Article d’Abdelaziz Menouer alias El Djazaïri paru dans La Vie ouvrière, 9e année, n° 398, 14 janvier 1927, p. 3

Toute la presse bourgeoise s’est encore ameutée contre les « sidis ». La présence des 150.000 travailleurs nord-africains dans la métropole hante l’impérialisme français.
Le mot d’ordre de « Haro sur le Bicot ! » a été donné à tous les journaux, et la campagne est menée savamment.
Les feuilles « d’information » ou social-démocrates lues par les masses exploitent, elles, les sentiments d’exaspération qui peuvent naître chez les ouvriers chômeurs et les dressent contre les travailleurs étrangers et coloniaux.
Elles font le procès de l’indigène colonial. Elles le rendent responsable de toutes les calamités sociales issues du régime colonialiste où il vit ; lui trouvent des vices abominables avec autant de facilité qu’elles lui jetèrent des fleurs lors de la grande tuerie ; elles lui reprochent la vie misérable qui lui est imposée par le capitalisme. Le travailleur kabyle est coupable de tous les maux : ignorance, syphilis, barbarie et bien d’autres crimes.
D’autres feuilles, celles qu’il a le malheur de lire, l’engagent avec perfidie à retourner chez lui, retrouver son bled enchanteur, son chaud soleil, loin de la fumée des usines, loin des bouges de la banlieue parisienne ou de l’atmosphère froide et mortelle des régions du Nord. Et, de l’autre coté de la mer, le gouverneur Viollette, paternel, prodigue dans la presse force avis pour inciter les indigènes à rester chez eux et pousse la « générosité » au point de renforcer la circulaire Chautemps en imposant aux émigrés algériens une autre difficulté : la possession du billet de chemin de fer jusqu’à destination du lieu de travail au moment de l’embarquement sur le paquebot.
Cette politique de duplicité à l’égard d’une classe ouvrière de race différente, cette manœuvre de division, ne sont pas inspirées par le souci de sauvegarder les intérêts des ouvriers français et coloniaux ; le capitalisme et ses agents réformistes ne peuvent avoir de tels sentiments. Mais la réalité est que les groupements agricoles de la colonie et les industriels métropolitains, ainsi que l’impérialisme français, y attachent une importance tant économique que politique.
Les publications économiques et financières coloniales qui ne sont pas lues par le grand public sont catégoriques.
Que l’on prenne la Dépêche Coloniale, l’Economiste Colonial, le Courrier Colonial ou tout autre organe esclavagiste, tous sont unanimes pour préconiser le refoulement des indigènes vers les colonies, où ils s’épouvantent de voir la main-d’œuvre se raréfier. Ils ne parlent jamais des causes qui déciment les indigènes ou les poussent à s’enfuir.
Le problème du jour, c’est non seulement la mise en valeur – à bon compte – des colonies, afin de renflouer l’économie de la nation dominante, mais aussi la suppression des contacts avec les ouvriers révolutionnaires métropolitains et de leur influence dangereuse sur les opprimés des colonies. Pour arriver à ces fins, on ne ménage aucune canaillerie.
Une feuille d’Alger, qui n’est pas des nôtres, La Kabylie Française, nous fournit un exemple. Citons-le.
« Tout récemment à Lyon, aux destinées municipales de laquelle préside M. Herriot, des agents de l’autorité ont parcouru les quartiers de la ville où l’on pouvait rencontrer des indigènes Algériens, et leur ont offert, après les avoir mis en garde contre les méfaits du chômage, du travail en Corse, travail payé, disaient-ils, à raison de 20 francs par jour, frais de voyage à la charge de l’employeur.
« Nombreux furent ceux qui acceptèrent ces offres : plus de 300, assure-t-on. Sans retard, ils furent mis dans un train s’en allant à Marseille et là, avec des complicités auxquelles des comptes seront demandés, ces indigènes, au lieu d’être embarques sur un courrier à destination de la Corse, furent placés sur deux paquebots se dirigeant l’un sur Bône et l’autre sur Alger, et livrés à l’aventure. Le tour était joué et les indigènes victimes de cette supercherie ne s’en aperçurent qu’en débarquant. »
Ce n’est pas tout. Le service de surveillance indigène de la rue Lecomte, s’il pourvoit, d’un côté, les industriels d’une main-d’œuvre nord-africaine avilie, se livre également à des procédés aussi abjects que celui cité précédemment.
Ses policiers rabatteurs parcourent tous les lieux de travail, d’habitation ou fréquentés par les travailleurs algériens, et les pressent de retourner chez eux. On voit que le chômage devient le prétexte providentiel permettant la chasse aux indigènes algériens et la remise entre les mains de l’administration coloniale des éléments les plus avancés.
Là-bas, naturellement, « l’indigénat » sévira contre eux avec rigueur. L’internement arbitraire de notre camarade Mahmoud ben Lekhal, pour sa propagande dans les milieux ouvriers nord-africains de la région parisienne en est un exemple éclatant.
Là-bas, poussés aussi par la famine, qui torture plus de 1.500.000 des leurs, ils accepteront, pour un exténuant labeur, les 5 francs par jour octroyés par le colon. Ils plieront l’échine sous la trique de l’administrateur jusqu’à ce qu’ils acceptent, comme les musulmans de l’A.O.F., les salaires les plus bas.
En Mauritanie, un décret, daté du 6 novembre 1926, fixe les salaires des travailleurs comme suit :
Art. 10. – Pour une journée de 10 heures : femmes et enfants, 1 fr.50 ; adultes, 2 francs.
Art. 13. – Le taux de l’heure supplémentaire est égal au 1/10 du salaire de la journée normale.
On trouve encore le cynisme de retenir 1/10 sur le salaire total pour constituer soi-disant un pécule à l’ouvrier. Ce décret esclavagiste a été arrêté par M. Gadel, gouverneur des colonies, lieutenant gouverneur de la Mauritanie, officier de la Légion d’honneur.
C’est cette servitude qu’on veut imposer aux Nord-Africains. Dans le cadre de la production capitaliste, cet esclavage aura inévitablement ses répercussions sur les conditions de travail et de vie des travailleurs français.
C’est pour ces raisons que ces derniers, unis aux travailleurs nord-africains, doivent s’opposer au rapatriement forcé.
Les Algériens ne doivent pas se laisser intimider par les agents de Gérolami, ni accepter leur renvoi d’office de la France. Ils doivent obtenir (et les étrangers eux-mêmes y ont droit) les secours de chômage. Tout ouvrier congédié doit exiger de son patron un certificat mentionnant que le licenciement a été cause par le manque de travail.
Muni de ce certificat de chômage et d’une quittance de loyer, ou certificat de domicile, légalisés par le commissaire de police de son quartier, il se présentera à la mairie de son arrondissement, où il demandera son inscription sur les listes de chômeurs.
Avant de tenter toute démarche à la mairie, il devra se présenter et se faire inscrire dans les différents bureaux de placement.
Les ouvriers indigènes doivent aussi s’unir aux ouvriers métropolitains pour faire appliquer les mots d’ordre de la C. G. T U. concernant le chômage.
Ils doivent se rendre souvent au siège de leur syndicat pour recevoir les instructions nécessaires en vue de s’organiser pour défendre les revendications des chômeurs.
Les ouvriers métropolitains, à leur tour, se feront un devoir de soutenir leurs camarades nord-africains pour faire aboutir leurs revendications :
Droit syndicat intégral ;
Liberté d’immigration ;
Respect des huit heures ;
Exiger des municipalités des secours vitaux ;
Création de soupes populaires, de logements gratuits ;
Ouverture de chantiers, etc. ;
Suppression de l’abominable « Code de l’Indigénat ».
Et c’est ainsi que s’affirmera leur solidarité de classe et leur lutte effective contre le capitalisme et l’une de ses crises : le chômage.
EL DJAZAIRI.
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