Article d’Abdelaziz Menouer alias El Djazaïri paru dans L’Echo sportif du travail, organe central mensuel de la Fédération sportive du travail, 1ère année, n° 7, novembre-décembre 1930, p. 3

Le programme de Morinaud et la lutte des indigènes
M. Morinaud, Sous-Secrétaire d’Etat de l’Education Physique et des Sports, a exposé au cours d’une interview à un reporter du « Soir » le programme qu’il se propose de réaliser pour asservir les indigènes encore plus complètement à l’impérialisme français au moyen du mouvement sportif.
A. Morinaud note qu’il y a à Paris et banlieue 160.000 indigènes et autant dans les départements surtout dans le Nord. Après avoir exposé les buts philanthropiques (sic) de son acte, il laisse voir le but politique primordial lorsqu’il dit qu’il faudra « combattre auprès d’eux (les indigènes) la mauvaise propagande qui souvent tente de s’emparer de leur esprit ».
Le Sous-Secrétaire d’Etat a attaché à son cabinet M. Mecheri « avocat, appartenant à une vieille famille indigène », c’est-à-dire un vendu à l’impérialisme français – pour réaliser son programme.
Celui-ci le résume ainsi :
« Création de sociétés sportives Nord-Africains de Paris à l’exemple de l’Association des étudiants égyptiens en France.
« Créations de sociétés sportives parmi les travailleurs.
« Ces créations seront faites avec l’appui : d’une sélection formée parmi le travailleurs indigènes qui ont déjà fait du sport et dont beaucoup sont des champions ayant de superbes performances à leur actif aux jeux olympiques ou aux championnats de France (El Ouafi, Bedari, etc.) et des indigènes militaires des régiments de France.
« Il sera demandé à ces deux éléments leur concours à titre d’éducation-moniteurs. »
Au moment où le Sous-Secrétaire d’Etat du gouvernement français précise ainsi son programme, où notre région d’Algérie poursuit énergiquement son travail d’organisation des indigènes nord-africains sportifs sur le terrain de la lutte contre l’impérialisme, on lira avec intérêt, l’étude ci-dessous de notre camarade El Djazaïri sur cette question.
Aux colonies, le sport est ouvertement impérialiste. Si dans les métropoles son caractère chauvin éclate dès qu’on oppose des équipes de nationalités différentes, dans les pays opprimés, par le sport on ligue toutes les minorités dominatrices contre les indigènes.
Le capitalisme le cultive parmi ses nationaux et les éléments européens pour maintenir sa domination et ses intérêts de classe : il l’entretient pour atteindre ses objectifs guerriers.
En France, en Italie, en Angleterre comme en Afrique du Nord, en Egypte ou aux Indes, la corruption, la vénalité, la tricherie sont cohérentes au sport comme toutes les pourritures inhérentes au régime bourgeois.
Mais si dans les Métropoles on s’évertue à tromper les ouvriers embrigadés dans les Fédérations bourgeoises en clamant la neutralité politique du sport, aux colonies, la collaboration des classes s’arrête aux limites raciales. La haine de l’athlète noir, jaune ou brun est prêchée à outrance.
L’indigène, malgré l’obscurantisme dans lequel on le maintient est souvent un sportif étonnant.
Il a pratiqué le sport bien avant la conquête de son sol. La course, la lutte, la danse, l’équitation, la marche, la nage, la chasse, les jeux physiques, lui sont familiers. Il y montre une endurance, une agilité, une force, un courage prodigieux.
L’indigène qui n’est pas gangréné par le lucre de la société capitaliste pratique le sport pour le sport et tire surtout fierté de sa performance.
La production capitaliste en s’installant aux colonies apporte avec elle sa culture. Elle crée des prolétaires de couleur, qui coudoient des prolétaires blancs, elle leur apprend dans son armée l’exercice, le maniement des armes. Et si l’indigène ne peut développer son éducation intellectuelle faute d’école, il peut facilement, sans instructeur, s’adonner aux différents sports qu’il voit pratiquer par les conquérants.
Comme l’école, les clubs sportifs lui sont fermés. Alors seul, il s’entraîne. Il ne manque jamais d’assister aux matches, les suit avec passion. S’il se groupe, avec ses frères, il joue avec des moyens restreints et son association est étroitement surveillée par l’administration coloniale. Il est vite boycotté par les clubs européens car on ne joue pas avec l’indigène. Et s’il lui arrive d’être toléré dans ces clubs c’est qu’il a une valeur sportive exceptionnelle, valeur qui doit rehausser le prestige du club européen.
Si exceptionnellement on accepte de l’opposer à des européens c’est uniquement pour développer la haine raciale.
Dans les matches de boxe entre blancs et noirs on souhaite la défaite du noir.
En football on ne joue pas le ballon, on joue l’indigène.
Depuis la guerre une évolution prodigieuse s’accomplit parmi les masses opprimées. L’essor du mouvement révolutionnaire international, la rationalisation qui rapproche les conditions de travail et les salaires des ouvriers des différentes races ou couleurs, les contacts [entre] ouvriers coloniaux dans une même exploitation a éveillé ceux-ci à la lutte de classe.
En France principalement, où les indigènes des colonies coudoient journellement leurs frères européens, participent à leurs batailles, les rejoignent dans les organisations révolutionnaires de classe. Le capitalisme s’épouvante de cette union qui se réalise malgré toute sa politique. Il s’évertue à empêcher cette fusion sur tous les terrains jusque que dans le domaine sportif.
Les superbes performances d’un Bedari, d’un El Ouafi, simple manœuvre nord-africain chez Renault et considéré en la circonstance avec amertume comme ayant rehaussé le prestige national, ont montré que les indigènes, malgré la dureté de leur existence, étaient des sportifs de valeur.
Le requin constantinois Morinaud, député d’Algérie et sous-secrétaire d’Etat à l’Education physique et des sports, a dernièrement attaché à son cabinet un bourgeois indigène et l’a chargé de pénétrer dans les milieux nord-africains de Paris et de toute la France pour tâcher de créer des sociétés sportives indigènes. Le colonialiste Morinaud expliquait au journaliste du Soir qui l’interviewait, que son valet indigène « saurait d’autre par combattre auprès d’eux la mauvaise propagande qui souvent tente de s’emparer de leurs esprits. »
On ne peut être plus clair. Sous le couvert du sport neutre, le colonialisme français tente d’arrêter leur évolution dans la voie de la lutte de classe, de les embrigader dans ses organisations de préparation militaire. Mais les Nord-Africains ne se laisseront pas duper par cette nouvelle forme de propagande et d’asservissement impérialiste.
Aux travailleurs français révolutionnaires de leur démonter les buts réactionnaires du nouvel organisme sportif colonialiste, qui s’ajoute aux officines policières de la rue Lecomte et des principaux centres industriels de la France. Aux ouvriers sportifs révolutionnaires qui les coudoient sur les lieux de l’exploitation de les amener au sein de la F.S.T. où ils seront fraternellement reçus, où ils développeront leurs aptitudes physiques et leur conscience de classe. On déjouera ainsi les manœuvres impérialistes et l’on amènera par la suite les travailleurs coloniaux dans les organisations syndicales et politiques révolutionnaires : la C.G.T.U. et le Parti communiste.
E. DJAZAIRI.
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