Catégories
presse

Aimé Cacheux : Une odieuse campagne de presse. « Coupables » d’être Algériens

Article d’Aimé Cacheux paru dans Droit et Liberté, n° 148 (252), 15 septembre 1955, p. 6

POUR justifier les mesures prises contre les Algériens, aussi bien dans leur pays qu’en France, une certaine presse essaie de les dépeindre comme des bandits, des dévoyés. Sous différentes épithètes, elle s’efforce d’entourer d’un climat de méfiance et de haine les quelque trois cent mille Nord-Africains qui ont été contraints de venir vivre en France. Tous les moyens sont bons, y compris le mensonge pur et simple.

En voici un exemple flagrant :

Du Journal du Dimanche :

« Le gérant d’un hôtel, 13, rue Sadi-Carnot, à Ivry, a été tué ce soir par un de ses locataires ».

Et il précise :

« Le Nord-Africain a tiré cinq balles sur M. Fauvel, qui a été tué sur le coup ».

Or, ce qui est vrai, c’est que M. Fauvel a tué Sahib Ladjami.

Ce M. Fauvel gère un hôtel à Ivry. Grossier et violent, il loue ses chambres au double de leur valeur et use de toutes les brimades qui sont à sa disposition (arrêts de lumière, d’eau, non fourniture de draps, etc … ).

C’est la haine raciste qui l’a conduit jusqu’au crime.

Il y a quelques années, ce drôle d’hôtelier frappait ses clients avec un nerf de bœuf.

Jamais il n’avait été inquiété.

Il est bon de souligner que sa victime partait en vacances et avait payé son loyer jusqu’en décembre. Donc, ne lui devait rien.


Il existe d’autres formes de falsification qui, pour être plus subtiles, n’en sont pas moins malhonnêtes. Celle qui consiste, par exemple, à mettre en relief les délits, si petits soient ils, commis par les Nord-Africains, ou à jeter la suspicion sur eux chaque fois qu’un crime a été commis, quitte à ne plus en parler une fois connu le vrai coupable.

Tandis que Rivarol s’efforce de justifier les opérations policières de la Goutte d’Or, en parlant de « rackett nordaf », L’Aurore titre une fois de plus : « Toujours la pègre arabe » et monte en épingle en les numérotant des faits divers, où des Nord-Africains sont impliqués, plus ou moins arbitrairement. Prenant prétexte d’incidents qui seraient passés sous silence s’il s’agissait de Français, ce journal généralise pour créer une psychose raciste.

Dans le numéro 4 de la série même les conséquences d’un accident, les déclarations unanimes des témoins qui transportent le blessé à l’hôpital, sont déformés.

Insidieusement L’Aurore feint de s’étonner:

« Interrogés sur l’origine de la blessure, tous, avec ensemble déclarèrent que le malheureux avait fait une chute de bicyclette.

« Les individus qui ont amené le mourant à l’hôpital, ont disparu et sont activement recherchés.

« Police et gendarmerie de meurent, par ailleurs, en état d’alerte pour prévenir toute manifestation de la part des Nord-Africains ».

On ne voit pas très bien pourquoi …

Dans Le Monde, au sujet d’un crime commis au bois de Vincennes, nous lisons:

« Peu de temps avant le crime et à proximité de l’endroit où il fut commis, un passant avait été dévalisé par un jeune Nord-Africain, dont la nervosité était intense et qui l’avait menacé « d’un couteau à lame forte ».

Le rédacteur essaie de suggérer au lecteur, sans autre preuve :

« L’agresseur de M. Quéré est-il l’assassin de M. Gyesse ? Et sa nervosité n’explique-t-elle pas son acharnement ? ».

Pour France-Soir, une agression nocturne ne peut être le fait que de Nord-Africains.

« M. Caban est attaqué et grièvement blessé à coups de couteau, à Colombes.

» M. Caban est resté inanimé une partie de la nuit. Ce n’est qu’à 2 heures du matin qu’il a été secouru par des passants et transporté à l’hôpital Beaujon. Son état est grave ».

L’auteur de cet article affirme que plusieurs Nord-Africains sont les auteurs de cet attentat. Comment le sait-il ?

Et voici le comble : le compte rendu d’une audience du tribunal correctionnel de Nevers :

« Arrêté pour vagabondage, Larbi Hamdadou, Nord-Africain, âgé de 29 ans, ne parlant qu’imparfaitement le français, restera en prison durant un mois encore ».

Le Journal du Centre, duquel est extrait cet article, ajoute ce commentaire :

« Ce jugement le délivre ainsi de tout souci, relatif à l’existence sans but qu’est actuellement la sienne ».

Curieuse façon pour ce journaliste de résoudre les difficultés des Nord-Africains et de donner un but à leur existence. Mais y aura-t-il assez de prisons ?

Tous les jours, des Nord-Africains meurent victimes de la surexploitation. Dans ce cas, la presse déjà citée se contente de relater l’accident le plus brièvement possible, quand elle n’oublie pas purement et simplement d’en parler.

Il en est de même chaque fois qu’un Nord-Africain a fait preuve de probité, de courage ou de désintéressement. C’est le mensonge par omission, la forme la plus hypocrite du mensonge.

Voilà qui montre où s’alimente la haine.

Aimé CACHEUX.