faire payer les dégâts occasionnés par la révolte de leurs enfants. Refusant de prendre en considération les causes réelles des émeutes, il donna la priorité au rétablissement et au maintien de l’ordre public :

« Nous n’avons pas le temps de nous livrer à une étude sur les raisons des violences, et tant que l’ordre n’aura pas été rétabli nous ne pourrons pas aborder les aspects économiques et sociaux de la situation (…) Le chômage n’est pas le facteur le plus important des désordres »

M. Thatcher le 14/07/81.

Face à la généralisation des affrontements et aux difficultés de la police pour contenir les manifestants, le gouvernement prit également position POUR UN RENFORCEMENT DE L’APPAREIL REPRESSIF. Après avoir limité ce renforcement aux équipements policiers (casques métalliques avec visières, uniformes ignifugés…), le ministre de l’intérieur – Whitelaw – annonça devant le parlement une série de mesures extrêmement draconiennes, DU TYPE DE CELLES UTILISEES PAR L’ARMEE EN IRLANDE DU NORD : camps militaires pour recevoir les émeutiers condamnés, emploi de voitures blindées, de canons à eau, des gaz C.S lacrymogènes et paralysants, de balles en plastique (celles-ci peuvent être mortelles comme en Ulster). De plus, même si pour l’instant il n’envisage pas de créer un corps spécifique de police sur le modèle des CRS en France, des unités spéciales anti-émeutes sont intégrées aux forces régulières : les S.P.G (Special Patrol Croups) qui ont des interventions particulièrement brutales. Enfin le gouvernement envisagerait de rétablir le « riot act » datant du 18e siècle et aboli en 1967 : il permettrait à la police d’arrêter sans formalités toute personne qui, après une mise en demeure, se trouverait dans la zone des affrontements.

En dépit de quelques réserves formelles, le parti travailliste a donné son accord pour ce renforcement de l’appareil répressif. Par le biais de commissions parlementaires, il tente de promouvoir des mesures préventives contre les risques de nouvelles explosions, par exemple un recrutement plus important des membres de la police parmi les minorités ethniques.


(La deuxième partie de cet article qui traite de LA LUTTE DE CLASSES EN IRLANDE, paraitra dans le prochain numéro).

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