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Pierre Lambert : Le M.T.L.D. contre les capitulards

Article de Pierre Boussel dit Pierre Lambert paru dans La Vérité, n° 340, du 1er au 14 octobre 1954, p. 1-2 ; suivi de « Quand la terre tremble… »

L’EXCLUSION de toute une série d’ex-dirigeants du M.T.L.D. a ouvert publiquement le dossier des divergences qui ont opposé à l’intérieur du Mouvement National Algérien, l’écrasante majorité du Parti groupé autour de Messali Hadj et ces éléments.

En juillet 1954, dans la Vérité, nous résumions nos positions ; dépassant le problème des personnes, l’enjeu de la discussion c’est la fidélité à l’action intransigeante du P.P.A., en fait l’efficacité du Mouvement National dans sa lutte pour l’indépendance, ou une politique de compromissions sans principes avec l’administration et le stalinisme qui amènerait la dégénérescence et la ruine du M.T.L.D.

Aujourd’hui notre intention demeure. Dans une série d’articles nous entendons fournir à l’avant-garde révolutionnaire du prolétariat français une analyse et des perspectives indispensables à l’action conjointe du peuple algérien pour sa libération et du prolétariat français contre l’impérialisme et son Etat.

Mis en cause par les ex-dirigeants exclus dans leur journal, force nous est cependant de consacrer ce premier article à une réponse circonstanciée. Nous espérons que cette introduction permettra de mieux définir la nature capitularde de cette tendance, dont les méthodes sont au niveau, d’une idéologie qui se veut scientifique et réaliste, et qui ne recouvre que la plus vulgaire des marchandises réformistes.

TROTSKYSME ET MOUVEMENT NATIONAL

Les relations de notre Parti avec les ex-dirigeants de la Fédération de France du M.T.L.D. particulièrement, sont bien connues. Elles se sont nouées en 1945, lors des massacres de Sétif et de Guelma, quand face à la répression et aux calomnies monstrueuses dirigées en parfaite unité d’action par l’administration et le P.C.F., les trotskystes, comme organisation, furent les seuls à prendre publiquement la défense du P.P.A. et de ses dirigeants. En appelant le prolétariat français à combattre contre la répression impérialiste, nous restions fidèles à la politique de soutien inconditionnel des mouvements de libération nationale des peuples opprimés, quelle que soit l’idéologie de sa direction.

C’est en partant de ce postulat que nous avons mené campagne pour le soutien au Néo-Destour. Par exemple, lorsque les dirigeants du P.C.F. et du P.S. se désolidarisaient de son action durant l’expérience Chénik – le P.C.F., on s’en souvient, a tenté avec le P.C. Tunisien et l’U.S.T.T. de saboter à deux reprises les grèves générales organisées par l’Union Générale des Travailleurs Tunisiens et le Néo-Destour. Et pourtant nous formulions les plus expresses réserves quant à l’expérience de collaborations ministérielles. De même aujourd’hui nous sommes pour le soutien du sultan Sidi Mohammed Ben Youssef, bien qu’il soit à peine besoin de souligner notre condamnation de la forme monarchique de gouvernement. Mais, communistes conséquents, nous estimons que tout coup porte à l’impérialisme représente un pas en avant dans la voie de la Révolution. Aujourd’hui le retour du sultan, imposé par l’action des masses, signifierait qu’un coup formidable a été asséné à l’ennemi principal du prolétariat français qui est et demeure l’impérialisme français.

Pour le trotskysme, la lutte intransigeante pour l’indépendance nationale des peuples opprimés ouvre la voie à la Révolution socialiste. Et cela suffit pour que nous apportions notre soutien à tout pas en avant effectué par un Parti Nationaliste.

Les ex-dirigeants de la Fédération de France connaissent cette position. Leurs perfides attaques contre nos buts « inavoués » ne visent qu’à se couvrir du côté du stalinisme, qui, il n’y a pas si longtemps, les qualifiait eux-mêmes de trotskystes, quand ils étaient véritablement révolutionnaires. Ce n’est pas là un fait du hasard, si nous voyons l’administration impérialiste et le stalinisme apporter leur soutien « inconditionnel » aux ex-dirigeants du M.T.L.D. Nous y reviendrons.

METHODES ET POLITIQUE

Un des idéologues, imposant, fumeux, et prétentieux, ex-dirigeant en vue de la Fédération de France du M.T.L.D., nous rencontrait en juillet 1954. Disert et bavard, il fut le premier à vouloir nous informer de la « crise » du M.T.L.D. Durant de longues heures il attaqua avec véhémence et hargne les méthodes de Messali. Nous refusâmes de discuter sur ce terrain, étant ignorant de la vie intérieure du M.T.L.D. Nous lui posâmes plusieurs questions dont :

1° Approuves-tu la politique de Kiouane, votant le budget de la ville d’Alger ? Réponse : Je la désapprouve.

2° Estimes-tu correct que lors du massacre des six Algériens membres du M.T.L.D. le 14 juillet 1953, ce soit en France le P.C.F. et non le M.T.L.D. qui réussit à en monopoliser le bénéfice politique à la suite de votre inaction ?

Réponse :

« J’estime qu’à Alger la direction n’a pas été à la hauteur de la situation, en refusant d’organiser des manifestations pour ne pas gêner la nouvelle politique inaugurée au Conseil municipal d’Alger. »

Nous avons alors rétorqué à notre informateur bénévole. Si donc tu estimes correctes les critiques de Messali sur l’action de la direction, et c’est ce qu’il affirme, discutes méthodes avec lui et ne couvres par Kiouane dont tu condamnes la politique. Les méthodes sont au service d’une politique.

Les grandes protestations contre les méthodes de Messali ne visent en effet pour les ex-dirigeants du M.T.L.D. qu’à couvrir une politique de capitulation devant l’impérialisme. Il est clair que nul besoin pour nous était de discuter avec Messali, pour condamner la pratique publique d’une politique aboutissant à voter le budget colonialiste de la ville d’Alger, au nom d’un soi-disant réalisme.

Nous en terminerons avec ce problème des méthodes, en relatant que rendez-vous fut pris, pour discuter « politique ». Nous n’avions pas alors, en juillet 54, les buts « inavoués » dénoncés en août 54. Bien au contraire, notre ex-dirigeant du M.T.L.D. voulait nous garantir contre les méthodes de Messali. Par pneumatique – à la suite de l’article concernant la « crise » du M.T.L.D., parue dans le dernier numéro de la Vérité – le rendez-vous fut décommandé, d’ailleurs en termes extrêmement fraternels.

UNE TENDANCE CAPITULANT DEVANT L’IMPERIALISME

Cela est fort compréhensible. Il était impossible de nous mener en bateau. Le double jeu ça ne marche pas longtemps. Les problèmes sont à présent clairement posés. Les exclus reprochent à Messali et à l’immense majorité du M.T.L.D. leur intransigeance et leur volonté tenace de conquérir l’indépendance naturelle du Peuple Algérien. Dans le rapport des exclus pour le « Congrès » du 15 août, Messali est accusé d’avoir « provoqué » son arrestation.

En effet, les exclus osent écrire :

« En avril-mai 52, il fallait éviter l’action spectaculaire impliquant la participation des foules » … Messali est condamné par les exclus pour « avoir employé un langage extrêmement violent », politique d’autant plus condamnable « que des incidents sanglants se déroulaient tout près de la frontière de Tunisie ».

Cela paraît à tel point incroyable, que l’on se demande si cela a été véritablement écrit. Et pourtant ces lignes sont textuellement extraites du rapport des exclus. Ainsi voilà des gens qui se proclament réalistes, qui proclament leur solidarité avec le Néo-Destour et l’Istiqlal. Dans une situation où les dirigeants destouriens sont emprisonnés, où la répression s’étend dans toute l’Afrique du Nord, où les masses tunisiennes et marocaines combattent, ces ex-dirigeants condamnent l’appel aux actions de solidarité de l’homme qui incarne la lutte pour l’indépendance algérienne ! Ils condamnent Messali d’avoir voulu dresser le peuple algérien aux côtés des peuples frères de Tunisie et du Maroc dans l’action commune contre l’impérialisme.

Mais de tels écrits ont une autre signification. Les ex-dirigeants exclus s’adressent directement à l’interlocuteur impérialiste, à qui des avances directes sont faites.

« Voyez-vous, déclarent en substance les exclus à MM. Chevalier, Léonard, aux colons, nous sommes bien sages, nous condamnons les aventures. Nous sommes prêts à transiger et à discuter. Au conseil municipal d’Alger cela est devenu un fait. L’obstacle dans cette voie c’est la politique de Messali. Aidez-nous ! »

Nul doute que ce langage soit entendu par l’administration. Mais les ex-dirigeants exclus se sont à jamais disqualifiés devant le peuple algérien. La révolte d’en bas, de la base du M.T.L.D., les a liquidés. Les militants et le peuple algérien ont appris dans leur chair et leur sang, au cours de longs et durs combats, que l’indépendance ne peut être arrachée dans la voie de la capitulation et de l’adaptation à l’impérialisme. Et c’est pourquoi il ne restera rien de la tendance des exclus.

P. LAMBERT.


MESSALI HADJ DÉPORTÉ EN VENDÉE

Pendant que certains dirigeants du M.T.L.D. s’orientent vers une politique de « compréhension mutuelle » avec l’impérialisme français, ce dernier montre une fois de plus qu’il connaît ses vrais adversaires. Messali Hadj, déporté à Niort, vient d’être transporté en Vendée, « sur sa demande » (!).

Coude à coude avec leurs frères algériens, les travailleurs français protesteront contre cette aggravation d’une mesure de déportation, prise contre le plus prestigieux leader national maghribin par un gouvernement qui se recommande de la « détente » en Afrique du Nord. Ils imposeront la libération de MESSALI HADJ !


Quand la terre tremble…

FAUT-IL que la terre tremble pour que les autorités s’aperçoivent qu’il y a des Algériens en Algérie ? Cela nous rappelle un certain abbé Pierre qui, du temps où il faisait froid – vous vous souvenez ce fameux hiver 1953-1954 – et découvrir à l’opinion publique l’existence de malheureux, crevant faute d’abri.

La terre a tremblé en Algérie. Orléansville fut rasée ou peu s’en faut. Le bilan est tragique : près de 1.300 victimes et toute la presse y est allée de sa larme. Le monde a un peu eu peur. C’est que voyez-vous les séismes, bien que les savants en connaissent mal l’origine, ont cette particularité de frapper indistinctement riches ou pauvres, ceux qui sont bien vêtus et ceux qui vont en haillons, ceux qui sont bien logés et ceux qui couchent dehors. Et contre ces séismes, rien à faire, pas question de gendarmes, de C.R.S., du maintien de l’ordre ou de forces supplétives, tout le monde est frappé, toutes les maisons se lézardent et s’écroulent. C’est la justice. Eh bien ! non, même dans ce cataclysme, il n’y a pas de justice. L’égalité dans le malheur n’est qu’apparence et la preuve, c’est le douar de Beni-Rached.

Un des douars les plus importants de la région, peuplé de plusieurs milliers d’habitants et qui, de plus, se trouvait être l’épicentre de ce tremblement de terre, ce douar fut découvert par hasard, au cours d’une reconnaissance qu’effectuaient quelques journalistes dans la région, quarante-huit heures après le tremblement de terre.

Discrète, la presse, sur le douar Beni-Rached, très discrète. Autant les cris, les larmes, les reportages, les photos, les envoyés spéciaux étaient abondants pour Orléansville, autant pour Beni-Rached la discrétion fut grande. Dans ce douar, il ne devait pas y avoir le téléphone, il n’y avait surtout pas de colons. Mais qui racontera l’agonie des habitants qui, les jambes écrasées, le bassin fracturé, les hémorragies abondantes, périrent faute de soins ? Qui dira que Beni-Rached c’est la marque même de ce colonialisme barbare, injuste et spoliateur même et y compris devant le pire des fléaux ?

Personne, car les journalistes, les bourgeois, les gouvernementaux, les partis ont largement et pleinement satisfait leur conscience en envoyant des messages de sympathie, ce qui ne leur coûtait pas grand-chose et en organisant des collectes de solidarité, ce qui ne leur coûtait rien du tout. Et c’est de nouveau l’appel aux contribuables, car c’est lui qui paiera 400 millions (une misère) prélevés sur les économies réalisées dans le budget métropolitain des habitations à loyer modéré. Pourquoi Mendès-France n’a-t-il pas rapporté l’un de ces fameux décrets économiques faisant cadeau aux patrons d’une baisse sur les tarifs de gaz et d’électricité et représentant la somme de 50 milliards ? Voilà qui aurait changé quelque chose et les 400 millions étaient largement dépassés. Il est vrai qu’alors, le plan économique n’aurait pas été réalisé, les trusts auraient été mécontents. Alors ? Que la terre tremble à Orléansville ou ailleurs, le contribuable paiera.

Treize cents victimes, cela fait quelque chose, c’est un affreux record laissant loin derrière les tremblements de terre de Chicago, de la Martinique ou de Grèce. C’est la nature aveugle que l’homme n’a pas encore réussi à dompter. Mais de tous ceux qui ont versé leurs pleurs sur les treize cents cadavres maculés de terre ou de plâtre, combien ont protesté contre cet autre fléau, autrement dévastateur, autrement conscient, autrement prémédité qui ravagea cette même terre d’Algérie, il y a de cela neuf ans. C’était à Guelma et à Sétif. La terre trembla, là aussi, mais c’était sous les bottes des C.R.S. et des gendarmes, l’air vibra et se déchira sous les balles et les bombes … et il y eut 45.000 victimes. Qui pleura alors ? Qui s’éleva contre ce massacre plus terrible que le séisme d’Orléansville ? Personne, « on » avait oublié les Algériens. Faut-il que la terre tremble…

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