Article signé G. Bernier paru dans Le Libertaire, n° 347, 12 février 1953, p. 3
ENFIN ce livre est paru en français (1).
Pour ceux qui avaient eu l’occasion de connaître cet ouvrage édité à New-York en 1942 et qui avaient ressenti à la lecture cet enthousiasme que l’on n’éprouve que pour quelques livres dans une vie, c’est une joie profonde.
Le titre de cet ouvrage est net et montre déjà un des points essentiels de l’œuvre de Wilhelm Reich qui place l’orgasme au centre du problème sexuel. Bien que cela paraisse évident à la lecture, Reich a démoli cette notion erronée de « puissance » basée uniquement sur la possibilité d’exécuter l’acte sexuel (et avant lui plus un individu peut répéter l’acte sexuel, plus il est puissant) et a montré que si les sujets névrosés sont capables de relations sexuelles, ils ne sont jamais capables de cette puissance orgastique qu’il définit comme étant « la capacité de s’abandonner au flux de l’énergie biologique sans aucune inhibition ».
Reich détaille les mécanismes de l’orgasme et de la sexualité mais nous ne pouvons aborder ici cette partie trop complexe et impossible à résumer.
Pour Reich « la santé psychique dépend de la puissance orgastique, c’est-à-dire de la capacité de se donner lors de l’acmé de l’excitation sexuelle ». Il montre combien elle est liée aux conditions sociales.
Toute notre société concourt à rendre intérieures les contraintes extérieures. Les individus perdent la confiance en eux-mêmes :
« L’individu élevé dans une atmosphère de négation de la vie et du sexe acquiert un plaisir angoissé, la peur de l’excitation et du plaisir… »
« Ce plaisir angoissé est le terrain sur lequel l’individu se crée les idéologies qui nient la vie et qui deviennent les bases des dictatures. C’est le fondement de la peur de vivre d’une manière libre et indépendante. Il devient la source où toutes les activités politiques réactionnaires, où tous les systèmes de domination d’un individu ou d’un groupe sur une majorité de travailleurs puisent leur force ».
C’est ainsi qu’opprimés au départ dans ce qu’il y a de plus vital en eux, les hommes s’éloignent de la vie. Ils prennent des attitudes contraires à la nature :
« Le devoir a remplacé la joie naturelle dans le travail et l’activité. La structure caractérielle moyenne des êtres humains s’est modifiée dans la direction de l’impuissance et de la peur de la vie, de sorte que les dictatures trouvent un terrain préparé pour s’établir mais aussi peuvent se justifier en mettant l’accord sur les attitudes humaines existantes, telles que le manque de responsabilité et l’infantilisme. La dernière catastrophe internationale est l’effet ultime de cet éloignement de la vie. »
Or, l’homme ne sera capable de vraie liberté tant qu’il ne pourra accomplir normalement l’acte sexuel (orgastique) :
« Le processus sexuel, c’est-à-dire le processus biologique expansif du plaisir est le processus vital producteur essentiel ».
Reich a également montré combien l’élucidation du problème sexuel et de la « fonction du vivant » constitue un danger pour le « régime dictatorial autoritaire de toute espèce qui, par sa morale obsessionnelle et par son attitude obsessionnelle envers le travail, tente de détruire la décence spontanée et l’auto-régulation naturelle des forces vitales ».
Reich montre combien la dictature autoritaire se retrouve partout et est une tendance humaine générale :
« Bien que je n’appartienne à aucune organisation politique ou religieuse j’ai néanmoins une notion définie de la vie sociale. Ce concept… est scientifiquement rationnel. Aussi je pense qu’il n’y aura pas de paix durable sur notre terre et que toutes les tentatives de socialiser les êtres humains resteront vaines tant que des politiciens et des dictateurs de toute sorte qui n’ont pas la moindre notion du processus actuel de la vie, continueront à mener des masses d’individus endémiquement névrosés et sexuellement malades. La fonction naturelle de socialisation de l’homme est de garantir le travail et la réalisation naturelle de l’amour. »
D’autre part, Reich s’attaque à l’autorité religieuse et à la morale qui participent à la destruction de l’homme et à l’éloignement du bonheur. L’autorité représente toujours une solution de facilité. Tout au long de son livre, Reich se révolte contre ces manifestations d’autorité : la famille qui tend à détruire la sexualité de l’enfant, le mariage et la continence avant le mariage, le plaisir sexuel condamné s’il n y a pas procréation et sur le fait que l’on voit des « autorités » médicales accepter ces principes. Il signale l’importance de la peur de la grossesse et du coitus interruptus qui sont le point de départ de nombreuses manifestations névrotiques.
Reich, sans doute parce qu’il est un « savant consciemment social » donne toute leur importance aux conditions matérielles — entre autres le logement. Les sujets qui ont faim, ceux qui sont logés à plusieurs dans une pièce ne peuvent avoir une vie sexuelle normale, deviennent souvent des névrosés.
« Si nous voulons réaliser une prophylaxie des névroses, nous devons obtenir un changement radical dans tout ce qui les cause ».
Reich est le premier à avoir démontré que le refoulement sexuel est d’origine socio-économique et non pas d’origine biologique.
On sent combien Reich a été marqué par les expériences qu’il a vécues en Allemagne et au cours de la guerre mondiale. Ce chapitre « l’Irrationnel fasciste » mériterait d’être entièrement reproduit tant il est riche en idées et combien il donne à réfléchir. D’ailleurs l’auteur a écrit sur ces questions un ouvrage remarquable : « Psychologie de masse du fascisme ».
Les révolutionnaires ont souvent eu une méfiance à l’égard de la psychanalyse pensant que les névroses sont réservées aux gens aisés qui peuvent se les permettre. Reich qui a travaillé dans de nombreuses cliniques pendant toute sa vie affirme que les névroses se rencontrent sans distinction de classes, prenant seulement des formes différentes suivant les niveaux.
Souvent aussi on entend dire :
« Et puis après, qu’en aurai-je de plus quand j’aurai compris les raisons de mon déséquilibre ? »
Reich analyse de façon si claire et si profonde les mécanismes de dérèglement de notre psychisme que déjà cela peut aider un certain nombre de sujets à comprendre leur sexualité on leurs troubles. D’autre part, Reich propose une méthode de traitement que nous n’avons pu aborder ici.
Enfin l’auteur montre à quel point les troubles individuels sont le reflet d’une société centralisée mécanisée qui pousse à la névrose individuelle et collective. Reich, en étudiant ces problèmes d’ordre sexuel et psychanalytique à la lumière de faits sociaux, nous donne des arguments scientifiques pour ce que nous avons tous senti à titre individuel et collectif : il n’y a pas de possibilités de Vie réelle en cette société.
Le fait qu’un grand esprit comme celui de Wilhelm Reich soit resté éloigné de tout compromis avec les autorités quelles qu’elles soient et partisan acharné de la liberté, nous donne espoir et confiance.
On comprend pourquoi Reich fut si violemment attaqué en Norvège, arrêté en Amérique, rejeté par les psychanalystes, attaqué par les réactionnaires, les fascistes, les communistes-staliniens, par les socialistes, par tous !
Reich ne peut qu’être combattu avec acharnement par tous ceux qui d’une façon ou d’une autre participent à l’histoire du monde en acceptant l’autorité.
Nous espérons qu’en France nous serons nombreux à lire ce livre, à le diffuser et à tirer profit de cette lecture qui apporte des bases scientifiques de haute valeur aux revendications sociales.
G. BERNIER
(1) En vente à notre service de librairie : 793 fr. franco.