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Abdelaziz Menouer : Le Congrès des Travailleurs Nord-Africains

Article d’Abdelaziz Menouer alias El Djazaïri paru dans L’Humanité, 13 novembre 1924, p. 3 ; suivi de « Le congrès des travailleurs nord-africains », Le Paria, n° 31, novembre-décembre 1924, p. 1 ; « Le Parti Communiste et la question coloniale », les Cahiers du bolchevisme, n° 7, 2 janvier 1925, p. 473-482

Le Parti communiste français devient un vrai parti de classe, un véritable parti prolétarien. Il rejette ce socialisme que la IIe Internationale prêchait aux masses européennes et dont on écartait les parias coloniaux.

Dans les congrès socialistes, seuls les ouvriers blancs, aristocratie ouvrière, ou leurs chefs se rencontraient et conféraient sur leurs réformes, leurs revendications ou leurs moyens de lutte. L’exploitation éhontée sous laquelle étaient écrasés les millions d’esclaves coloniaux, permettait au capitalisme européen, dans sa période de prospérité, d’assurer à sa classe ouvrière un niveau de vie acceptable et la laissait indifférente quant au sort misérable de ses frères opprimes et leurs revendications économiques et politiques. Elle se contentait pour eux de formules humanitaires.

Organisons les masses coloniales

Aujourd’hui, cette immense armée de réserve du capital grossit démesurément ; elle vient gravement concurrencer, sur le marché du travail, la main-d’œuvre européenne.

L’action des organisations se réclamant de la classe ouvrière ne peut plus s’arrêter à la phraséologie humanitaire. Seule, l’organisation des masses coloniales peut parer au danger qui menace les travailleurs métropolitains.

Aussi, l’Internationale Communiste, dans son 5e congrès mondial, a réserve sa plus grande attention à ces peuples exploités. Elle a donné des directives précises à ses sections.

La section française, notamment, assurera une partie de cette grande tache : l’impérialisme français opprimant plus de 50 millions de noirs, d’Asiatiques, d’Arabes. Ces masses qu’on avait recrutées pendant la guerre, pour assurer la production ont donné satisfaction au capitalisme qui les maintient aujourd’hui dans son industrie.

On évalue à plus de 150.000 le nombre des Nord-Africains en France ; la région parisienne, à elle seule, en emploie plus de 75.000. L’importance d’un tel chiffre devient alarmante pour la classe ouvrière française ; l’organisation immédiate des travailleurs coloniaux s’impose.

Conscient de cet état de choses, le Parti communiste, d’accord avec les organisations syndicales a déjà entrepris, depuis près d’un an, un large travail de recrutement syndical et politique. Le succès a été stupéfiant. Partout, les coloniaux répondent en nombre à nos meetings, et malgré l’arbitraire et les manœuvres de calomnie et du gouvernement épouvanté, ils viennent se grouper autour de la C.G.T.U. et du P.C.

Préparons le Congrès de décembre

Le Parti communiste, pour accélérer cette organisation et lui donner plus de vigueur, a décidé de tenir un congrès de ces travailleurs de la région parisienne, dans le courant du mois de décembre. Ce congrès sera une date dans l’histoire du mouvement ouvrier, car il marquera le commencement d’une nouvelle phase de la lutte ouvrière : le sous-prolétariat colonial, qui jusqu’ici est passif, réalisera son union avec le prolétariat européen pour résister à l’offensive capitaliste.

Les mots d’ordre

Ce congrès posera les premières bases de travail pour mener activement la lutte contre le patronat. En outre des revendications d’ordre économique, les syndicats et le Parti envisageront les moyens de lutte pour abattre les lois d’exception dont souffrent les indigènes et qui entravent leur action syndicale.

L’ignoble code de l’Indigénat qui leur enlève le droit d’association, la liberté de presse et de parole sera une des revendications immédiates.

Leur sujétion leur enlève, dans bien des endroits, les privilèges (prime cherté de vie) dont jouit le citoyen français. Il faut que partout le mot d’ordre « à travail égal, salaire égal » soit réalisé.

Partout, dans les chantiers, les usines et fabriques de la région parisienne, ou travaillent des Nord-Africains, les membres du Parti et ceux des syndicats unitaires doivent faire la propagande parmi ces indigènes pour leur annoncer ce congrès, sa nécessité, son utilité et aussi, organiser des réunions préalables. – El Djazaïri.


UN CONGRES HISTORIQUE

Le Congrès des Travailleurs Nord-Africains

Le 7 décembre 1924 sera une date dans l’histoire du mouvement ouvrier.

Ce jour-là, s’est tenu à Paris, le 1er congrès des travailleurs nord-africains, organisé par le Parti Communiste.

150 délégués tunisiens, algériens et marocains unis à leurs frères de classe, les prolétaires de France, ont envisagé avec eux les moyens de lutte contre l’exploitation et l’oppression de l’impérialisme français.

150 ouvriers des diverses usines de la région parisienne, les plus conscients, les plus combatifs du sous-prolétariat colonial, sont venus représenter leurs frères et établir leur programme de revendications.

Malgré la politique esclavagiste qui veut faire des indigènes un cheptel humain, malgré les campagnes de presse tendancieuses pour discréditer les travailleurs coloniaux et empêcher leur union aux prolétaires français, les ouvriers nord-africains revendiquent leur droit à la vie, et sous le faix de l’oppression, se réveillent à la lutte de classe. Ni l’arbitraire, ni l’appareil de répression et de basse police récemment institué n’arrêteront ce mouvement, au contraire ; les indigènes sont guéris de leurs illusions ; ils ne croient plus aux promesses mensongères que la France des Loucheur, des Pelligri, de la Banque de Paris et des Pays-Bas, de la Compagnie Algérienne, leur a faites, lors du carnage de 1914 ; plus que jamais leur esprit de combativité, leur volonté de se libérer du régime d’exploitation et de meurtre qu’est le colonialisme s’affirment, avec tant de vigueur !

Dans ce 1er Congrès du 7 décembre, les délégués arabo-berbères ont montré une telle compréhension des problèmes sociaux qui les intéressent, ils ont discuté avec une telle netteté sur les thèses présentées, ils ont établi des moyens d’action si précis qu’ils ont anéanti cette légende imbécile, si chéré à ces fumistes de socialistes, légende qui nie ou relègue à une époque lointaine la maturité révolutionnaire du prolétariat colonial.

La question syndicale a été exposée par un ouvrier indigène, avec une clarté parfaite. Ce camarade démontra l’action débile des organisations réformistes, la trahison des social-démocrates, toutes les théories périmées du syndicalisme pur et de l’anarcho-réformisme, et par des exemples concrets il fit un parallèle entre ces divers groupements et les organisations révolutionnaires C. G. T. U. et P. C. qui groupent des ouvriers sans distinction de race ni de couleur et luttent sans jamais transiger avec le capital.

On ne peut plus se cantonner à la phraséologie humanitaire à l’égard de ces travailleurs coloniaux, et ce qu’il leur faut, ce ne sont pas seulement des revendications purement économiques ; il faut aussi, et d’abord, déblayer toutes ces entraves politiques qui enlèvent à l’indigène la liberté d’association de presse et de parole, Plus de corporatisme étroit ; la machine se développe et se passe de la main-d’œuvre « qualifiée », La main-d’œuvre « avilie » grandit démesurément et plus que jamais la nécessité de l’organiser s’impose.

Les délégués du Congres l’ont dit bien haut, ils ont été unanimes à serrer les coudes avec les ouvriers français pour lutter contre le patronat, et à leur demander de les soutenir pour forcer le capitalisme d’abolir les lois iniques qui paralysent l’organisation du prolétariat colonial.

Le Code de l’Indigénat fut nettement exposé, par un autre camarade algérien, comme étant l’institution la plus odieuse et la plus réactionnaire. Ce code, qui devait, au dire des gouvernants, disparaitre progressivement au cours de l’évolution des masses indigènes, ne fait que s’allonger pour arrêter leur émancipation. La dernière loi sur l’émigration, et les mesures policières déjà mises en application, en sont la preuve éclatante.

La répression contre les coloniaux se fait plus violente. Les esclavagistes de tous poils, l’empoisonneur Outrey par ses interpellations rageuses et imbéciles, le proconsul Steeg par ses décrets féodaux, le colonialiste Pierre Mille par sa plume prostituée, tous les domestiques du capitalisme préconisent une politiques de plus en plus odieuse contre les indigènes.

Cette politique de violence ne peut engendrer qu’une résistance adéquate. Elle ne peut arrêter l’évolution des peuples opprimés et s’ils se relèvent ou se rallient aux organisations révolutionnaires avec cette frénésie qui épouvante nos esclavagistes, ce n’est pas la « propagande bolcheviste » qui en est la cause fondamentale, il y a des raisons économiques et politiques plus profondes qui hâtent ce réveil.

Ces raisons, les délégués nord-africains les ont exposées. Ils ont décrit les exactions employées par l’impérialisme mondial à l’égard des peuples opprimés, l’horrible situation des musulmans des divers pays écrasés sous la botte des capitalismes français et britannique, que le Congrès fut unanime à flétrir.

La lecture des télégrammes adressés aux musulmans du Maroc, de Tunisie, d’Egypte et des Indes, en lutte pour leur indépendance fut ovationnée ; avec quel enthousiasme les délégués saluèrent le télégramme de sympathie envoyé à la Russie soviétiste !

Malgré la propagande d’injures et de calomnies, dont le capitalisme mondial souille le Premier Etat prolétariat, qui, seul, appuie le mouvement de libération des peuples opprimés, les coloniaux ont montré qu’ils n’ignorent pas la grande transformation sociale qui s’accomplit dans le monde.

Ils savent ce que la conquête des colonies coûte de vies et de souffrances au prolétariat et comprennent bien que l’exploitation de l’homme par l’homme doit disparaître (elle demande trop de sang pour pouvoir subsister). Les travailleurs du monde s’unissent pour mettre bas cet horrible régime.

Un premier pas a été fait entre les parias de l’Afrique du Nord et les ouvriers de la Métropole. Dans cette journée du 7 décembre, toute la reconnaissance des esclaves nord-africains fut acquise à la section française de l’Internationale Communiste.

Et, au moment où l’Angleterre impérialiste vient établir un pacte de complicité avec la France, au moment où elle envoie son représentant, le sinistre Austin Chamberlain, dire à son acolyte Herriot : « Donnez-nous toute la liberté d’action en Egypte et aux Indes et nous vous laisserons les mains libres au Maroc et en Tunisie », ou pour rappeler l’expression de Jaurès : « Vous pouvez voler au bout de la rue, j’ai volé à l’extrémité », ce Congrès nord-africain prend une portée incalculable dans le monde islamique.

Il marquera aussi le commencement de la grande résistance qu’oppose le prolétariat tout entier et uni à celui de la Métropole, aux visées impérialistes.

Le capitalisme peut s’épouvanter ; ses cris, ce sont des spasmes de l’agonie. Le châtiment qu’il mérite ne saura tarder.

EL DJAZAIRI.


Les Revendications des Nord-Africains

Nous donnons ci-dessous le programme de revendications politiques et économiques présenté au premier Congrès des travailleurs nord-africains, le 7 décembre 1924, et adopté à l’unanimité :

REVENDICATIONS POLITIQUES

En accord avec ses principes, le P.C. mène la lutte par tous les moyens et sans conditions pour l’Indépendance des Colonies, mais soutient dès à présent les revendications immédiates des indigènes nord-africains :

1° La suppression de l’indigénat, avec toutes ses conséquences ;

2° Le suffrage universel pour tous les indigènes au même degré que pour les citoyens français ;

3° Egalité devant l’impôt (suppression de tous les impôts spéciaux, corporels, corvées, amendes collectives, etc.) ;

4° Instruction obligatoire et gratuite dans les deux langues pour tous les indigènes et leur accession à l’enseignement à tous les degrés ;

5° Egalité de traitement des fonctionnaires indigènes et français ;

6° Suppression des communes mixtes et des territoires de commandements militaires ;

7° Liberté de presse, de parole et d’association ;

8° Suppression de la loi sur l’émigration ;

9° Suppression de l’inégalité du service militaire ;

10° Amnistie générale.

REVENDICATIONS ECONOMIQUES

Le Parti et la C.G.T.U. devront envisager les moyens de lutte pour faire aboutir les revendications des ouvriers nord-africains :

1° A travail égal, salaire égal ;

2° Journée de huit heures ;

3° Suppression du « denier à Dieu » à l’embauchage ;

4° Accession de l’ouvrier indigène à la qualification ;

5° Droit à la titularisation ;

6° Indemnité pour la femme et les enfants, cherté de vie, soins médicaux, indemnité de logement, hygiène de l’habitation ;

7° Suppression du contrat de travail imposé pour l’émigration ;

8° Liberté d’émigration pour la France et l’étranger ;

9° Application aux indigènes des lois ouvrières ;

10° Amélioration des conditions économiques des jeunes (apprentissage, éducation, etc.).


Le Parti Communiste et la question coloniale

par El Djazaïri


La grande guerre a détraqué l’économie européenne. Par leurs appétits déchaînés, les impérialistes qui avaient jeté le monde dans le cataclysme pour s’arracher le marché colonial, ont fait sombrer leur économie nationale, désorganisé la production, aggravé la situation matérielle de leur classe ouvrière.

Malgré toutes leurs tentatives d’arbitrage, leur marchandage, leurs conférences diplomatiques, les Etats capitalistes européens ne peuvent renflouer l’économie.

Dans tous les pays, la misère s’est accrue, aiguisant les antagonismes de classes, dressant chaque prolétariat contre sa bourgeoisie.

Les Etats européens épuisés, criblés de dettes, livrés à la finance américaine, se débattent dans le chaos et tachent de faire reculer la faillite qui les menace. Et le prolétariat, martyrisé, écrasé par un redoublement d’exploitation, malgré la répression, malgré les boniments de la social-démocratie, ne peut, ne veut supporter les frais de cette faillite.

Alors, les visées capitalistes se tournent vers les colonies.

La France qui avait leurré sa classe ouvrière par la formule : « Le Boche paiera ! » se rejette maintenant sur son empire colonial. La guerre qui n’a profité qu’aux Etats-Unis, ne lui a laissé aucune chance de soutirer un liard à l’Allemagne colonisée par les financiers du Wall Street.

Les colonies, jusqu’ici délaissées, reviennent à l’ordre du jour.

En effet, l’immense empire colonial français, avec ses 60 millions d’habitants, doit tirer la métropole du marasme où elle s’est enfoncée.

Avant la guerre, le capitalisme français, par l’état arriéré de sa technique, ne puisait dans ses colonies que la matière première facilement exploitable pour sa petite production.

L’Allemagne, l’Autriche, l’Angleterre bénéficiaient autrement de leur domaine colonial ; elles y exploitaient les mines, y exportaient leurs machines agricoles, les produits manufacturés de leurs grandes industries, créaient des ports pour leurs lignes de navigation.

Depuis, la guerre a révolutionné la technique de la production française et par là les visées de l’impérialisme français. Pour la fabrication d’engins de mort, pour l’importation du matériel humain de combat et de production, pour se procurer la nourriture pour l’armée et la population, les capitalistes français prétendent puiser dans les colonies une partie essentielle des éléments nécessaires pour les prochaines guerres.

Tous les industriels, toutes les banques ou consortiums, les économistes, les militaristes, ne parlent que de la mise en valeur du domaine colonial français.

De vastes plans d’exploitation sont élaborés, des banques coloniales se constituent, offrant d’alléchants dividendes pour attirer les capitaux, les publications sur la colonisation foisonnent : ouvrages, revues techniques, économiques, politiques et financières, jusqu’à la grande presse qui réserve une place importante à cette question.

Il faut, maintenant, comme le disait l’esclavagiste Albert Sarraut, mettre les colonies à même de fournir au redressement de la patrie les ressources considérables dont elles peuvent disposer.

Tout ce plan gigantesque d’exploitation pose le problème du sort des peuples indigènes qui habitent les immenses territoires conquis : 60 millions d’hommes opprimés, tyrannisés, réduits à l’esclavage.

Le sort de ces indigènes est étroitement lié à celui du prolétariat de France. Chaque mouvement social qui s’opère dans l’un des deux éléments a sa répercussion sur l’autre.

Sur cette question vitale, le Parti Communiste, avant-garde de la classe ouvrière, doit porter sa plus grande attention. Chacun de ses membres, doit suivre au jour le jour, non seulement le mouvement révolutionnaire des ouvriers d’Europe, mais celui qui fermente dans les masses coloniales.

Ce serait une erreur de croire qu’il faut attendre la révolution communiste en Europe pour libérer la masse des peuples coloniaux du joug impérialiste. Ces peuples colonisés, exploités odieusement, ne demandent qu’à chasser immédiatement l’envahisseur.

Leur mouvement, nous n’avons aucune illusion sur ce point, n’est pas un mouvement prolétarien proprement dit, il est en ce moment mené par une bourgeoisie nationaliste qui, a la faveur de la guerre, s’est considérablement développée. Tout en constatant que le mouvement des peuples coloniaux est un mouvement nationaliste, il ne faut pas oublier que ce nationalisme n’a nullement le caractère réactionnaire comme le nationalisme des Daudet, Millerand et consorts. La partie militante de la bourgeoisie indigène est révolutionnaire, En plus de cela – et ceci est pour nous l’essentiel – la lutte des peuples coloniaux pour leur indépendance affaiblit considérablement l’impérialisme et facilite la lutte émancipatrice du prolétariat européen. Les colonies étant une base essentielle de l’économie des états capitalistes, l’indépendance des colonies favorisera le capital indigène et la crise économique qui en résultera pour l’impérialisme conquérant ne peut que hâter la révolution prolétarienne.


Jusqu’au commencement de ce siècle, la question coloniale a été traitée par les gens de la IIe Internationale sous l’angle d’un humanitarisme hypocrite. Ils justifiaient la conquête des colonies sous le prétexte mensonger de « civilisation ». Dans cette période de prospérité capitaliste, la démagogie avait une grande emprise sur les cerveaux des ouvriers blancs, aristocrates, ouvriers d’alors !

Mais les colonies, comme l’Inde, l’Egypte, l’Indochine, acquièrent un tel développement économique que, non seulement elles se passent de la production métropolitaine, mais la concurrencent.

Par exemple, l’usine métallurgique de Tata dans l’Inde, emploie à elle seule plus de 60.000 ouvriers. Et les salaires des coolies (1 franc par jour) expliquent aussi la concurrence qui se produit sur le marché du travail mondial. Le chiffre énorme des chômeurs en Angleterre en est une preuve éclatante.

En dépit de sa phraséologie radicale, le gouvernement Herriot poursuit dans les colonies la même politique esclavagiste que ses prédécesseurs. C’est que l’accumulation capitaliste l’exige. Les armements se multiplient, les expéditions violentes (Maroc, Syrie, etc.) se poursuivent et mettront bientôt de nouveau aux prises les capitalistes. Pour réprimer les révoltes, l’armée et les navires anglais terrorisent l’Egypte et les Indes. Demain ce sera le tour de la Tunisie ou de l’Indochine. Alors, quelle sera l’attitude du prolétariat européen, du prolétariat français ? Peut-il se désintéresser du mouvement effectivement révolutionnaire des peuples coloniaux ? Cette indifférence équivaudrait à son suicide.

Le prolétariat européen doit favoriser par tous les moyens tout mouvement des peuples coloniaux pour leur indépendance.

Les tâches du Parti français

Même après le quatrième Congres mondial, le parti français, encore empoisonné par l’idéologie de l’ancien parti socialiste, conservait une attitude passive devant le problème colonial.

De justes critiques avaient été faites au sujet de l’inactivité du Parti dans ce domaine, alors qu’il suffisait de peu d’effort pour s’attirer la sympathie des masses coloniales.

En attendant la réalisation de la revendication maximum de l’indépendance des colonies, le Parti Communiste doit mener l’agitation pour soutenir des revendications économiques et politiques des indigènes.

La candidature coloniale présentée par le Parti aux élections législatives avait remué les indigènes d’Algérie pour qui le droit de représentation parlementaire est une réforme capitale.

En soutenant l’émir Khaled et même son programme de revendications démocratiques, le Parti s’est attiré la sympathie des Nord-Africains et les réunions syndicales ou politiques organisées pour ces travailleurs ont depuis le plus grand succès.

L’Internationale, dans son cinquième Congrès mondial, s’est occupée sérieusement de la question coloniale et a trace des directives précises à sa section française. Pour en assurer le succès, une étude approfondie doit être faite au sujet de chaque colonie et de l’action à y mener.

Les quelques pas déjà faits par le Parti ont donné des résultats si étonnants, que la bourgeoisie en est épouvantée. Sa presse jette l’alarme à cause du danger bolchevique aux colonies.

Le télégramme que le P. C. a envoyé à Abdel Krim pour le féliciter de son succès sur Primo de Rivera, nos tracts de propagande, nos réunions, notre congrès des travailleurs nord-africains de la région parisienne, notre action syndicale, notre soutien des Destouriens tunisiens et notre appui apporté aux réprimés de la Guadeloupe, nous attirent les foudres de la bourgeoisie qui comprend la puissance et la portée de notre action. Aussi devons-nous l’intensifier ; 50 % des efforts des militants doivent être consacrés à poursuivre l’action si bien commencée.

Notre politique devra être souple et adaptée aux conditions techniques, idéologiques et économiques des peuples coloniaux.

Certains mouvements révolutionnaires des colonies se cachent sous des revendications immédiates (abolition de l’indigénat, liberté d’association, de presse, de parole, représentation parlementaire). Le parti doit en prendre résolument la défense par sa presse et du haut de la tribune de la Chambre.

Dans d’autres colonies où la bourgeoisie nationaliste est développée, le parti doit soutenir la fraction dont l’avènement au pouvoir répondra le mieux aux intérêts des masses.

Le parti doit aussi poursuivre l’éducation communiste du prolétariat colonial, en France et aux colonies ; dans les usines, dans l’armée, à la campagne, réveiller en lui la conscience de classe, l’organiser, lier son mouvement à celui du prolétariat métropolitain pour le préparer aux combats qu’il aura à livrer contre le capitalisme français et contre sa propre bourgeoisie.

Et ce n’est qu’en s’inspirant du léninisme pratique, en sachant tirer profit des événements de plus en plus graves qui surviennent aux colonies et qui offrent au parti mille occasions de démontrer aux masses indigènes opprimées ce qu’est la IIIe Internationale : une organisation de travailleurs de toutes races combattant pour l’instauration d’une société d’où seront bannis l’exploitation et le meurtre.


Thèse sur l’indigénat

(adoptée par le 1er Congrès des Travailleurs Nord-Africains, tenu à Paris le 7 décembre 1924)

Si jusqu’à aujourd’hui l’organisation politique et économique des masses nord-africaines n’a pu s’établir, c’est qu’elle se heurte à une nuée de lois d’exception, dont les textes plus ou moins précis dénotent tout l’arbitraire appliqué par l’impérialisme afin d’empêcher l’émancipation des indigènes des colonies.

Cet échafaudage de mesures iniques qui, suivant les besoins de la cause, viennent s’ajouter les unes aux autres, se retranchent, se transforment, se modifient ou s’affermissent, suivant que l’indigénat évolue, revendique ses droits, ou qu’on ait besoin de ses services ou du sacrifice de sa vie. C’est cet odieux régime qu’on appelle l’indigénat.

Ce code de terreur, qui s’étend aussi bien dans le domaine criminel que civil, et qui, au dire des gouvernants, devait s’éteindre progressivement pour laisser la place au droit commun, devient, au contraire, de plus en plus écrasant. Certaines des lois, comme celle qui vient d’être appliquée sur l’émigration des travailleurs algériens en France, sont de date récente. Cette loi, inspirée par les colons, fut appliquée pour enrayer l’exode des travailleurs algériens vers la métropole, et conserver au capitalisme colonial une main-d’œuvre à bon marche.

Ceci démontre d’une manière éclatante le caractère régressif de l’indigénat.

Depuis 1874, le Code de l’Indigénat opprime plus de cinq millions et demi d’indigènes algériens. Partout ils se heurtent à ses décrets implacables.

Dans les communes mixtes, le juge cantonal n’est tenu par aucun texte de loi d’observer la législation française ou musulmane dans les affaires entre indigènes. De sorte que chaque juge est son propre législateur.

Pour les mêmes délits, un indigène se voit octroyer par des tribunaux spéciaux (tribunaux répressifs, cours criminelles) des peines plus élevées que celles dont on aurait frappé le délinquant européen. Bien plus, certains actes permis à des Européens sont délictueux pour les Musulmans.

Dans les communes mixtes les peines sont prononcées et appliquées par des administrateurs dont les pouvoirs reconnus sont exorbitants. Sans aucun jugement, l’administrateur est libre d’appliquer la sentence qui lui plaît, et qui se traduit souvent par la bastonnade, impôt corporel, amende collective, séquestre, emprisonnement.

Parmi les peines spéciales de l’indigénat, l’amende collective (responsabilité collective), le séquestre et l’internement, sont des peines qui démontrent la barbarie du colonialisme français.

L’internat est un droit que s’arroge le gouverneur général sans qu’aucun texte légal l’autorise. Cette peine de prison, il l’applique généralement pour délit d’opinion, délit politique, pour toute tentative d’organisation, même d’ordre économique, ou pour tout mouvement de revendication, toujours considérés comme dirigés contre la suzeraineté de la France, et ce, pour une durée indéterminée, sans que l’accusé soit appelé à se défendre, et sans instruction contradictoire.

Dans les territoires de commandement militaire, les indigènes sont régis par les officiers des affaires indigènes. Cette administration équivaut à celle d’un état de siège : l’Arabe et son bien sont à la disposition du « Bureau Arabe ». Aucune représentation, aucun contrôle : c’est le régime du sabre.

Voici, en résumé, par quelles lois barbares l’indigène algérien a été maintenu dans l’état actuel d’infériorité sociale.

De par le senatus-consulte de 1865, l’indigène musulman d’Algérie n’est pas citoyen français : il est sujet.

Ce titre, qui soi-disant lui permet de jouir de son statut personnel, le fait écraser par des impositions dont est exempt le citoyen français.

La sujétion ne l’incorpore pas entièrement dans les lois civiles françaises ; aussi il est astreint à bien plus d’obligations, tout en restant écarté des privilèges. Il n’a pas la jouissance du bulletin de vote ; pas de liberté de presse, ni de parole ; pas de droit d’association.

Mesures d’exception doublées de l’état d’ignorance dans lequel sont maintenus les indigènes : telles sont les raisons sociales majeures qui jusqu’à la veille de la guerre ont empêché les masses indigènes de participer à la lutte organisée contre l’exploitation du capitalisme.


Pour satisfaire aux besoins de la guerre (en matériel humain de combat et de production) le capitalisme français recruta de force les indigènes, arrosa de mitraille les révoltés, et, pour apaiser la colère de ses sujets, les. leurra de promesses de réformes.

Le contact des masses métropolitaines, au front et dans les usines, avait servi à l’éducation des masses indigènes ; la formule : « Droit des peuples à disposer d’eux-mêmes », du démocrate Wilson, les avait remuées. Après l’armistice le mécontentement grondait. Le gouvernement épouvanté usa de stratagèmes pour freiner le mouvement de révolte et concéda certains droits aux indigènes.

La loi du 4 juillet 1919, qui élargissait les droits des Algériens, et attribuait certains privilèges aux plus soumis d’entre eux, fut votée.

Mais, dès que le gouvernement sentit son pouvoir consolidé (dans la métropole et dans les colonies) et fut en force de résister, cette loi fut supprimée et l’indigénat fut prorogé pour cinq ans.

Aujourd’hui, le mouvement de protestation des indigènes ne fait que s’accentuer, et la suppression de l’indigénat en est la principale revendication.

L’impérialisme français s’oppose à toute concession en évoquant, comme argument décisif, l’incompatibilité du statut personnel avec la loi française : prétexte pour priver l’indigène des droits dont jouit le citoyen français. Le gouvernement sait pertinemment que ce statut personnel du Musulman a été largement rogné, diminué, et que sa valeur a été hypocritement surfaite pour servir d’entrave à l’accession des droits que réclame l’indigène.

En effet, l’état de paupérisme qui a résulté de la colonisation tend à faire disparaître la polygamie. Quant au mariage et aux droits successoraux régis par la jurisprudence musulmane et les plus conformes au droit musulman, ils sont souvent infirmés par le juge d’appel français qui applique ses théories favorites.

Les Cadis (juges indigènes) dont l’incompétence, la servilité et l’insignifiant pouvoir sont si évidents que les indigènes eux-mêmes, en réclament la disparition, ces juges ne figurent dans le cadre de la magistrature que par une tactique colonialiste qui veut faire accroire aux Musulmans que l’on respecte vraiment leurs institutions.

L’inutilité de cette juridiction est si évidente que l’élément ouvrier indigène qui émigre dans la métropole se passe du droit musulman. Alors s’il est soumis, en France, au droit privé métropolitain, pourquoi lui imposer à nouveau les mesures d’exceptions qui l’oppriment dans les colonies ?

L’émir Khaled, lors de son passage à Paris, attira plusieurs milliers d’ouvriers musulmans aux conférences qu’il donnait, et dans lesquelles la suppression de l’indigénat était un des points principaux.

Le Parti, en présentant une candidature coloniale aux élections législatives et en soutenant l’action de l’émir Khaled attire vers lui les masses nord-africaines. L’assiduité avec laquelle ces ouvriers assistent aux réunions communistes en sont une manifestation éclatante.

L’impérialisme français en est si effrayé qu’il multiplie ses efforts pour enrayer ce mouvement par d’autres mesures de répression, ou pour le canaliser en se servant de la bourgeoisie indigène servile qu’il oriente uniquement vers l’obtention de la représentation parlementaire.

Cette reforme même serait une duperie pour les masses. Comme dans les colonies, et dans toutes les assemblées où siègent déjà des indigènes, cette représentation sera restreinte, et comme seuls les privilégiés pourront voter, les élus ne seront autres que les créatures du gouvernement général, capables de toutes les trahisons.

Le Parti doit mener son agitation révolutionnaire auprès des masses indigènes en continuant de porter son action sur les réalisations politiques immédiates revendiquées par les indigènes et défendues par des hommes ou des partis de la tendance Khaled. L’aboutissement de ces revendications ne constituera qu’un semblant de réformes qui n’a rien à voir avec le communisme.

Mais, étant donné que le gouvernement français refuse de donner satisfaction à ces revendications, et que leur réalisation marquera un pas en avant de l’Education politique des indigènes, le Parti ne doit pas hésiter à prendre position pour les indigènes, contre l’impérialisme français, sans toutefois cesser de démontrer l’inutilité de pareilles réformes en régime capitalisme.

Pour conclure, la revendication primordiale pour laquelle doivent combattre énergiquement le Parti et les syndicats, celle qui permettra aux ouvriers indigènes de s’organiser, est la suppression immédiate de l’indigénat et de toutes ses conséquences.

A la tribune de la Chambre, par la presse, dans toutes les réunions politiques et syndicales, partout devra s’élever le mot d’ordre qui réalisera l’égalité de droits entre le prolétariat révolutionnaire métropolitain et celui des colonies. Ce mot d’ordre sera :

A bas l’indigénat !

Là réside la première plate-forme politique de lutte directe contre l’impérialisme français, et là sera la meilleure preuve de la solidarité qui naît entre les ouvriers français et nord-africains.


Thèse sur l’organisation syndicale

(après discussion adoptée à l’unanimité par le 1er Congrès des Travailleurs Nord-Africains, tenu à Paris le 7 décembre 1924)

Si l’organisation syndicale des ouvriers nord-africains est restée retardataire, aux colonies ou dans la métropole, elle le doit à plusieurs facteurs, dont les principaux sont :

1º L’indigénat ;

2° La passivité de l’ouvrier français envers son frère, l’ouvrier colonial.

L’indigénat, qui fait de l’indigène nord-africain un sujet et lui enlève tous les droits dont jouit l’ouvrier français, masque à ses yeux la lutte de classe au profit de la lutte de race.

En effet, l’indigénat le prive :

1° Du droit d’association (la fonction du secrétariat syndical ne peut être tenue que par un citoyen français) ;

2° De la liberté de la presse ;

3° De la liberté de parole.

Ces mesures d’exceptions, appliquées pour sauvegarder la sécurité de la France et empêcher tout mouvement nationaliste dirigé contre elle, s’étend jusque dans le domaine économique pour faire de la main-d’œuvre coloniale un matériel humain avili et à la merci de l’exploitation capitaliste.

La passivité de l’ouvrier français pour organiser son frère indigène se comprend par les raisons suivantes :

Dans la période où les colonies ne servaient que de sources de matières premières et de champ d’écoulement pour la production nationale et où le capitalisme en pleine prospérité assurait à sa classe ouvrière un niveau de vie acceptable, l’ouvrier européen se souciait peu du sort misérable du prolétariat colonial, encore éloigné du marché de travail métropolitain.

L’attitude de la IIe Internationale envers les peuples coloniaux en fut la caractéristique.

Dans les colonies, la politique colonialiste agissait pour empêcher la fusion entre l’élément européen et indigène.

Les syndicats dans les colonies sont des organisations d’aristocraties ouvrières blanches. L’atmosphère y est telle pour l’ouvrier indigène que les plus conscients désespèrent d’y rester. L’infériorité sociale qui lui est imposée par l’impérialisme le poursuit jusque dans ses rapports de solidarité avec des étrangers de sa classe.

Il est parfois appelé à coopérer dans un mouvement dirigé contre le patronat ; plus exploité, son attitude, dans ces conflits, a souvent été très énergique. Mais, bien souvent, les compromis ou les solutions s’opéraient à son détriment. Dans presque toutes les corporations, les manœuvres de division, dirigées par le capitalisme, sont systématiques.

L’ouvrier européen donne dans le panneau, et ne voit pas que cette tactique sert à abaisser les salaires des ouvriers indigènes qui, automatiquement, ont une répercussion sur les siens.

Il tolère l’existence de deux salaires pour un même travail et ne voit pas que cette manœuvre ouvertement employée par le capitalisme lui est aussi néfaste qu’à son frère indigène. Ce qui maintient une lutte fratricide à l’état permanent.

L’hostilité de l’ouvrier européen à l’égard de l’indigène est poussée à un tel point qu’il lui refuse l’apprentissage du métier, et, chose extraordinaire, les ouvriers indigènes qui acquièrent leur qualification dans les usines ou ateliers métropolitains se voient refuser l’embauche chez eux, par le patronat, avec la complicité des ouvriers européens.

Aujourd’hui, le développement de la technique de la production du capitalisme français a réduit la qualification de l’ouvrier.

De plus, l’armée de réserve de main-d’œuvre à bon marche dont dispose le capital dans les colonies, grossit démesurément. Il la transporte dans la métropole pour assurer sa production et pour concurrencer la main-d’œuvre européenne plus onéreuse et mieux organisée.

Ici, nous entrons dans une nouvelle phase de la lutte du mouvement ouvrier, à laquelle la classe ouvrière française doit consacrer toute son énergie, si elle ne veut pas en supporter les conséquences. Le sous-prolétariat colonial, qui jusqu’à présent, par son esclavage, a assuré la prospérité du capitalisme national et dont la classe ouvrière récoltait les miettes, devient pour elle un concurrent, et met en danger les conditions de vie et les droits qu’elle a arrachés à son capitalisme, après bien des luttes.

En laissant de côté toute la théorie humanitaire ou sentimentale de fraternité entre races, et en condamnant toutes les mesures de contrôle ou de protection contre cette main-d’œuvre (théories démagogiques préconisées par les réformistes, agents du capital, et qui en réalité aggraveraient cette concurrence) une seule solution s’impose : c’est l’organisation de ces masses indigènes dans les syndicats.

Cette organisation qui a été ébauchée, et qui a donné les plus satisfaisants résultats a démontré que l’ouvrier indigène n’est pas étranger à la lutte de classe. Son esprit de combativité, vierge du démocratisme bourgeois et de l’idéologie anarcho-réformiste a montré dans les conflits une résolution inebraniable de ténacité.

Pendant les grèyes des mines de Saint-Etienne ou du Pas-de-Calais, pendant celles du Gaz, de Citroën, de la Raffinerie Say ou des laveurs d’automobiles, dans tous les mouvements de revendications, il a montré des qualités de lutte supérieures à celles de l’ouvrier européen.

A toutes les réunions organisées par le Parti ou par la C.G.T.U., les travailleurs nord-africains ont répondu en très grand nombre. Ecrasés sous l’exploitation, malgré la grande ignorance dans laquelle les maintient l’impérialisme, ils affluent vers les organisations de classe et ne demandent qu’à tendre une main fraternelle aux ouvriers européens.

Le gouvernement, qui voit le réveil des masses coloniales et la virilité de leur esprit de combat, avait, il y a quelques mois, déchainé une violente campagne de presse pour jeter le discrédit sur elles. Cette campagne était faite dans le but de préparer l’opinion publique pour justifier les mesures de répression qui allaient suivre. Aujourd’hui ce nouveau crime contre la classe ouvrière est consommé ! Une nouvelle loi sur l’immigration de la main-d’œuvre nord-africaine est déjà en vigueur. Les travailleurs nord-africains se rendant en France se heurtent à tant de difficultés administratives que leur départ est rendu impossible. Seulement, il se crée dans la colonie des offices d’embauche, sous le contrôle du ministère du Travail, qui les pourvoiront de contrats de travail favorables au capitalisme métropolitain.

La nouvelle loi de limitation et de contrôle de la main-d’œuvre coloniale n’aura servi qu’au capitalisme qui veut disposer à son gré de cette main-d’œuvre et accentuer la concurrence sur le marché du travail en France.

C’est pourquoi il est urgent que le Parti communiste et la C.G.T.U. s’occupent sérieusement de la question et intensifient leur travail d’organisation parmi les travailleurs coloniaux.

Les mesures suivantes seraient à prendre :

Mener la plus large propagande (par des meetings, par la presse, etc.) et exposer la fourberie du capitalisme, qui sème la haine de races, pour profiter de la division ;

Demander que la C.G.T.U. crée une permanence pour l’organisation de la main-d’œuvre coloniale. Cette attribution n’est pas du ressort de la Main-d’Oeuvre Etrangère. Les travailleurs coloniaux ne peuvent être assimilés aux travailleurs italiens, polonais, etc …; ils sont régis par des lois iniques françaises. Leur question est d’ordre national ;

Nommer à la C.G.T.U. une sous-commission de la main-d’œuvre indigène ;

Combattre pour l’abolition de l’indigénat et de toutes ses conséquences ;

Faire reconnaître les droits d’association, de liberté de presse et de parole ;

Combattre la nouvelle loi sur l’immigration ;

Organiser des tournées de propagande dans tous les centres où réside un fort contingent de main-d’œuvre nord-africaine ;

Organiser des cours d’éducation primaire et syndicale dans tous ces centres. Former des cadres indigènes ;

Editer la littérature de propagande et éducative en langues française et arabe ;

10° Placer dans les bureaux des syndicats des fortes corporations (métaux, alimentation, gaz, transports, etc.) des éléments indigènes ;

11° Porter la question indigène à l’ordre du jour de chaque congrès corporatif.


Les revendications des travailleurs nord-africains

Programme de revendications politiques et économiques présenté au premier Congrès des travailleurs nord-africains, le 7 décembre 1924, et adopté à l’unanimité :

Revendications politiques

En accord avec ses principes, le P.C. mène la lutte par tous les moyens et sans conditions pour l’indépendance des colonies, mais soutient dès à présent les revendications immédiates des indigènes nord-africains :

1° La suppression de l’indigénat, avec toutes ses conséquences ;

2° Le suffrage universel pour tous les indigènes au même degré que pour les citoyens français ;

3° Egalité devant l’impôt (suppression de tous les impôts spéciaux, corporels, corvées, amendes collectives, etc.) ;

4° Instruction obligatoire et gratuite dans les deux langues pour tous les indigènes et leur accession à l’enseignement à tous les degrés ;

5° Egalité de traitement des fonctionnaires indigènes et français ;

6° Suppression des communes mixtes et des territoires de commandements militaires ;

7° Liberté de presse, de parole et d’association ;

8° Suppression de la loi sur l’émigration ;

9° Suppression de l’inégalité du service militaire ;

10° Amnistie générale.

Revendications économiques

Le Parti et la C.G.T.U. devront envisager les moyens de lutte pour faire aboutir les revendications des ouvriers nord-africains :

1° A travail égal, salaire égal ;

2° Journée de huit heures ;

3° Suppression du « denier à Dieu » à l’embauchage ;

4° Accession de l’ouvrier indigène à la qualification ;

5° Droit à la titularisation ;

6° Indemnité pour la femme et les enfants, cherté de vie, soins médicaux, indemnité de logement, hygiène de l’habitation ;

7° Suppression du contrat de travail imposé pour l’émigration ;

8° Liberté d’émigration pour la France et l’étranger ;

9° Application aux indigènes des lois ouvrières ;

10° Amélioration des conditions économiques des jeunes (apprentissage, éducation, etc.).