Article signé F. L. paru dans Rouge, n° 213, 13 juillet 1973, p. 8-9

La campagne d’Ordre Nouveau contre « l’immigration sauvage » n’est pas tombée du ciel. Elle est la manifestation d’une poussée de racisme que les groupuscules fascistes et la presse d’extrême-droite se sont appliqués à entretenir.
L’arrivée de travailleurs immigrés a fourni de tous temps au capitalisme français une main-d’œuvre sous-payée, beaucoup plus mobile, plus vulnérable à la répression
Chassés par la misère et le chômage de leurs pays d’origine, ces travailleurs ont été encouragés par les bourgeoisies locales qui y trouvaient leur propre intérêt.
En France, l’immigration clandestine, ouvertement tolérée par le gouvernement, a constitué jusqu’à récemment un très fort pourcentage de l’arrivée de travailleurs étrangers.
La circulaire Fontanet se présente officiellement à l’origine comme une réforme qui part de « bons sentiments » : empêcher de nuire tous ceux qui vivent du trafic clandestin de main d’œuvre, assurer aux immigrés de meilleures garanties de logement et d’emploi. Dans les faits, en renforçant le contrôle policier et patronal sur les immigrés, elle sanctionne juridiquement l’arbitraire et la surexploitation Elle permet une répression plus immédiate, pour des raisons politiques ou autres, par simple refus de la carte de travail, ce qui débouche naturellement sur l’expulsion. Elle fait des travailleurs qui continuent à entrer clandestinement en France de véritables « hors-la-loi », taillables et corvéables à merci.
C’est donc non une mesure humanitaire, mais une mesure de rationalisation dictée par les intérêts de la bourgeoisie française : devant un fort volant de chômage et face à l’incertitude des échéances économiques mondiales, elle voulait se donner les moyens de régler précisément le volume des flux migratoires et – si le besoin s’en faisait sentir – de leur donner un brutal coup d’arrêt.
Elle voulait faciliter une réorientation vis-à-vis des pays fournisseurs de main-d’œuvre : réduction de la main-d’œuvre d’Afrique du Nord, augmentation des contingents de nationalités plus arriérées culturellement, moins politisées, encore plus vulnérables, tels que les Yougoslaves et surtout les Turcs.
Dans le même temps, elle voulait accentuer ses possibilités de contrôle policier sur les immigrés résidant en France, pour des raisons à la fois politiques et économiques :
– pour contrôler leur répartition dans les différentes branches d’industrie et les différents métiers et leur fermer l’accès de certains d’entre eux,
– pour essayer de faire pièce à la combativité grandissante des immigrés depuis mai 68 : les longues grèves de Girosteel et Pennaroya avaient montré une volonté de lutte à laquelle la circulaire Fontanet cherchait à s’opposer.
DES MOIS DE LUTTES
Cette circulaire prise en douce au mois de septembre 72 ne souleva pratiquement aucune riposte de la part des organisations réformistes : la direction de la CGT lui trouva même des « aspects positifs » … Mais, au fil des mois, à mesure qu’elle entrait en application, la colère se soulevait chez les travailleurs immigrés menacés d’expulsion parce qu’on leur refusait leur carte de travail. Et la lutte s’engagea : la grève de la faim est souvent considérée comme une forme de lutte ultime, dans des circonstances désespérées. Mais des dizaines de grèves de la faim, articulées, se succédant aux 4 coins de la France, soutenues à chaque fois unitairement et popularisées sur le plan local, s’avérèrent un moyen redoutablement efficace de toucher l’opinion publique, nourrir le mouvement de victoires partielles et imposer finalement un demi-recul au gouvernement
Cette lutte sensibilisa des dizaines de milliers de travailleurs immigrés. La manifestation parisienne contre la circulaire scélérate rassembla 3 000 personnes dont une bonne proportion d’immigrés. C’était le reflet de cette maturation, particulièrement sensible chez les travailleurs tunisiens.
Devant cette résistance imprévue, le gouvernement commença par des concessions locales. Il sortit une loi platonique contre les négriers dont il avait toujours protégé les activités. Puis, acculé, le gouvernement céda un peu plus : tous les immigrés entrés en France avant le 1er juin 73 avaient jusqu’au 30 septembre pour régulariser leur situation. Gorse reculait sur les cas immédiats, sans rien changer à sa politique sur le fond.
LA REVOLTE DES ESCLAVES
Le printemps 73 marqua également une date dans les luttes des travailleurs immigrés : les 400 ouvriers des presses de Renault-Billancourt paralysant toute la Régie posèrent de façon fracassante le problème des O.S. : ils montrèrent non seulement comment les immigrés étaient capables de s’organiser et de conduire leur lutte, mais aussi le poids que leur donnait leur place dans la production.
La presse patronale ne cacha pas son inquiétude : Renault, Zimmerfer, Brissoneau … Les calculs des capitalistes sur la docilité de la main-d’œuvre immigrée tombaient à l’eau. Pire : quand les O.S. s’arrêtaient, c’était toute l’usine qui était à terme menacée de paralysie. Le capital était soucieux.
DES DIVISIONS DANS LA CLASSE OUVRIERE
Mais les luttes des travailleurs immigrés n’ont pas été suivies et comprises dans toute la classe ouvrière. Dans les couches de travailleurs les plus arriérées, les plus gangrenées par l’esprit corporatiste, on assista à des réactions hostiles qui éclatèrent à partir des divisions catégorielles. A Renault Billancourt, des O.P., mis en chômage technique par l’intransigeance de la direction pendant la grève des O.S., ne comprenaient pas la revendication du PIF et craignaient de voir se restreindre l’écart entre les différentes qualifications. Ces réactions se teintèrent souvent de racisme. A Flins, des altercations entre français et immigrés s’étaient produites avant la grève. A Pantin-Noisy, on retrouve dans une lutte récente les mêmes difficultés entre manutentionnaires immigres de l’entreprise Brunelle et les travailleurs de la SNCF, français pour la plupart. Là où le travail se fait rare, les sirènes xénophobes trouvent plus d’écho chez certains travailleurs.
DES PETITS-BOURGEOIS EN COLERE …
Dans la petite-bourgeoisie, on n’a pas assisté à un raz de marée de haine raciale. Mais, chez certains commerçants en particulier, une extrême droite d’ordinaire passive et ronchonne a commencé à s’activer contre le développement des luttes de travailleurs immigrés Les lecteurs de Minute s’agitent … C’est pourquoi des incidents se sont multipliés, pouvant aller jusqu’au saccage de cafés arabes et même jusqu’à de véritables pogroms comme à Grasse, avec la complicité des autorités locales.
… AUX SORTIES ANT-ARABES DE LA POLICE
Ces tensions ne pouvaient pas manquer de se refléter au sein même des forces de répression bourgeoises. Dès le début des années 60, la police française s’est illustrée en « cassant du bougnoul » Aujourd’hui, le temps n’est plus où les corps de travailleurs algériens étaient jetés dans la Seine. Mais la tradition est restée. Il suffit de peu de choses pour la faire réapparaître : survient l’affaire du pétrole algérien et les ratonnades ressurgissent. S’amorce une campagne anti-immigrés d’Ordre Nouveau et les soi-disant forces de l’ordre, travaillées au corps par des syndicats fascisants comme le SIPN ou le SPPN, se retrouvent égales à elles-mêmes : l’injure raciste à la bouche, la brimade facile, la matraque agile.
La poussée de racisme et de répression anti-immigrés qui se manifeste aujourd’hui n’est pas le produit direct de la situation économique (flambée du chômage) ou d’événements politiques (pétrole, guerre des six jours). Elle traduit plutôt la réaction aux luttes des immigrés elles-mêmes de certains secteurs de la population manipulés par l’extrême-droite et dans une frange limitée de la classe ouvrière.
LES CARTES D’ORDRE NOUVEAU
C’est dans ce contexte que s’est engagée la campagne d’Ordre Nouveau. Prenant appui sur une certaine sensibilité, elle allait essayer de mettre deux atouts dans son jeu : la politique du gouvernement et l’ambiguïté des positions du PCF.
La politique du gouvernement tout d’abord. Le terme puant d’« immigration sauvage » n’est pas une invention des nazillons d’Ordre Nouveau, il est directement emprunté au vocabulaire gouvernemental. C’est Gorse lui-même, auteur de propositions paraît-il apaisantes, qui disait dans une circulaire récente aux préfets et directeurs régionaux du travail : « il ne saurait plus être question désormais de tolérer la persistance d’une immigration anarchique et sauvage (sic). Des à présent des dispositions seront prises en vue de rétablir le contrôle de l’Etat sur l’immigration et d’assurer un strict respect de la règlementation en vigueur ».
Les ambiguïtés de la politique du PCF. Le PCF est depuis longtemps favorable à un contrôle de l’Etat sur l’immigration par l’intermédiaire de l’O.N.I. : mais « contrôle de l’Etat », cela signifie concrètement renforcement de l’emprise de l’Etat bourgeois et de ses flics sur les immigrés. Cela peut même signifier refoulement de la main-d’œuvre entrée clandestinement, comme Croizat l’avait fait avec des immigrés italiens au lendemain de la 2ème guerre mondiale quand le PCF était au gouvernement. Cela peut vouloir dire limitation de l’immigration à un certain pourcentage et ventilation des surplus (L’Humanité du 10 juillet 73 se pose gravement la question : « les sociologues ne disent-ils pas qu’à partir de 17 % le seuil d’incitation au racisme est franchi ? » !!! ). On comprend dans ces conditions que le PCF, lent à condamner la circulaire Fontanet, méfiant devant les grèves de la faim d’immigrés, n’ait passé qu’un encart minuscule pour protester contre la campagne d’Ordre Nouveau … avant le meeting.
UN PAVE DANS LA MARE
La contre-manifestation du 21 a eu au moins le mérite de jeter un pavé dans la mare : elle démasque les racistes malgré toutes leurs précautions de langage. Elle a contraint les réformistes à poser publiquement le problème. Même Messmer a reconnu à la télévision le caractère raciste et anti-sémite de la campagne déclenchée par Ordre Nouveau.
Mais si le problème fait la une des journaux, il est loin d’être résolu. Ces dernières semaines ont été marquées par une nette recrudescence de violences racistes et de mesures répressives contre les immigrés. A Ivry, un travailleur portugais a été tué. Les assassins courent toujours. A Fresnes, une petite fille de 8 ans est morte après la visite de deux policiers. C’est son père qui l’a battue, ont-ils affirmé …
C’est la tâche de tous les militants révolutionnaires de combattre le racisme sous toutes ses formes.
F. L.
INTERROGATOIRE
Elle s’appelait Malika. Elle avait 8 ans. Vivre à Fresnes, dans une cité de transit, c’est dur. La police est toujours est là pour surveiller les immigrés.
Le 24 juin 1973, à 10 heures du matin, deux policiers sont entrés dans la maison de Malika. Ils cherchent son frère qui a 14 ans. Pas là ? Alors, c’est a Malika. 8 ans, qu’ils s’en prennent : après l’avoir giflée devant ses parents, ils l’interrogent seule dans une chambre pendant un quart d’heure. A la sortie de son interrogatoire, la gosse a perdu connaissance. Les flics sont partis sans s’occuper de rien … Transportée à l’hôpital, Malika n’est plus jamais sortie du coma. Elle est morte le 28 juin au matin.
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