Editorial de Ferhat Abbas paru dans Egalité, IVe année, n° 76, 9 mai 1947

Il y a deux ans, s’achevait la guerre la plus meurtrière que l’Histoire ait enregistrée. Parti des bords de l’Oder, le conflit devait s’étendre à l’Europe puis à l’Univers entier, entraînant les peuples colonisés d’Asie et d’Afrique.
Le 8 mai 1945, l’impérialisme nazi était terrassé. Une grande espérance souleva le cœur des hommes. Les hiérarchies raciales allaient faire place à l’égalité et à la fraternité des peuples. Un monde nouveau jetait ses assises.
Mais pour l’Algérie, les épreuves n’étaient pas terminées. Après avoir fourni le meilleur de ses enfants pour contribuer à la victoire commune, notre pays devait payer un lourd tribut à la Liberté et à la Démocratie.
Ce fut, en effet, le 8 mai 1945 que le régime colonial, dans son orgueil aveugle et son désir de perpétuer sa domination et son racisme, fit éclater le complot qui devait ensanglanter la province de Constantine. Durant des semaines, ses mercenaires envahirent les paisibles chaumières de nos paysans, semant le deuil et le malheur : à Sétif et dans les montagnes des Babors, nos fellahs, dont les enfants se battaient encore en Allemagne, périrent par milliers, tandis que les survivants voyaient leurs chaumières incendiées, leurs biens détruits, leurs femmes déshonorées. A Guelma, une jeunesse ardente et pacifique était littéralement exterminée.
Tous ceux-là sont tombés au service de notre pays, pour que s’édifie une Algérie heureuse, pour que le Peuple Algérien, débarrassé des chaînes qui pèsent depuis un siècle, renaisse à la vie et à la liberté.
Tous ces morts sont les frères des innombrables morts, Démocrates, Résistants, Juifs, Républicains de tous les pays d’Europe, immolés dans les chambres à gaz et les fours crématoires du régime hitlérien.
Ils sont, comme eux, les martyrs de cet idéal de justice et de fraternité que l’humanité poursuit depuis des siècles.
En ce jour anniversaire d’une grande victoire et d’un grand deuil, l’Algérie tout entière accordera à la mémoire de toutes les victimes du 8 mai, Européennes et Musulmanes, le tribut d’hommage que méritent leur sacrifice.
Mais ce sacrifice serait vain s’il ne nous confirmait dans notre volonté de poursuivre sans dévier la voie que nous avons inaugurée :
Nous saurons demeurer fidèles à la mémoire de nos morts en faisant triompher l’idéal pour lequel ils sont tombés.
FERHAT ABBAS.
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