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Un grand débat public israélo-arabe à Paris organisé par le Comité International de la Gauche pour la Paix au Moyen-Orient

Article signé F. R. paru dans Éléments, revue du Comité de la gauche pour la paix négociée au Moyen-Orient, n° 4, 1er trimestre 1970, p. 76-79

Le Comité International de la Gauche pour la Paix au Moyen-Orient a organisé à Paris au Théâtre Hébertot un grand débat public sous la présidence du peintre Marek HALTER, entre Uri AVNERY, député israélien, auteur de l’ouvrage « Israël sans sionisme » qui vient de paraitre en traduction française (1) et Lotfallah SOLIMAN, journaliste et écrivain égyptien, sur le thème : « Les voies de la Paix au Moyen-Orient ».

Les formations politiques de Gauche ainsi que la presse quotidienne et hebdomadaire étaient largement représentées.

Dans la salle qui était archicomble (850 places) on remarquait les représentants des ambassades arabes, israélienne et soviétique ainsi qu’un certain nombre de personnalités palestiniennes.

Marek HALTER ouvre le débat en priant l’assistance et les participants « de ne pas transformer ce débat comme tant d’autres en une explosion de passion qui n’est en soi ni très persuasive, ni très constructive. Je pense – poursuit Marek HALTER – qu’il y a assez de violence sur le terrain. Je crois que nous n’avons pas besoin de transporter cette violence jusqu’ici. Notre lutte est une lutte idéologique, et je pense que les idées justes n’ont pas besoin de matraques pour les soutenir ».

Marek HALTER rappelle ensuite rapidement les positions du Comité :

« Au Moyen-Orient comme ailleurs, et au Moyen-Orient peut-être plus qu’ailleurs, il est nécessaire de changer les structures économiques et politiques ».

« Pourquoi cette révolution ne s’est-elle pas encore produite ? C’est qu’il est impossible actuellement de mobiliser les masses tant arabes qu’Israéliennes pour une lutte effectivement révolutionnaire car elles sont mobilisées par leurs gouvernements dans le conflit israélo-arabe. La poursuite de ce conflit permet à des régimes réactionnaires de survivre, à des gouvernements réactionnaires de se maintenir au pouvoir et donne l’excuse à ceux qui ont voulu réaliser certaines réformes de ne pas l’avoir fait. Ce conflit par ailleurs permet une pénétration des forces impérialistes et néo-impérialistes dans la région, et les peuples du Moyen-Orient, vingt ans après la décolonisation, sont toujours aussi dépendants des puissances étrangères. »

« C’est en arrêtant ce conflit qu’on libérera les masses exploitées dans cette partie du monde pour une lutte véritable d’émancipation politique et sociale.

Ce slogan que nous avons lancé au mois de mai 1968 à la Sorbonne n’est donc pas une formule creuse, à savoir : « Au Moyen-Orient, seule la paix est révolutionnaire ».

Quant au second volet du conflit, pour moi le plus important, qui est le conflit israélo palestinien, nous sommes témoins de la naissance d’une nation ».

« Nous nous trouvons donc de la part des Palestiniens devant une véritable revendication nationale. Sans rien enlever à leurs revendications, il faut pourtant souligner qu’il ne s’agit pas ici d’une révolution socialiste ».

« On ne peut pas parler ici d’une conscience de classe et d’une possibilité pour une révolution véritable ».

« La revendication nationale palestinienne est juste, mais pour qu’elle ne se transforme pas en une revendication nationaliste et réactionnaire, obligée de prendre en considération l’existence en face d’elle d’une nation israélienne ».

Il termine en soulignant que :

« Sans la reconnaissance réciproque de ces deux nations, aucune mobilisation révolutionnaire au Moyen-Orient n’est possible. L’ignorer, c’est faire consciemment ou non le jeu de la réaction. Pour transformer les luttes nationales en lutte de classes, il faut donc qu’il y ait d’abord deux nations constituées en classes ».

Puis il donne la parole à Lotfallah SOLIMAN.

D’emblée le ton est donné : l’orateur évoque les incidents de l’avant-veille à Censier (Faculté des Lettres) où une réunion avec projection d’un film sur la Palestine, organisée par le Mouvement pour la Palestine, n’a pu avoir lieu en raison de l’intervention aussi brutale que déplorable d’un groupe d’opposants casqués et armés de matraques. On sent le méritoire effort de L. SOLIMAN pour se contenir lorsqu’il déclare : « Nous avons épuisé toutes nos réserves d’indignation ».

Dans la première partie de son exposé il trace ce qui est pour lui le cadre du problème. Il dénonce d’abord la propagande sioniste qui « exploite aussi bien la Bible que les fours crématoires » ; il examine ensuite le terme de « paix » : celui-ci ne doit pas être séparé de tout ce qui l’accompagne : « il y a eu la pax romana, la pax germanica, même Hitler parlait de paix ». Ce que demande L. SOLIMAN et il insiste fortement : « C’est une paix qui se conjugue avec la justice ».

Une telle paix ne saurait être établie « sur une tumeur maligne » celle constituée par l’établissement de l’État d’Israël.

Le problème fondamental « c’est que l’injustice initiale soit réparée ». Pour cela « une force s’est levée dont ne viendrait pas à bout tout l’Occident coalisé ».

Dans la deuxième partie L. SOLIMAN présente la solution qu’il considère comme la seule possible :

« Une Palestine égalitaire et démocratique ». Il récuse l’offre qui serait faite « à la Palestine-peuple de se constituer en peuple-état sur une partie seulement de son territoire, celle qui lui serait concédée par l’usurpateur ».

Comment envisage-t-il le sort des Israéliens ? Parlant de « cette communauté dont l’antisémitisme de l’Occident nous a confié le destin » il déclare « nous tendons la main à ce qu’il y a encore de sain dans ce peuple. C’est l’extrême limite de nos concessions ».

Une partie de la salle qui avait à plusieurs reprises interrompu l’orateur proteste plus vivement et l’interroge sur le sort réservé à ce qui est « malsain dans ce peuple ».

Le silence revenu la parole est donnée à U. AVNERY.

Uri AVNERY marque le contraste entre les deux interlocuteurs : SOLIMAN représente une grande part de la nation arabe, lui AVNERY ne représente qu’une petite partie de son peuple et il répond aux deux points de l’intervention de L. SOLIMAN.

1. – « Votre paix n’est possible que par la guerre totale faite au peuple israélien qui est attaché à son pays et son État. Que seront le peuple palestinien, le peuple égyptien après cela, après peut-être une guerre atomique, bactériologique, une guerre d’extermination ? « On pourra peut-être détruire le peuple israélien, mais le prix à payer sera affreux. A ceux qui invoquent souvent le sort fait au royaume des Croisés il faut dire qu’il y a aujourd’hui d’autres armes qu’à cette époque. On doit considérer comme un axiome fondamental qu’on ne saurait détruire un État moderne sans payer un prix énorme ».

« Même si il y avait eu une injustice transcendantale faudrait-il la réparer par une guerre faisant des millions de morts ? » Il faut trouver une autre façon de réparer l’injustice.

Quant au peuple israélien il est une réalité, il n’est pas plus « une invention de l’impérialisme que de M. Gromyko ». « Si deux millions et demi d’hommes veulent être un peuple cela suffit pour faire un peuple. Ces hommes pensent qu’ils sont un peuple, que là est leur pays et ils sont prêts à mourir pour cela ».

Ce qui représente un malheur, une situation peut-être unique dans l’Histoire, c’est que deux nations croient également que ce pays est le leur.

2. – Avnery revient ensuite sur la solution de l’État unitaire.

Avnery considère qu’il y a une similitude frappante entre le programme d’El Fatah et le programme du Grand Israël : il y a la même « manque d’honnêteté intellectuelle » chacun faisant semblant d’accepter que l’autre peuple soit majoritaire démographiquement et politiquement.

Il ne saurait y avoir dans la situation actuelle que deux États. Si l’on veut qu’un jour cette terre soit unifiée, et voit la fin des différences politiques et des oppositions religieuses, il faut admettre que ce sera après un processus très lent. On peut commencer par des liaisons économiques établies de telle sorte que l’État palestinien ne soit pas dans la position d’exploité.

Et surtout il faut libérer le Moyen-Orient des impérialismes. « C’est le conflit entre deux peuples sémites qui a ouvert le Moyen-Orient à l’emprise presque totale de l’URSS et des USA ».

Pour finir Avnery demande aux Arabes « ne pas être « hypnotisés par le passé ».

Quant au peuple israélien, les dernières élections ont montré a quel point il reste dans le doute : il n’a pas été plus convaincu par les tenants du Grand Israël qui ne croient pas la paix possible avec les Arabes que par les amis d’Avnery qui, au contraire, croient cette paix possible.

Se tournant vers Soliman, Avnery conclut ainsi :

« Donnez-nous les moyens de convaincre le peuple israélien que la paix est possible, si effectivement vous voulez la Paix ».

Marek Halter redonne la parole à Soliman qui insiste sur deux points :

a) on invoque généralement le « réalisme » face à ceux qui veulent se libérer. « Ainsi ce soir on oppose réparer l’injustice et vivre, en considérant qu’il faut choisir de vivre. Je réponds que je veux à la fois réparer l’injustice et vivre. »

« Mon programme est dit « idéal » se passe des petits détails. »

b) « je reconnais qu’il y a au Moyen-Orient un véritable délire, une psychose de guerre, et des deux côtés. Mais qui l’a amené ce délire ? Celui qui a dit à l’autre « nous voulons vivre entre nous sans vous » et l’a mis à la porte. »

« Au contraire les Palestiniens disent qu’ils veulent vivre dans une Palestine unique, avec ce qu’il y a de sain dans le peuple israélien. »

Avnery reprend la parole pour deux ultimes réponses :

a) « Les Palestiniens à qui on a demandé d’être à cette table ce soir ont refusé. Alors s’ils ne veulent pas parler avec moi, avec qui veulent-ils vivre en Israël ?

Il y a bien le programme d’El Fatah mais « les hommes palestiniens ne rencontrent aucun homme israélien« .

« Les Palestiniens ne nous connaissent qu’à travers des slogans. La reconnaissance doit passer par la connaissance. »

b) « J’étais ce matin encore en Belgique. Si deux communautés appartenant à une même nation, qui n’ont pas connu de guerre inexpiable entre elles ne parviennent pas à s’entendre alors comment nos deux peuples le pourraient-ils et dans l’immédiat ? « 

La salle passionnée interrompit souvent les orateurs. Avnery dût même regretter que Soliman ait été le plus gêné.

Il a aussi regretté vivement que certains Arabes aient employé le mot « nazi » en parlant des Israéliens. Il a souligné ce que ce mot signifie pour les Juifs et demandé aux Arabes de s’abstenir de l’employer à la légère.

On put entendre le journaliste palestinien et Président de l’Union des Étudiants palestiniens en France, Daoud TALHAME, insister sur la volonté de son peuple de rentrer chez lui et affirmer que « notre peuple lutte pour prouver d’abord qu’il existe ».

A cela, le journaliste israélien (rédacteur au « Ma’ariv ») Hesi CARMEL, a répondu que la majorité des Israéliens reconnaissent l’existence du peuple palestinien et de ses droits, « mais qu’il est curieux que les Palestiniens qui luttent pour leur reconnaissance, oublient de reconnaître le peuple, la nation d’en face Israël ».

Lorsque la parole fut donnée au public, les débats intelligibles cessèrent pratiquement.

Marek HALTER a terminé la soirée en rappelant l’importance de tels débats :

« Chaque projet de coexistence passe par la connaissance et il ne peut y avoir de meilleur moyen de se connaître que de se rencontrer ».

« Le Comité de la Gauche poursuivra donc sa politique qui consiste à permettre aux deux parties d’entamer un dialogue — base même d’une compréhension et de tout changement aussi bien intellectuel que politique au Moyen-Orient. »

F. R.


1) Voir page 84 la critique de ce livre par Jean-François REVEL.

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