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Algérie : Liquidation de la révolution ?

Article paru dans Le Combat syndicaliste, n° 356, 1er juillet 1965, p. 1

LE 18 juin, Ben Bella démentait un prétendu « conflit qui existerait au sein de la direction révolutionnaire en Algérie » et affirmait que, sous sa direction socialiste, son pays était « plus uni que jamais ». Fort de cette affirmation gratuite, il annonçait des mesures de clémence en faveur des « égarés », pour employer son expression, à la tête desquels se trouvait Aït Ahmed.

Le 19 juin, à 3 h. 30, un détachement de l’A. L. N. prenait position à la villa du président de la « République démocratique et populaire » et, dans la matinée, le renversement du chef de l’Etat algérien était porté à la connaissance du monde entier.

On pouvait penser un instant que le peuple algérien, désabusé par un socialisme d’Etat qui ne lui a rien apporté, avait décidé de prendre les choses en mains et de pousser jusqu’au bout les conquêtes de la guerre et de la révolution. Mais on devait bientôt se rendre compte qu’il n’en était rien : une révolution de palais ne saurait mettre en jeu que le mode d’exploitation du peuple et non pas traduire les aspiration profondes de ce peuple. L’appel des putschistes au respect d’une discipline imposée d’en haut et appuyée par la force armée, la censure complète imposée d’urgence à tous les moyens d’expression ont démontré d’emblée le caractère autoritaire et purement politique des événements. On ne nous fera pas prendre un simple coup d’Etat pour un réflexe populaire, et l’on ne nous fera pas croire que les nouveaux dirigeants ont agi avec l’appui moral des masses exploitées. Le peuple algérien a tout simplement changé de maîtres et nous craignons, en ce qui nous concerne, que ses nouveaux maîtres ne soient pires que les précédents, bien qu’ils aient été également à nos yeux les liquidateurs de la révolution sociale algérienne.

Ben Bella déclarait très récemment : « Dans ce pays, il n’y a jamais eu d’autre parti que le F.L.N. et il ne saurait y en avoir d’autres. » C’est la conception du parti unique et dictatorial, inaugurée en U.R.S.S., que nous connaissons trop bien (l’existence de plusieurs partis ou d’un seul aboutit d’ailleurs pour nous au même résultat : asservissement des travailleurs par l’illusion politique et trahison des revendications sociales et économiques). Les nouveaux dirigeants ne changeront pas grand-chose à la formule : conservant l’appareil bureaucratique ils donneront, de par leur appartenance, un caractère nettement militaire à la nouvelle dictature et n’auront pas honte, comme leurs prédécesseurs, de se revendiquer du socialisme. Car les récents événements d’Algérie ne correspondent pas à une révision de fond de l’idéologie, mais à une réforme des structures destinée à préparer la soumission complète des masses à l’appareil d’Etat.

Le fait que le leader Boumedienne affirme que « l’armée doit jouer un rôle politique » montre assez qu’il entend conserver les structures d’une société calquée sur la société capitaliste, car le véritable socialisme interdit, par définition, la persistance d’entités telles que l’armée « régulière », l’ « armée de métier » faite de mercenaires qui, pour la plupart, n’ont aucune position idéologique et pour lesquels se battre n’est pas une nécessité révolutionnaire, mais un gagne-pain assure dans un pays en complète désorganisation économique. Ces gens, qui ont fait un métier de la guerre, seront toujours avec les exploiteurs contre le peuple, même s’ils se trouvent, du jour au lendemain, en contradiction avec eux-mêmes.

La conception d’une « armée du peuple, au service du peuple », qui serait celle du colonel Boumedienne, est une mystification de plus, car une armée de métier est seulement au service de celui qui la paye le mieux. A cette conception, le véritable socialisme révolutionnaire oppose l’armement général du peuple et la formation de milices prolétariennes placées sous la direction du peuple lui-même et auxquelles doivent être étrangères toutes notions de hiérarchie.

Mais le véritable socialisme, ou communisme libertaire, fondé sur l’égalité économique et sociale, l’organisation fédéraliste et rationnelle de la production et de la consommation, la suppression du profit, ne s’impose pas d’en haut, mais saurait être seulement le fait d’une initiative consciente des masses exploitées : et c’est là que nous devons craindre le pire pour l’Algérie et, à moins d’une réaction violente des masses contre la dictature militaire de l’A.L.N., la liquidation définitive de la révolution sociale algérienne, car les nouveaux dirigeants entendent durcir l’intervention étatiste dans l’organisation des structures économiques et s‘opposer à toute initiative populaire (inspirée dans une certaine mesure du véritable fédéralisme) dans ce domaine.

On peut donc présumer que l’orientation de la politique « sociale » algérienne aboutira à un capitalisme d’Etat semblable à celui du bloc soviétique bien que, par ailleurs, les nouveaux leaders soient réputés favorables aux conceptions pro-chinoises.

Pour notre part, nous dénonçons la dictature de demain comme celle d’hier et comme nous dénonçons toute forme de dictature et d’asservissement économique et intellectuel de l’individu. Nous ne cesserons de répéter que le socialisme ne se construit pas par en haut mais par en bas, par l’initiative et la volonté révolutionnaire des exploités et non par un parti politique ou une dictature militaire dont les seuls buts sont la conservation du pouvoir et des privilèges par l’esclavage des masses.

L’Etat, c’est l’abstraction qui réprime, au nom du maintien d’un certain nombre de privilèges, l’évolution naturelle tendant à la satisfaction égale des besoins, à l’égalité économique et sociale du fédéralisme libertaire, c’est la négation de la vie.

Les syndicalistes révolutionnaires pensent qu’il y a beaucoup plus de raison pratique et d’esprit dans les inspirations instinctives et les besoins réels des masses populaires que dans les structures complexes et incompétentes des Etats, qu’ils se disent capitalistes ou communistes, qui n’aboutissent qu’au gaspillage des forces productives et des richesses naturelles pour sauvegarder les hiérarchies factices, les privilèges et les profits.

En Algérie, comme partout ailleurs, la Révolution sociale sera possible lorsque les masses laborieuses ne se laisseront plus subjuguer, formeront leurs propres mouvements sociaux historiques et agiront selon leur propre gré.

L’anarcho-syndicalisme, plus que jamais, apparaît comme la seule issue capable de sortir les masses, par leur propre volonté, de l’impasse et de l’illusion politiques.

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