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Structure de la résistance algérienne

Article paru dans Nouvelle Gauche, 1ère année, n° 6, 24 juin 1956

TOUS les militants nationalistes algériens se réclament de deux organisations : le F.L.N. et le M.N.A.

Ces mouvements, qui ont pour objectif l’indépendance de l’Algérie, n’en poursuivent pas moins l’un contre l’autre une lutte souvent sanglante et qui paraît incompréhensible aux Français mal renseignés sur tous les aspects du problème algérien.

Sans vouloir nous immiscer dans une querelle intestine de la résistance algérienne, et dans un simple but de documentation, nous avons cru utile de rappeler les origines de ces deux mouvements afin d’aider nos lecteurs à une meilleure compréhension de la réalité algérienne. L’un et l’autre sont originellement issus du Mouvement pour le Triomphe des Libertés Démocratiques (M.T.L.D.), principal parti nationaliste algérien créé au lendemain de la dernière guerre.

A la suite d’une vive discussion qui avait opposé Messali Hadj, fondateur du Parti Populaire Algérien (P.P.A.) en 1937 et président du M.T.L.D., à la majorité du Comité central de cette organisation, le M.T.L.D. a éclaté en trois tendances rivales.

Les partisans de Messali, rassemblés au Congrès d’Hornu au printemps 1954, ont affirmé continuer le parti sous la direction de Messali élu président à vie, et ont prononcé l’exclusion des membres du Comité central qui lui étaient opposés. Ils continuèrent à publier « L’Algérie Libre ».

Les partisans de la majorité du Comité central prononcèrent à leur tour l’exclusion de Messali et de Mezerna, au cours d’un Congrès tenu à Alger et entendirent également continuer le M.T.L.D. Ils décidèrent de publier « La Nation Algérienne ».

Messali et ses amis accusaient les centralistes de réformisme et leur reprochaient notamment la collaboration des élus municipaux avec Jacques Chevallier, à la mairie d’Alger.

Les centralistes répliquaient que la tactique pratiquée avait été décidée par le Comité central et que le débat portait uniquement sur le problème de la direction collective du parti revendiquée par eux ou de la direction personnelle que Messali avait tenté de leur imposer.


Il semble que tandis que la majorité des militants de base se rangeaient derrière Messali, la majorité des cadres se prononçaient pour les centralistes.

La polémique engagée ne tarda pas à revêtir, de part et d’autre, un caractère violent et injurieux, comme c’est d’ailleurs le cas lors de toute scission.

Ces deux tendances agissaient au grand jour ; mais tandis qu’elles s’entre-déchiraient, un groupe de jeunes activistes, pour la plupart anciens membres de l’O.S. (Organisation spéciale à caractère plus ou moins paramilitaire) fraîchement sortis de prison et encore clandestins parce que interdits de séjour, se regroupaient en une troisième tendance intitulée C.R.U.A. (Comité Révolutionnaire d’Unité et d’Action), qui publiait un bulletin clandestin « Le Patriote ». L’objectif du C.R.U.A. était de refaire l’unité du mouvement en passant à l’action directe.

Avec l’appui de la délégation du M.T.L.D. au Caire, les dirigeants du C.R.U.A. déclenchèrent l’insurrection le 1er novembre 1954. Le 5 novembre, le gouvernement dissolvait le M.T.L.D. et jetait en prison les leaders messalistes. Le 22 décembre, il faisait arrêter à leur tour les centralistes.

L’action armée se développant, de nombreux militants rejoignaient le C.R.U.A. tandis que les messalistes, rassemblés au sein du Mouvement National Algérien (M.N.A.), proclamaient leur volonté de participer à la lutte pour l’indépendance de l’Algérie sous l’égide de Messali Hadj, fondateur du nationalisme algérien.

Le C.R.U.A. se transforma bientôt en Front de Libération Nationale en appelant toutes les organisations existantes à se fondre en son sein, estimant que la lutte armée n’était plus compatible avec l’existence de partis politiques légaux ou clandestins ; pour lui, la direction tant politique que militaire doit, au moins pendant la période de la guerre, appartenir à ceux qui dirigent le combat et les hommes politiques qui veulent œuvrer à l’indépendance de l’Algérie doivent se rallier à l’organisation qui a été fondée par les premiers combattants.


Au fur et à mesure du développement de l’insurrection et de la répression, les anciens dirigeants politiques du Comité central et de l’U.D.M.A. se rallièrent au Front de Libération Nationale (F.L.N.) après avoir préalablement prononcé la dissolution effective de leur organisation.

Par contre, les militants du M.N.A. poursuivaient la lutte sous leur bannière traditionnelle. Ils affirmaient que si l’insurrection posait des problèmes militaires essentiels, elle n’en demeurait pas moins un problème fondamentalement politique et estimaient qu’un parti révolutionnaire tel que le M.N.A. ne pouvait se fondre dans une organisation à laquelle s’étaient ralliés les réformistes ou même d’anciens élus administratifs.


Il est difficile, sous peine d’être taxé d’impartialité, d’apprécier la force respective de chaque mouvement.

Tandis que le Front affirme contrôler la totalité des maquis algériens, le M.N.A. revendique la majorité. Les observateurs français demeurent partagés ou perplexes devant ces affirmations. Parmi les Algériens de France, les étudiants sont en général frontistes, tandis que le M.N.A. prédomine dans les milieux ouvriers où le Front recrute cependant.

Les uns et les autres préconisent une Constituante algérienne élue au suffrage universel, sans distinction d’origine, de race ou de religion. Toutefois, le F.L.N. ne situe cette consultation électorale qu’après la proclamation de l’indépendance et l’installation d’un gouvernement algérien. Il refuse de faire confiance à l’administration française pour organiser les élections. Il accepte cependant de négocier directement avec le gouvernement français sous la seule condition d’une reconnaissance préalable du droit à l’indépendance.

Le M.N.A. se prononce pour la convocation d’un Aix-les-Bains algérien où pourront s’exprimer tous les courants politiques d’Algérie. Cette conférence aurait pour but de déterminer les conditions d’un cessez-le-feu suivi de l’organisation d’élections libres sous contrôle international.

On a beaucoup parlé au cours de ces dernières semaines de rapprochement entre le F.L.N. et le M.N.A. Il semble bien qu’il s’agissait là de rumeurs sans consistance ou pour le moins prématurées.

Chaque mouvement, en effet, se proclame pour l’unité, mais demeure sur ses positions quant aux conditions de cette unité.

Le Front estime le maintien d’organisations distinctes incompatible avec les nécessités de la guerre, mais se déclare prêt à admettre en son sein, à titre individuel, les membres du M.N.A., y compris Messali qui pourrait continuer à y jouer un rôle politique.

Le M.N.A., qui juge impossible la coexistence dans une organisation unique d’éléments de différentes origines, préconise la constitution d’un Comité de coordination, tel qu’un Conseil national de la Résistance, où figureraient à la fois des représentants du M.N.A. et du F.L.N.

NOUVELLE GAUCHE.

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