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Grande-Bretagne : Les émeutes du chômage et de la misère

Article paru dans Lutte ouvrière, n° 684, 11 juillet 1981, p. 16

Pendant cinq jours, trois des plus grands centres industriels de Grande-Bretagne — Londres, Liverpool et Manchester — ont été le théâtre de violentes émeutes. Dans un cas, à Southall dans la banlieue de Londres, la cause en a été une provocation raciste dans les autres, ce furent des réactions spontanées de la population contre les brutalités policières. Mais partout, le véritable arrière-fond de ces émeutes, c’était bien le chômage (il y a longtemps que le cap des trois millions de chômeurs a été dépassé en Grande-Bretagne), la misère et les rancœurs accumulées.

La seule réponse des autorités a été de verser des grosses larmes sur le sort des policiers blessés au cours des affrontements. La Chambre des
Communes a longuement palabré sur le type d’équipement qui serait nécessaire pour équiper la police face aux émeutiers. Et tous ces politiciens, travaillistes, libéraux et conservateurs, se sont retrouvés dans une commune condamnation des pillages et de la violence.

Mais, si violence il y a, c’est bien d’abord dans le sort imposé à la classe ouvrière britannique, et d’abord dans le chômage, avec le cortège d’humiliations qu’il entraîne. Et si la jeunesse ouvrière cherche à se venger et à faire payer aux possédants le prix de leur misère, ce n’est peut-être pas efficace, ni suffisant, mais ce n’est qu’un juste retour des choses.


• Londres : Une réponse aux provocations des « Skinheads »

A Londres, les affrontements ont éclaté dans la soirée du 4 juillet, lorsque plusieurs centaines de Skinheads (crânes rasés) ont déferlé en cars, en camions et en voitures, dans le quartier immigré de Southall.

La mode des Skinheads remonte déjà à plusieurs années en Grande-Bretagne. Mais elle n’a pas toujours eu de marque politique particulière. Dans les années 77-79, on rencontrait autant de Skinheads dans les rangs des manifestants pro-fascistes du National Front (Front National) que dans ceux des contre-manifestants de l’Anti-Nazi League animée par l’extrême-gauche (Ligue Anti-Nazie). Depuis, le National Front et un certain nombre d’autres groupuscules fascisants ont entre-pris un travail systématique en direction des jeunes « loubards », chômeurs ou marginaux, essentiellement sur une base raciste, organisant des ratonnades contre des individus de couleur isolés, en particulier à l’occasion de certains événements sportifs importants. Et, de plus en plus, la mode des Skinheads a pris un caractère raciste ouvert.

Ceux qui ont envahi Southall le 4 juin venaient y assister à un concert pop du groupe « 4 Skins », dont le racisme proclamé est de notoriété publique. Dans ce quartier où plus de la moitié de la population est immigrée, surtout d’origine indienne et pakistanaise, c’était une provocation délibérée.

Dès huit heures, un groupe de Skinheads pénétrait dans une épicerie indienne et malmenait la propriétaire. En l’espace de quelques dizaines de minutes, plusieurs centaines de jeunes immigrés se rassemblaient, armés de pierres, de manches de pioche et de cocktails Molotov, et assiégeaient la salle où se déroulait le concert, pour en évincer les occupants.

L’intervention massive de la police, essayant ouvertement de protéger les racistes, ne fit qu’envenimer les choses, et pendant plus de quatre heures de violents affrontements ont opposé les jeunes immigrés d’un côté et les racistes protégés par la police de l’autre.


• Liverpool : A Toxteth, la révolte des quartiers pauvres

A Liverpool, les premières bagarres ont éclaté dans la soirée du 4 juillet dans le quartier de Toxteth, un ancien quartier commercial qui, avec la crise, est devenu l’un des quartiers les plus pauvres de la ville, avec une forte proportion de travailleurs de couleur. Selon un rapport établi par l’université de Liverpool, le chômage atteint 45 % des travailleurs blancs et 47 % des travailleurs de couleur de Toxteth. Chez les jeunes Noirs, la proportion de chômeurs atteint 60 %, selon le même rapport. Et par-dessus la misère, il y a les brimades policières, les contrôles d’identité incessants, les arrestations pour un oui pour un non, simplement parce que vous avez la peau basanée et que vous êtes jeune.

C’est l’arrestation d’un jeune qui a tout déclenché, le 4 juillet. Aussitôt, plusieurs dizaines de jeunes Antillais se sont rassemblés pour arracher leur camarade des mains de la police. De là, les bagarres se sont étendues et ont pris une ampleur qui donne la mesure de la colère de la population de Toxteth. En quatre jours, du vendredi au lundi, 355 policiers ont été blessés, plus de quarante édifices ont été détruits par le feu, dont plusieurs banques et un casino, des dizaines de magasins ont été éventrés et pillés. Mardi, au lendemain des émeutes, les rues de Toxteth semblaient avoir subi un bombardement, des pâtés de maisons entiers avaient été détruits, les rues étaient jonchées de carcasses de voitures calcinées et de débris de verre, des dizaines de murs avaient disparu, transformés en projectiles par les manifestants.

Pour la première fois en Angleterre, les forces de police ont eu recours au gaz CS, un gaz vomitif et paralysant, inventé au cours de la Seconde Guerre mondiale, et dont l’usage était jusqu’alors réservé aux manifestants catholiques d’Irlande du Nord.

Ces émeutes sont, en plus grand, une réédition de ce qui s’était passé en avril dans la banlieue de Londres, à Brixton. Dans un cas comme dans l’autre, ce sont la misère et les tracasseries policières qui ont mis le feu aux poudres. Mais alors qu’à Brixton les manifestants étaient essentiellement des immigrés, à Toxteth il y avait autant de travailleurs blancs que de travailleurs de couleur à faire le coup de poing contre la police et, selon les témoins, il y avait au moins autant de mères de famille blanches que de jeunes Noirs parmi les pilleurs de magasins. Et cela n’a rien d’étonnant : ce qui s’est passé à Toxteth n’est ni plus ni moins qu’une émeute de la misère, comme il risque de s’en produire bien d’autres ailleurs, là où la crise frappe les travailleurs le plus durement.

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