Article paru dans El-Oumami, n° 18, septembre-octobre 1981, p. 18
Après les émeutes de Bristol et de Brixton (banlieue de Londres) en mai dernier, la bourgeoise, à travers sa presse, avait voulu nous faire croire que cette série d’émeutes était due à un « conflit racial » entre les communautés, ce qui lui évitait de dévoiler la situation matérielle déplorable dans laquelle vit toute une frange de la classe ouvrière anglaise. Mais les violents affrontements entre les jeunes et la police à Toxteth (quartier de Liverpool) du 4 au 6 juillet ont montré que les jeunes, qu’ils soient Anglais, Antillais, Pakistanais, Guyanais, Jamaïcains ou Indiens, en ont assez de supporter les frais de la crise économique profonde qui touche le pays. Les bourgeois ont bien été obligés d’avouer que ces affrontements étaient dus à une situation matérielle terrible et éventuellement au chômage.
La violence de ces affrontements a été à la mesure du ras-le-bol que ressent la jeunesse au chômage face à une des nombreuses et quotidiennes provocations des flics. Les jeunes ont décidés de riposter par la force pour empêcher l’arrestation d’un de leurs camarades. Ils se sont groupés et ont résisté au flics, passant progressivement à l’attaque avec des cocktails molotov, des pierres et des bâtons, réussissant à disperser les flics et les chasser du quartier. Ils ont lancé une bétonneuse contre les flics qui reculaient et tombaient. A chaque fois les jeunes prolétaires emportaient un pouce de terrain jusqu’à ce que la police quitte le quartier et que la population le reprenne. En s’appropriant les objets dans les vitrines brisées, ils ont montré leur ras-le-bol devant le luxe d’un côté et la misère de l’autre qu’est la société capitaliste.
Les émeutes de Brixton avaient mis à nu la situation des prolétaires « de couleur » qu’ils soient immigrés ou installés depuis longtemps en Angleterre, qui, comme tout pays impérialiste, sont les premiers touchés par la crise : chômage, discrimination à l’embauche, licenciements, contrôle de l’immigration, expulsions (ou « rapatriements volontaires »), provocations de la police, etc.
Mais les émeutes de Toxteth ont montré que la crise économique profonde qui touche l’Angleterre, aggrave et unifie la situation de millions de prolétaires (noirs, blancs, indiens, etc.) qui se trouvent confrontés aux mêmes problèmes et qui ont à lutter contre le même ennemi. Par delà ces émeutes, c’est tout le système qui est visé, c’est ordre bourgeois qui ne peut plus assurer l’avenir à une classe ouvrière qui, du Nord au Sud, voit sa situation et celle de ses enfants se détériorer.
Les villes du Nord de l’Angleterre — où il y a 12% de chômeurs, soit 3 millions — ont été les premières touchées par la crise car ce sont de vieilles villes industrielles (textile, sidérurgie, industries portuaires. etc.) qui ne sont plus « compétitives » pour la bourgeoisie qui procède à des restructurations, ce qui signifie licenciements, chômage et misère pour la classe ouvrière. Liverpool est l’une de celles-ci, où plus d’une usine sur six aurait fermé ces dernières années et où on compte, pour 1,4 millions d’habitants, plus de 17 % de chômeurs.
Le quartier de Toxteth lui même compte 37 % de la population active au chômage — 43% des blancs et 47% des noirs ne travaillent pas. A la sortie de l’école, le chômage est garanti pour six sur dix : le taux de chômage des 16 à 20 ans atteint 20% : et ces chiffres sont sous-évalués car un demi-million de personnes est sans travail (surtout les femmes). Les journaux bourgeois partent de « ghetto » pour décrire la misère qui règne dans ce quartier.
Le Monde ne cache pas sa peur lorsqu’il indique que « Liverpool représente bien sûr un cas extrême mais beaucoup d’autres vieilles villes industrielles sont en passe de lui ressembler. » Eh oui, c’est dans toutes ces villes industrielles que la situation des prolétaires va s’aggravant et la bourgeoisie montre bien son impuissance lorsqu’au lendemain des affrontements ses députés proposaient une loi pour le « renforcement du contrôle de l’immigration » et des « mesures visant à encourager les rapatriements volontaires ». Partout, la bourgeoisie procède à des restructurations et par là même grossit les rangs de ses fossoyeurs. De l’aveu du même journal, « le chômage qui sévit depuis bon nombre d’années dans le Nord se déplace vers le Sud et le Centre et on s’attend à ce que la situation s’aggrave brusquement dans toute la région londonienne ».
Nous avons en effet vu que les émeutes se sont rapidement étendues d’une ville à l’autre, montrant que la solidarité entre les prolétaires n’est pas un vain mot. La nuit du 13 au 14 juillet fut marquée d’émeutes semblables à Leicester, Derby, Nottingham et Huddersfield. C’est dans toutes les villes industrielles que la situation des prolétaires va s’aggravant.
La bourgeoisie essaye d’intimider, de se protéger. Elle envoie sa police dans les quartiers pauvres pour harceler et provoquer les jeunes, procédant sans cesse à des contrôles et des arrestations des jeunes en proie à la misère et au chômage.
La bourgeoisie se paye une armée d’occupation de plus de 11 000 hommes en Irlande du Nord contre la révolte des Irlandais catholiques en proie eux aussi au chômage et à la misère. D’ailleurs il n’est besoin que de lire la presse anglaise au lendemain des émeutes de Toxteth qui indique avec rage et peur que l’émeutier « … rempli de haine est en tous points aussi sinistre que les gangs de l’Irlande du Nord ». La bourgeoisie a en effet reconnu là un point commun.
C’est la haine de cet ordre établi, la haine de ce système qui protège les privilèges d’une classe possédante et laisse la classe ouvrière se débattre dans la misère. C’est la bourgeoisie qui envoie ses flics contre les émeutiers, contre les grévistes de la faim qui exigent le statut politique en Irlande, révoltés par des siècles de domination et d’oppression impérialistes. C’est la bourgeoisie qui entretient la misère dans un pays qu’elle considère toujours comme une colonie et où elle maintient une tradition de privilèges pour les uns et de discriminations pour les autres.