Catégories
presse

Halte au racisme !

Dossier paru dans Rouge, n° 218, 31 août 1973

MARSEILLE : contre la haine raciale

Ils soufflent le froid après avoir soufflé le chaud. Pendant deux jours, radios et journaux ont puissamment contribué à créer un état de psychose : « Marseille a peur ». La belle aubaine, la diversion inespérée, que l’émotion créée à Marseille par le meurtre d’un chauffeur d’autobus et qui pouvait détourner l’attention de la lutte des travailleurs de Lip, du climat social de la rentrée !

A Marseille même, 2 journaux se sont partagés le travail. Le Méridional appelait au meurtre. Le Provençal de Defferre constatait, sans porter de jugement, la montée de l’indignation populaire. Il a fallu attendre ce mardi 28 août pour que le 1er secrétaire de la fédération du PS, Emile Loo, publie une mise en garde contre le racisme dans le Provençal.

La veille, France Soir et les radios avaient changé de ton, lancé des appels au « calme a et à la « raison ». Sans doute était il gênant pour le pouvoir, après la collusion ouverte du 21 juin de se trouver mêlé par UJP et CDR interposés aux ratonneurs du Front National et de la CFT.

Mais pouvoir et patronat ont pu mesurer en ces quelques jours l’efficacité de l’intoxication raciste. Aux organisations ouvrières de prendre la mesure du danger !

Ces dernières journées à Marseille ont révélé combien est profond le racisme latent et comment un fait divers monté en épingle peut faire enfler une vague xénophobe, peut créer au cœur de la population des réflexes de peur, de haine, d’autodéfense raciale. Les têtes suivent quand les ventres s’affolent, et pas seulement dans la petite bourgeoisie commerçante et chez les employés, mais aussi dans des couches importantes du prolétariat.

LA RIPOSTE

L’UD-CGT a pris en charge avec l’intersyndicale des traminots l’organisation des obsèques d’Emile Guerlache. Elle a ainsi contribué à éviter qu’un caractère raciste et vengeur ne soit donné par certains à cette cérémonie (le risque était réel, la corporation des traminots étant profondément touchée par le meurtre). Cela était juste, cela était de sa responsabilité élémentaire. Elle donne à ce drame un prolongement revendicatif, contre la conduite à agent seul, pour assurer la sécurité.

Mais ce travail n’a pas été accompagné d’une nécessaire campagne militante contre le racisme dans les entreprises et dans la rue. Campagne vigoureuse de dénonciation et d’explication, pour l’unité du prolétariat français et immigré contre leur seul ennemi : le patronat.

Les déclarations de presse de l’UD-CGT sur ce thème, noyés dans un pathos humaniste et pleurnichard, ont tenu lieu de campagne et quelques éditos anti-racistes de la Marseillaise.

Ainsi désarmée face à la vague raciste, la bureaucratie syndicale a été amenée à un recul sur le terrain du soutien aux luttes. L’UD-CGT a annule la manifestation pour Lip, organisée et préparée avec la CFDT, le mardi 28 à cause de « l’atmosphère de pogrom suscitée par les mouvements racistes », précise le communiqué de l’UD, la campagne raciste devenant prétexte à renoncer à une manifestation de solidarité ouvrière, le seul terrain sur lequel une riposte anti-raciste est efficace ! Seule la CFDT, Révolution !, les lecteurs et sympathisants de Rouge défilèrent à 500 sur la Canebière, puis traversèrent le quartier arabe aux cris de « travailleurs-français, immigrés : Solidarité » !

Organiser sur une grande échelle une campagne d’explication et de mobilisation anti-raciste, c’est la tâche des révolutionnaires. Tache urgente devant un péril inquiétant.

correspondant par téléphone le 28.8.73

ILS TUENT

Le 25 août. Un Nord-Africain tué et deux blessés par balles dans un café du Perreux.

Le 27 août – Marseille. Un immigré trouvé mort, avec cinq balles dans le corps à l’entrée de l’autoroute nord.

Le 28 août – Marseille. Un jeune Arabe de 16 ans tué par une rafale tirée d’une voiture. Dans le même quartier, un Arabe est blessé d’une balle dans le pied.

Le 28 août – Un algérien abattu devant un foyer en Moselle.

Les fascistes se croient revenus au beau temps des ratonnades. Ces crimes ne resteront pas impunis.


Dossier immigration

HALTE AU RACISME !

La vermine s’étend. La multiplication et la simultanéité des agressions contre les travailleurs immigrés ne laissent aucun doute : il ne s’agit nullement de faits isolés, couvre de quelques excités. Non. Nous avons à faire face à une véritable campagne raciste, chauvine, xénophobe.

« Assez de voleurs algériens, assez de casseurs algériens, assez de fanfarons algériens, assez de trublions algériens, assez de syphilitiques algériens, assez de proxénètes algériens, assez de fous algériens, assez de tueurs algériens », écrit Le Méridional.

Quand on en arrive à ce stade de haine, la violence physique succède à la violence verbale, les paroles se traduisent en actes : le pogrom, le lynch ne sont pas loin.

Salah Bougrine, l’Algérien meurtrier du chauffeur de bus marseillais, a été à moitié lynché par la foule : il est toujours dans le coma. Le Figaro, qui s’en émeut, dénonce cette nouvelle loi du talion.

Il est temps !

A Ivry, un ouvrier portugais, frappé par une bande de nervis, se jette dans la Seine où il se noie.

A Grasse, les commerçants font la chasse à l’Arabe.

A Cagnes-sur-Mer, six Nord-Africains sont gravement blesses au cours d’une attaque.

A Ollioules, près de Toulon, une attaque similaire a lieu contre des travailleurs immigrés.

A Toulouse, des paras ratonnent les Arabes dans le centre de la ville.

Un jeune Algérien est abattu à Marseille.

Partout, des incidents multiples reflètent le racisme quotidien. Presque toujours, à l’origine des incidents, on trouve les charognards fascistes.

A Grasse, les commerçants ont été manipulés par Ordre Nouveau. A Ollioules, les ratonneurs étaient diriges par des membres du SAC qui réclamaient « un assainissement national passant par le four crématoire » (Le Monde, 28 août). A Marseille, un certain Comité de Défense des Marseillais s’est « spontanément » créé après le meurtre au cri de « Marseille ne sera pas Harlem ». C’est sans doute spontanément que ce comité a élu domicile au siège du Front National, paravent transparent d’Ordre Nouveau. Comme par hasard, tous les groupes fascistes appellent à la manifestation de ce fameux Comité de Défense.

Les choses sont claires !

Encouragée par une politique gouvernementale de renforcement du contrôle policier et des expulsions (les mesures transitoires de Gorse prennent fin le 30 septembre), une campagne raciste de grande ampleur se développe en France. Mais ne nous y trompons pas. Si la gangrène gagne si rapidement, c’est que les conditions sont propices. Il n’y a pas de fumée sans feu. Le racisme est inhérent au système capitaliste qui a besoin de dresser les peuples les uns contre les autres, les travailleurs les uns contre les autres, pour leur faire oublier leur exploitation commune. A l’heure où, dans toute l’Europe, les luttes ouvrières se durcissent et menacent le pouvoir bourgeois, celui-ci ressort la vieille recette éculée du « diviser pour mieux régner ». L’excitation à la haine raciale est d’autant plus dangereuse que nous savons combien le racisme latent imprègne la vie quotidienne, y compris, hélas, dans la classe ouvrière.

La Ligue Communiste a été interdite pour avoir manifesté, malgré les flics, contre un meeting raciste qui marquait le début d’une campagne « contre l’immigration sauvage ». Il n’a pas manqué alors de bonnes âmes pour reprocher aux militants de l’ex-Ligue d’avoir été se fourvoyer dans une action minoritaire.

Les quelques semaines qui viennent de s’écouler, cette flambée de violence raciste, entretenue et orchestrée, ont montré à quel point cette manifestation « minoritaire » était justifiée et indispensable. Plus que jamais doit se développer la solidarité de classe avec nos camarades travailleurs immigrés. Plus que jamais doit se mettre en place le front uni des organisations démocratiques et révolutionnaires pour combattre la vermine raciste.


CONTROLE DE L’IMMIGRATION

5 QUESTIONS
5 REPONSES

POURQUOI L’IMMIGRATION ?

L’immigration ne trouve pas ses racines dans la bonne ou la mauvaise volonté des hommes : les flux migratoires sont le produit direct des inégalités de développement économique entre différents pays (1). En règle générale les classes possédantes des pays développés comme celles des pays colonisés y trouvent leur compte :

Pour les exploiteurs des pays d’origine : elle réduit à peu de frais un chômage endémique lié à la sous-industrialisation sans créer d’emplois nouveaux ; elle fait rentrer chaque année plusieurs dizaines de milliards d’anciens francs (devise forte) pour un pays comme l’Algérie par exemple.

Pour les exploiteurs des pays d’accueil : elle offre une main d’œuvre commode :

« La présence de cette immigration donne à notre économie plus de souplesse, s’agissant de gens très mobiles, acceptant de changer d’entreprise, de région et le cas échéant, de devenir des chômeurs indemnisés (sic).

L’immigration est encore plus fructueuse dans la mesure ou elle permet à notre pays d’économiser une partie des frais d’éducation et de mieux équilibrer les charges de la nation : jeunes, immigrés, apportent souvent plus de cotisations qu’ils ne reçoivent de prestations. »
Usine Nouvelle, journal patronal (26.3.70)

Voilà pourquoi le patronat a besoin des 3.500.000 travailleurs immigrés qui sont arrivés aujourd’hui en France, chassés de leur pays par la misère ou le chômage. Leur migration est à la fois un produit du développement capitaliste et une aubaine pour ceux qui en profitent.

POURQUOI UN CHANGEMENT DANS LA POLITIQUE DU GOUVERNEMENT A CE PROPOS ?

Depuis les origines du gaullisme l’immigration clandestine fut tolérée, sinon encouragée par le gouvernement :

– en 1956, 80 % des immigrés étaient introduits en France par l’ONI (Office National de l’Immigration) et 20 % y arrivaient clandestinement.

– en 1970, l’ONI faisait rentrer 20 % des travailleurs étrangers et on comptait 80 % d’entrées clandestines.

Ainsi, pendant des années, tout comme la traite des blanches, l’immigration clandestine constitua une industrie discrète, mais florissante. Il est vrai qu’elle nourrissait des corporations entières : depuis les « passeurs », jusqu’à ceux qui procuraient des papiers à prix d’or, en passant par les marchands de sommeil … Rien que pour parvenir physiquement à destination, des travailleurs versaient parfois jusqu’à l’équivalent d’un an de salaire.

Le gouvernement fermait les yeux, bienveillant. Certains fonctionnaires tendaient même la main … Que ceux qui font semblant de découvrir aujourd’hui l’immigration clandestine ne jouent pas les Sainte-Nitouches.

« Clandestins » ? Il faudrait s’entendre. Si la police française peut faire merveille pour découvrir 10 grammes d’héroïne dans un talon de chaussure, comment ne voit-elle pas ces milliers d’hommes qui traversent les frontières ? Comment ne peut-elle repérer 500 tunisiens qui débarquent d’un coup à Marseille ? »

Sally N’Dongo posait la question dans le Nouvel Observateur No 456. Elle mérite de l’être en effet.

Aujourd’hui le gouvernement part en guerre contre l’immigration clandestine et prévoit un renforcement du contrôle de l’Etat sur la venue en France de travailleurs étrangers. On parle de « mettre fin a un scandale », d’« améliorer le sort des immigrés ». Mais derrière les bons sentiments de Fontanet et l’« humanisme » fielleux de Marcellin, il y a des raisons économiques et politiques profondes :

– La réorientation énergique vers une politique de contrôle de l’immigration par l’Etat bourgeois a été justifiée par l’augmentation du chômage (qui a atteint en 72 le chiffre le plus élevé depuis la seconde guerre mondiale. Fontanet l’a dit très clairement pour justifier sa circulaire scélérate :

« Le gouvernement va prendre des mesures pour réduire l’érosion du plein emploi (…). Il est évident qu’en période de moindre appel de la production, il serait anormal et contraire à l’intérêt des travailleurs étrangers de les faire entrer en France pour les condamner à devenir chômeurs ».

– Mais la France a été épargnée par la récession qui a touché d’autres pays européens. Le volume du chômage a légèrement diminué tout en se stabilisant à un niveau très élevé. Le gouvernement n’en a pas moins poursuivi sa politique en prévision d’échéances économiques plutôt sombres dans un contexte international très tourmenté.

La peur d’une crise possible dans des délais assez rapprochés avec de nouveau une flambée de chômage dicte sa conduite. Il veut se donner les moyens d’éviter l’exemple de l’Allemagne : en 1966, le gouvernement allemand confronté à une récession économique avait fait expulser 220.000 travailleurs immigrés. Fontanet-Marcellin marchent sur ses traces.

– Mais ce n’est pas la seule raison. Une politique semblable tend à être appliquée depuis quelques années dans presque tous les pays d’Europe. En France, même bien avant la circulaire Fontanet avait paru la circulaire Schumann du 29 juillet 68 qui en jetait les 1ères bases. Il est évident qu’un contrôle efficace de l’immigration offre au capitalisme avancé de grands avantages : non seulement celui de mieux peser sur le marché du travail et d’en adoucir les fluctuations, mais aussi, celui de fixer les immigrés dans une branche professionnelle particulière, de museler par un contrôle policier leurs activités politiques ou syndicales, de manipuler l’introduction d’immigrés exactement comme l’importation de vulgaires marchandises : en choisissant les nationalités présumées les moins remuantes et les plus facilement exploitables (les Turcs par exemple) et même en réglant d’Etat à Etat le volume du contingent d’immigrés pour le réduire ou l’augmenter au fil des relations diplomatiques (cf. l’Algérie).

C’est pourquoi, derrière les bavardages idéologiques, l’orientation vers un contrôle policier accru a déjà bien commence à passer dans les faits : aux frontières, on annonce un renforcement du filtrage grâce à des équipes de CRS, pour l’année 1972 – selon le journal patronal d’extrême droite Valeurs actuelles – l’immigration clandestine est passée à 44 %. Près de 38.000 immigrés en « situation irrégulière » ont été refoulés.

QUEL EST LE ROLE EXACT DES GROUPES FASCISANTS DANS CE CONTEXTE ?

Le racisme ne date pas d’hier. Il y a toujours eu des groupes d’extrême-droite prêts à casser du « bougnoul », du juif, ou du gitan, au nom d’une philosophie politique prêchant la pureté de la race.

Depuis la fin de la guerre d’Algérie et surtout depuis mai 68, ils sont en complète perte de vitesse. Et la lutte anti-fasciste résolue d’une partie de l’extrême-gauche n’y a pas peu contribué. « Occident » ou autre « Ordre Nouveau » n’ont pas souvent fait recette.

Mais des conditions existent aujourd’hui pour un regain d’activité dans ces eaux troubles sur des thèmes xénophobes. Le meeting du 21 juin à la Mutualité « contre l’immigration sauvage » en était un indice sérieux.

La politique actuelle du gouvernement permet en effet aux fascistes et racistes de tout poil à la fois d’y trouver une couverture et d’apparaître comme ceux qui poussent cette politique jusqu’à ses plus extrêmes conséquences : les « vrais » défenseurs du contrôle, les « vrais » ennemis de l’immigration clandestine. La similitude des thèmes développés est en effet frappante : Messmer a beau dire à la télé que la propagande pour ce meeting était raciste, la nauséabonde expression d’« immigration sauvage » n’est pas d’« Ordre Nouveau », mais bien de … Gorse lui-même qui une semaine avant ce meeting nazi disait dans une circulaire aux préfets : « Il ne saurait être question désormais de tolérer la persistance d’une immigration anarchique et sauvage » ! Est-il besoin de faire de larges commentaires ?

Mais l’affaire de Grasse, comme celle de Marseille ajoutent à cela des éléments nouveaux : à côté de groupuscules traditionnels d’extrême droite on a vu entrer en action d’autres forces comme le CDR des Bouches-du-Rhône qui publie un communiqué tonitruant pour demander au gouvernement « de prendre enfin des mesures pour que cesse une immigration incontrôlée dont se servent sans vergogne les syndicats à la solde de Moscou » (sic).

Il ne s’agit pas simplement de « bavures » logiques émanant de la piétaille militante des hommes de mains de l’UDR. C’est peut-être l’amorce d’une polarisation à droite qui s’exerce au sein même de certains courants de la majorité et qui prépare – pour l’après Pompidou – une relève encore plus musclée. L’hystérie raciste peut donner un ciment idéologique à toute une racaille disparate, inquiète devant la montée des luttes ouvrières, en particulier celle des immigrés et les difficultés du gouvernement à appliquer une politique cohérente.

C’est pourquoi, une affaire comme celle de Marseille doit être prise au sérieux. Bien sur les conditions pour que soit réalisée une telle opération, en montant en épingle un fait divers, étaient favorables : la présence de nombreux « pieds-noirs » dans tout le midi, concentrant un public réceptif.

Mais il faut suivre de près ce qui s’est passé là-bas (en particulier la tentative d’embrigadement d’une clientèle populaire dans un organisme comme le « Comité de Défense des Marseillais ») dont la devise est « Marseille ne sera pas Harlem ».

QUELLE EST LA POSITION DU PCF SUR LE CONTROLE DE L’IMMIGRATION ?

La position du PCF a beaucoup changé au cours de son histoire. Mais, dans la dernière période, elle n’a pas varié : elle est claire et cohérente avec ses perspectives politiques réformistes :

* Le PCF réclame un contrôle de l’immigration par l’ONI :

La position actuelle du gouvernement est définie avec netteté par Gorse dans un interview au journal patronal Entreprise (14-20 Août 1973) :

« Il s’agit d’abord de renforcer le contrôle des pouvoirs publics sur l’entrée des travailleurs étrangers en France afin de maîtriser et de limiter les flux migratoires. Une telle action suppose que l’on renforce les moyens mis à la disposition de l’Office National d’Immigration. »

Or le PCF se référant à la période de l’après-guerre ou des ministres communistes étaient au gouvernement, demande lui aussi une « planification de l’arrivée des immigrés », une « extension des pouvoirs de l’ONI ».

Il se démarque seulement du pouvoir en affirmant qu’il est pour la « démocratisation » de l’Office et la réalisation de mesures sociales. Cette demande de « démocratisation » traduit un regret des années ou patrons, gouvernement et directions syndicales décidaient en commun du volume et de la « qualité » de l’immigration. Loin de contrer les projets gouvernementaux, elles vont au devant des désirs d’un Gorse, qui cherche précisément à « mouiller » les syndicats en les associant aux mesures de contrôle qui provoquent l’hostilité de la masse des immigrés :

« J’ai l’intention d’associer les partenaires sociaux à la mise en œuvre de la politique d’immigration (…) j’ai décidé d’instituer auprès du président du Conseil d’Administration de l’ONI, une commission consultative comprenant des représentants des partenaires sociaux et qui pourra être consultée sur toutes les questions intéressant l’Office ».
(Entreprise, le 14-20 août 1973)

Le PCF est pour la limitation du pourcentage d’immigrés dans la population française.

Il n’est pas surprenant de voir un ministre appeler à son secours la sociologie bourgeoise pour parer de vertus scientifiques une politique froidement calculée en fonction des intérêts du capital. Ainsi Gorse déclare gravement : « On ne peut nier que dans certains cas, le seuil de tolérabilité (sic) soit atteint. » Mais que des centaines de milliers d’immigrés crèvent la faim, payés moins que les autres, logés dans des conditions innommables, voilà une chose qui n’a jamais empêché Gorse de dormir. C’est pleinement tolérable …

Mais ce qui est nettement plus inquiétant, c’est de voir le PCF faire appel aux mêmes critères pseudo-sociologiques : le 10 juillet 73, 15 jours après le meeting d’Ordre Nouveau à la Mutualité, L’Humanité se pose la question : « les sociologues ne disent ils pas qu’à partir de 17 % le seuil d’incitation au racisme est franchi ? (sic) ».

Et le même article cite en exemple la courageuse action de Joseph Blanchar, maire PCF de Saint-Martin-d’Hyères, dans une commune où le pourcentage d’immigrés est de 22,2 % ! C’est encore ce genre de considérations qui fait demander avec insistance aux maires PCF une limitation à 15% du nombre d’immigrés par commune pour ne pas alourdir les charges et pour éviter d’atteindre le fameux « seuil ». Ce qui revient à réclamer de l’Etat bourgeois qu’il ventile impérativement les immigrés dans les communes par de savants dosages, c’est-à-dire en fait qu’il limite leur liberté de circulation sur le territoire …

Il y a là dans toute sa nudité une politique réformiste qui déserte tout point de vue de classe pour adopter le vocabulaire de l’« intérêt national » ou même de « l’intérêt communal ». La dernière résolution du BP du PCF « pour une solution démocratique des problèmes de l’immigration » du 13 juillet commence par ces mots : « la France compte 4 millions d’immigrés … » Une politique qui se manifeste par mille mesquineries et mille sous-entendus : témoin ce projet de loi déposé en avril qui donne à l’immigre le droit « d’être entendu » (sic) par une commission composée de magistrats, de fonctionnaires des préfectures et de représentants des organisations syndicales ouvrières » avant de se faire expulser … Ce même projet donnant un statut privilégié aux « étrangers ayant un conjoint ou un enfant français », à ceux qui se sont battus « dans l’armée française ». Lors des guerres coloniales sans doute ? Incroyable mais vrai ! Cette politique abouti à désarmer les travailleurs, au moment précis où se produit cette poussée de racisme qui se fait de la question du contrôle un véritable étendard.

QUELLE EST LA POSITION DES REVOLUTIONNAIRES SUR LE CONTROLE DE L’IMMIGRATION

Les débats sur le contrôle de l’immigration ne sont pas chose nouvelle dans l’histoire du mouvement ouvrier.

Entre la CGT et la CGTU (entre 1921 et 1935) des polémiques se sont succédées :

– La CGT réformiste de Jouhaux défendait le contrôle de l’immigration par des organismes tripartites. Position soutenue par le PCF aujourd’hui.

– La CGTU de Frachon (dirigée par le PCF) y était violemment opposée.

En 1931, en pleine crise économique, au plus fort de la vague xénophobe, la CGTU défendit des positions internationalistes sur l’immigration : contre toute réglementation de la main d’œuvre étrangère en système capitaliste, libre jeu des courants migratoires, embauchage libre, suppression des contrats draconiens qui assujettissent la main d’œuvre étrangère au patronat, même droits de secours de chômage aux ouvriers étrangers afin de sauvegarder les droits et le travail de tout le prolétariat, suppression de tous les bureaux et offices de recrutement de la main d’œuvre étrangère, droit pour l’ouvrier immigré de changer à son gré de profession.

Les termes de ce débat ne sont pas aujourd’hui fondamentalement modifiés :

– Réclamer le contrôle de l’Etat bourgeois sur l’immigration, demander l’extension des pouvoirs de l’ONI dans une période ou le chômage menace, c’est s’engager sur une terrible pente savonneuse : le contrôle de l’Etat aujourd’hui, cela ne peut rien vouloir dire d’autre que le renforcement des CRS aux frontières, l’existence d’investigations plus poussées de la police, un pouvoir accru des commissariats sur la main d’œuvre immigrée, le feu vert à la répression sous toutes les formes,

Réclamer le contrôle de l’Etat, c’est avaliser de fait les critères de contrôle, reconnaître le droit à sa bourgeoisie de choisir les étrangers les plus jeunes et les plus robustes, de faire jouer l’immigration comme un régulateur de marche, etc …

– Quant à demander le contrôle tripartite patrons-syndicats-gouvernement, cette revendication est l’image même de la collaboration de classe. Elle conduit les dirigeants syndicaux nationaux à discuter en commun avec leurs exploiteurs : combien « notre » économie a-t-elle besoin d’immigrés? Ou va-t-on les mettre ? Dans quel pays les chercher ?

Les travailleurs n’ont rien à gagner à ce genre d’« union sacrée ».

La clarté des positions sur le contrôle de l’immigration est décisive dans toutes les luttes d’aujourd’hui :

* C’est parce qu’il avait une position en faveur du contrôle que le PCF après la parution de la « circulaire Fontanet » a d’abord commencé par souligner ses « aspects positifs » pour la critiquer ensuite, devant la montée des luttes d’immigrés.

* C’est parce qu’ils n’avaient aucune position bien définie que des militants sincères au premier rang de la lutte contre la circulaire Fontanet, avaient proposé de régulariser la situation des grévistes de la faim en incluant leur nombre dans les contingents de l’ONI, ce qui revient à retomber dans la logique réformiste de contrôle de l’Etat.

C’est pourquoi, la seule position de classe qui considère les intérêts généraux du prolétariat et non ceux qu’on suppose être de la main d’œuvre nationale, la seule position politiquement défendable pour des militants révolutionnaires, c’est le refus de tout contrôle de l’immigration, le libre jeu des courants migratoires et la lutte acharnée pour l’égalité des droits entre travailleurs français et immigrés.

DISSOLUTION DE L’ONI
TRAVAILLEURS FRANÇAIS-IMMIGRES,
MEME PATRON, MEME COMBAT.

F. LOURSON.


(1) Il n’est pas question ici de l’immigration politique qui ne représente en France qu’un faible % de l’immigration globale.


LE PCF ET L’IMMIGRATION

(virages et continuité)

1921-1935 :

C’est la période « dure » : le PCF et la CGTU se battent contre les réformistes de Jouhaux : libre jeu des courants migratoires ; contre toute forme de contrôle de l’immigration par l’Etat bourgeois ; contre la création d’organismes paritaires ou tri-partites associant les syndicats à ce contrôle ; pour des offices nationaux et internationaux strictement ouvriers visant à faire connaitre l’état du marché du travail et les conditions d’existence de chaque pays aux candidata à l’émigration.

1935 :

La CGTU capitule devant les positions de la CGT au moment de la réunification syndicale : d’accord pour des « commissions paritaires de la main d’œuvre étrangère ».

1936 :

Pas de mots d’ordre particuliers en faveur des immigrés avancés pendant la grève générale de juin 36. Pas de résolution immigrés au congrès confédéral de Toulouse (1936) et de Nantes (1938). La SGI, société privée de recrutement de main d’œuvre, office de négriers patronal n’est pas dissoute par le gouvernement Blum.

1939-1945 :

Pendant la guerre, on mobilise les immigrés à part pour les associer au chauvinisme ambiant Le CADI est fondé dans la clandestinité pour mobiliser les immigrés dans l’effort de guerre et ensuite pour la reconstruction de la France (L. Gani).

1946-47 :

A la Libération, le ministre du travail est Ambroise Croizat membre du PCF. Parti de gouvernement, celui-ci joue le jeu de la « reconstruction nationale » de l’économie capitaliste et s’oppose aux grèves. Croizat décide une immigration massive. Objectif : 3.000.000 de travailleurs immigrés à importer pour redresser le pays ; Thorez insiste même pour qu’on mette les prisonnier allemands au travail. Croizat crée l’ONI (organisme où siègent gouvernement, patrons et syndicats) prévu comme moyen de contrôle exclusif de l’immigration. Cela signifie en pratique : le refoulement d’immigrés italiens passés en fraude, la lutte contre l’immigration politique des pays de l’Est. Des lois sociales sont votées. Comme prévisible les patrons tournent les lois (immigration clandestine, embauche au rabais…).

1947 :

Les ministres communistes sont exclus du gouvernement, les syndicalistes ne vont pas tarder à l’être de l’ONI, l’immigration spontanée se développe.

1948 :

Le PCF est dans l’opposition. La CGT se prononce pour l’arrêt de toute immigration Elle ne parle plus de contrôle.

1958 :

La CGT se prolonge à nouveau pour un contrôle syndical de l’immigration et réclame le retour de ses représentants à l’ONI.

1963 :

Début de la remontée des luttes ouvrières (grève des mineurs). La CGT abandonne le mot d’ordre d’arrêt de l’immigration dont la dynamique est évidemment raciste, pour revenir à des mots d’ordre de contrôle.