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Bourgeoisie et opportunisme la main dans la main contre les travailleurs immigrés

Article paru dans Le Prolétaire, 11e année, n° 164, 7 au 27 janvier 1974, p. 1-2

Au moment où la crainte de la récession agite de nouveau le monde bourgeois, une série de faits récents – le blocage de l’immigration en Allemagne et au Danemark, le succès renaissant en Grande-Bretagne de mouvements chauvins type Enoch Powell, le renvoi des travailleurs yougoslaves de Peugeot, les déclarations du ministre Gorse et des syndicats en France sur la probable réduction de l’immigration, et enfin l’attentat contre le consulat algérien de Marseille venant après une quarantaine d’attentats recensés depuis le mois d’août – mettent en lumière les rendements matériels du racisme contre les travailleurs immigrés et le caractère réactionnaire de tous les remèdes réformistes « nationaux » aux contradictions bourgeoises.

Les « progressistes » qui veulent voir dans le racisme, comme dit le Figaro du 19 décembre, un « mal qui siège au cœur de l’homme » cherchent à isoler une « pègre raciste » et à en faire l’unique responsable des agressions de tous ordres contre les travailleurs immigrés. La situation actuelle ne montre-t-elle pas assez clairement (et cela ne fait que commencer …) comment le capitalisme menacé frappe d’abord les couches prolétariennes les plus vulnérables, en essayant de renvoyer provisoirement hors des frontières nationales une partie de l’armée de réserve ? Comment, en même temps, il joue de la concurrence entre les travailleurs et des oppositions qui en naissent, pour faire d’une catégorie de prolétaires les boucs émissaires de la crise, et pour pousser les ouvriers eux-mêmes à admettre comme naturelles les mesures prises contre ces travailleurs, au nom d’une soi-disant « protection de la main-d’œuvre nationale », que le capitalisme ne se prive pas de jeter par ailleurs sur le pavé ? Naturel que les deux-tiers de l’humanité crèvent de faim quand la productivité du travail et les capacités d’exploitation des ressources ont crû en cent ans dans des proportions fantastiques ? Naturel, que les entreprises, sous prétexte d’un ralentissement de la production, rejettent dans le chômage et la misère les travailleurs qu’elles ont exploité jusqu’à l’usure pendant les années précédentes ? Si tout cela est naturel dans le cadre de l’économie capitaliste, alors c’est le capitalisme qu’il faut abattre !

Mais la bourgeoisie est puissamment secondée dans ses efforts pour faire accepter les scandaleuses contradictions du capitalisme comme des lois éternelles, et pour proposer en guise de remède des mesures qui perpétuent sa domination en aggravant la division des exploités.

Bergeron, secrétaire du syndicat Force Ouvrière, qui réclame ouvertement une limitation de l’immigration pour pallier les effets de la crise, n’a pas de mal à prouver que la CGT et le PCF, malgré leur indignation hypocrite, n’ont pas en réalité un programme différent lorsqu’ils demandent « la régularisation de la situation des immigrés actuellement en France avant toute nouvelle introduction de main-d’œuvre » (l’Humanité du 13 décembre). Toutes les mesures sur l’immigration proposées par le PC bien avant la circulaire Fontanet (par exemple son projet de loi d’avril 67) vont en ce sens : elles réclament un contrôle et une limitation de l’immigration par l’Etat sous prétexte de combattre l’exploitation des travailleurs étrangers par les négriers de toute espèce, comme si les travailleurs n’étaient pas obligés de suivre le capital là où il les appelle, et comme si cette migration, si douloureuse soit-elle, ne constituait pas, comme le rappelait Lénine, la base matérielle de leur unification. Le président du Front National fascisant, Le Pen, tient d’ailleurs le même raisonnement : ne pas limiter l’immigration, c’est « faire peu de cas des souffrances qu’entraînent ces véritables déportations du travail », c’est rejoindre ceux qui justifiaient au nom du « laissez-faire » « l’esclavage et la traite des noirs » (Le Figaro du 12-12-73).

En même temps, les mesures proposées par le PC, comme celles de Bergeron ou du Front National posent ouvertement en principe la défense prioritaire des ouvriers français et le « respect de l’intérêt national », principe affirmé par exemple dans la Charte de l’Immigration élaborée par la CGT et la CFDT.

Les récents épisodes de la lutte contre les circulaires Fontanet-Marcellin nous ont souvent donné l’occasion de souligner l’identité des programmes de « réforme de l’immigration » dans le « respect de l’intérêt national », allant de l’extrême droite aux partis de gauche, en passant par les plans gouvernementaux : tous se donnent la main pour renforcer, au besoin sous de platoniques protestations d’antiracisme toutes les entraves matérielles et politiques que la société bourgeoise oppose à l’unification du prolétariat international. Ils font chorus pour persuader les ouvriers du caractère naturel et éternel de l’exploitation et de l’insécurité qui les dressent les uns contre les autres, pour renforcer les réflexes concurrentiels et empêcher les sursauts de révolte de se concentrer en force explosive contre l’Etat bourgeois qui assure et garantit les meilleures conditions d’exploitation des travailleurs.

L’attentat de Marseille, les réactions qu’il a provoquées, ont également mis en lumière l’entente de fait des Etats français et algérien pour désarmer la colère des prolétaires algériens : les grèves et les manifestations qui ont suivi ont été contenues par la répression des CRS et l’action démobilisatrice des organisations inféodées à l’Etat algérien, qui ont ensuite tenté de reprendre le mouvement en main avec l’aide de l’opportunisme.

Les divisions nationales des prolétaires travaillant dans les grandes métropoles sont ainsi alimentées et même attisées par la tradition de domination impérialiste : la bourgeoisie utilise toutes les ressources de son pouvoir pour accentuer cette division, et trouve un puissant appui dans les organisations opportunistes. Certes l’opportunisme ne se prive pas d’invoquer l’unité des travailleurs : mais ce n’est que pour justifier son rôle de pompier social de l’ordre établi en traitant de « diviseurs » ceux qui affrontent la classe dominante et son Etat – épaulés eux-mêmes par la racaille raciste. Cette lutte se déroule dans une indifférence et un isolement dont les responsables sont précisément les staliniens. Hier, ils ont divisé et émietté le prolétariat ; aujourd’hui, ils font de l’unité prolétarienne qu’ils ont sabotée un préalable à la lutte (de même qu’ils faisaient du socialisme en France – entendons-nous bien : de leur soi-disant socialisme ! – un préalable aux luttes des colonies pour l’indépendance).

L’unité des travailleurs sur le terrain de la lutte contre le capitalisme (et non sur le terrain interclassiste et démocratique de l’opportunisme) ne peut être posée en préalable à la lutte – ainsi que l’exigent non seulement l’opportunisme, mais aussi certains soi-disant « extrémistes » qui justifient ainsi leur indifférence ou même leur condamnation des luttes des travailleurs immigrés. Cette unité, qui est un objectif indispensable, est le résultat des luttes réelles, y compris de la lutte contre l’opportunisme qui accompagne nécessairement la résistance des travailleurs contre le capitalisme, et qui est une nécessité de la lutte politique pour l’unification du prolétariat pour la destruction du capitalisme.