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Où en est le mouvement des jeunes immigrés aux Minguettes ?

Article paru dans Courant alternatif, n° 28, été 1983, p. 23-24

Peut-être vous en étiez-vous aperçu, mais C.A. ne colle pas toujours de très près à l’actualité… De par notre fonctionnement, et puis aussi dans le cas du sujet qui suit à cause des difficultés à avoir des informations dépassant le fait-divers. Difficultés dues au fait qu’on ne peut pas être partout (un jour, peut-être…) et que les jeunes immigrés n’ont pas une attitude très poussée d’échanges avec la presse du mouvement…

Les Minguettes, 21 Mars…

Des policiers enquêtant au sujet de fourrures volées veulent procéder à une perquisition chez un jeune soupçonné de recel. Oubliant un instant (?) que le temps des colonies est terminé, ils opèrent en territoire conquis, insultant tout le monde, humiliant les femmes, se conduisant en racistes sûrs de leur force et de leur droit. Manque de bol, la réaction de la cité est immédiate et violente. La révolte, l’instinct de conservation, toutes les vexations accumulées conduiront à un affrontement généralisé où les armes les plus diverses seront utilisées, de la vaisselle aux cocktails molotov. Dès le lendemain les autorités, par l’intermédiaire du Préfet Grasset, essaient de calmer les esprits en reconnaissant que la perquisition n’a pas été très bien conduite et que peut-être, il existe au sein de la police des éléments pas très sains.

Le 26 mars quelques jeunes des Minguettes ayant participé à la baston se rendront incognito à la manif de protestation contre la libération de Lopez… Lopez libéré après 4 mois de prison pour le meurtre de xxxxxxxxxx alors que d’autres passent bien plus de temps en taule pour vol, surtout s’ils ont tendance à être un peu bronzés. Une manifestation à peu près calme qui laissera sur leur faim la meute des journalistes attirés par le spectaculaire, attendu et presque souhaité, d’une quelconque provocation violente. Parallèlement d’autres jeunes des Minguettes se mettaient en grève de la faim pour essayer de briser l’image que tout le monde leur fout sur le dos, de loubards désœuvrés, empêchant de sécuriser tranquille.

« On laissera pas les bougnoules faire la loi dans les rues » (rumeur lyonnaise)

Avant de revenir sur la grève de la faim en elle-même, il y a déjà quelques éléments à prendre en compte.

Dans l’affrontement du 21 mars, des cokes ont été utilisés et apparemment c’étaient des engins fabriqués soigneusement. Or il est à peu près clair que ce type d’outils ne correspond pas à la démarche de gens qui se sentent agressés encore plus que d’habitude à un moment ponctuel, laissent éclater leur rage spontanément. Plus généralement, même si n’importe qui peut se fabriquer un cocktail et l’utiliser et même si certains ont déjà parlé d’auto-défense, ça ne correspond pas actuellement à la situation dans les banlieues d’un point de vue de l’organisation existante, de la vision des choses, etc. On peut alors se demander d’où ils viennent et qui ils servent, dans une période où le mouvement des jeunes immigrés est en train de construire un rapport de force, une démarche indépendante qui n’en est pas encore globalement à utiliser ces arguments et n’a pas besoin de professeurs de pseudo-guérilla.

Un autre problème qui dépasse le cadre de l’immigration, est celui de l’attitude même de la police et des courants qui la traversent. Les manifestations organisées récemment par les syndicats de droite et d’extrême droite ont révélé publiquement qu’il existe au sein de la police (comme ailleurs bien sûr, et sans que cela signifie que les autres gardiens de la paix soient des anges) des gens dont l’idéologie et les pratiques sont particulièrement dangereuses surtout quand elles sont accompagnées du pouvoir que donnent l’autorité et le pistolet de service. Or dans les banlieues encore plus qu’ailleurs, les Rohrs sont confrontés directement à ces racistes légalement armés qui ne se privent pas de faire sentir leur force, en accentuant encore la tension existante. De plus, ces mêmes syndicats entretiennent par l’intermédiaire de communiqués dans les journaux locaux l’image de loubards bronzés protégés par le laxisme socialiste, justifiant ainsi leurs propres agissements. Ces phénomènes, la montée publique d’un fascisme sournois nous interpellent aussi en tant que Français « 100 % » purs. Ils devraient également entrer en ligne de compte dans l’élaboration d’un « soutien » éventuel aux luttes contre le racisme et les conditions des immigrés, en nous faisant comprendre clairement qu’il ne s’agit pas d’aider les pauvres arabes victimes des méchants beaufs mais bien de participer à notre propre sauvegarde, à la préservation de nos propres différences, tout en l’envisageant sur des bases collectives et suivant les priorités du moment. Il serait peut-être temps que certains militants de gauche cessent de trimballer des complexes vis-à-vis des Nord-Africains ou une attitude condescendante par rapport à la soi-disant immaturité politique de ceux-ci. Ils, nous avons, et nous aurons probablement de plus en plus besoin d’une solidarité consciente, acceptant certaines contradictions et difficultés de communication, dépassant une simple apposition d’un sigle au bas d’un tract de soutien.

Grève de la faim : choix ou nécessité ?

Après ce qui s’était passé le 21, un certain nombre de jeunes ont décidé de se mettre en grève de la faim pour obtenir la satisfaction de revendications précises. On peut penser, en appliquant nos schémas classiques qu’ils se sont fait avoir en participant indirectement à un vaste projet du pouvoir socialiste visant à trouver des solutions douces à la délinquance sans en remettre en cause ses fondements (voir CA n° 24), impression renforcée par le choix des médiateurs : Sublet, député PS, Bouchet ancien bâtonnier de l’ordre des avocats, Cordier secrétaire UD CFDT, Decoutray archevêque de Lyon et par le rôle ambigu mais concret de Delorme, curé de gauche. Mais cette grève a été décidée à un moment où il devenait urgent aux Minguettes de briser l’image de violence tissée par les médias. Pas seulement urgent politiquement, juste au niveau de la survie, de faire baisser la tension ou la paranoïa existante, sorte d’engrenage dangereux où s’accentuent les risques de bavures. Ensuite, les revendications exprimées partaient d’une réalité précise et immédiate

— Droit au travail, principalement sur le chantier de rénovation de la cité.

— Libération de « §Tunch », arrêté à la suite des affrontements.

— Ouverture d’une commission d’enquête sur l’attitude des flics.

— Mise en place d’une structure de dialogue.

Les résultats obtenus sont bien sûr en deçà des demandes initiales : une dizaine seulement de gens des Minguettes embauchés sur le chantier (dont le projet a été considérablement activé par cette montée de violence !). Suspension des arrestations avec maintien des inculpations ce qui met bon nombre de jeunes en situation d’otages à l’intérieur de la ZUP et provoque une trouille larvée. Mise en place d’une commission de prévention bidon servant plus à assurer un contrôle social qu’à trouver des solutions…

De tout ceci ressort l’impression qu’une minorité, loin d’être homogène, mais arrivant toujours plus ou moins à se trouver des formes d’organisation et ses outils de lutte, est en train d’émerger sur le terrain social. Qu’elle apprend sur le tas les rouages politiques, confrontée à la fois à la dégradation croissante de ses possibilités de survie par la montée du racisme et de sa légitime violence comme expression caricaturale de sa négation par le capital qui n’a plus besoin d’elle, et à un projet d’intégration ou d’utilisation autre qui lui est tout aussi extérieur, même s’il est moins dangereux physiquement. Deux données au milieu desquelles les immigrés doivent naviguer suivant les circonstances, en ayant besoin de gagner même partiellement, certaines luttes pour ne pas se décourager, mais en ne respectant presque jamais les pseudo-réalités de la crise, ce qui risque de donner du fil à retordre aux gestionnaires qui nous gouvernent.

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