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Abdelaziz Menouer : Les travailleurs coloniaux et les grèves

Article d’Abdelaziz Menouer alias El Djazaïri paru dans La Vie ouvrière, huitième année, n° 377, 20 août 1926, p. 4

Quand nous appelions les ouvriers français à organiser et à éduquer les travailleurs coloniaux, nous prévoyions la concurrence inévitable qu’ils apporteraient sur le marché du travail et les dangers que cette main-d’œuvre présenterait pour les ouvriers métropolitains si elle restait à la merci du patronat. Nous ne nous sommes jamais arrêtés au sentimentalisme pour combattre les solutions démagogiques des réformistes ni les campagnes xénophobes de la bourgeoisie, mais nous avions maintes fois démontré que nous devions nous y intéresser, parce qu’elle n’était que la conséquence fatale du développement de la production capitaliste et de son impérialisme et colonialisme.

Nous avions toujours expliqué aux masses métropolitaines les raisons qui poussaient les réformistes et la bourgeoisie à isoler les travailleurs coloniaux des ouvriers français après qu’elle les ait jetés dans l’enfer de ses usines et exploitations. Aujourd’hui, la manœuvre peut déjà dévoiler ses buts. Les campagnes diffamatoires menées contre les « sidis » par la presse prostituée, depuis le Peuple jusqu’à L’Action Française, servirent à souhait le désir des exploiteurs. La loi Chautemps devant réglementer l’émigration des ouvriers nord-africains ne sert, en réalité, qu’à les refouler alternativement et suivant les besoins, vers les colons d’Algérie ou vers les industriels de la métropole. Le bureau policier de la rue Lecomte, chargé soi-disant de la surveillance et de la protection des Algériens, n’est, en vérité, qu’une succursale du syndicat jaune de la rue Bonaparte. Celle semaine, plusieurs faits viennent nous en donner l’affirmation. Depuis plus de dix jours, les travailleurs municipaux de la T.I.R.U. sont en grève. Les ouvriers des usines d’Ivry sont, en grande partie, nord-africains. Quelques-uns travaillaient dans celles de Saint-Ouen, de Romainville et d’Issy-les-Moulineaux. Tous sont sortis et luttent aux côtés de leurs frères européens avec une ténacité admirable. Que fait le patronat pour briser ce mouvement magnifique ? Par ces officines de briseurs de grève, il s’occupe aujourd’hui de l’embauche de ces mêmes « sidis » qu’il insultait hier. L’esclavagiste Gerolami, administrateur de commune mixte et du bureau de la rue Lecomte, a envoyé ses agents rabatteurs faire le racolage de la main-d’œuvre jaune algérienne. Et ses chaouchs indigènes, recrutés parmi les nervis, savent, à leur tour, où recruter les aventuriers de leur monde. Un de nos camarades vit une douzaine de ces jaunes destines à l’usine d’Issy-les-Moulineaux, dans une gargote de la localité, hébergés par les bourriques de Gerolami et … en compagnie d’un blanc bec portant l’insigne du faisceau. D’autres de nos frères musulmans sont encore venus nous renseigner sur le bureau de la rue Bonaparte, où ils venaient d’être embauchés à raison de 35 francs par jour et nourris pour briser la grève de la T.I.R.U.

Nos camarades du bâtiment nous informent qu’une grève ayant éclaté parmi les terrassiers travaillant sur la nouvelle ligne de métro Italie-Pont-Marie, l’entreprise embaucha des Algériens pour briser le mouvement.

Des faits pareils se renouvelleront car la grande majorité des ouvriers algériens est inéduquée et inorganisée.

Les travailleurs coloniaux, maintenus par le colonialisme depuis près d’un siècle dans l’obscurantisme et privés des droits dont jouissent les ouvriers métropolitains, se prêtent inconsciemment aux manœuvres du capital. Il ne s’agit pas de leur jeter la pierre. Il ne s’agit pas seulement, d’aller à eux au moment d’un conflit pour les neutraliser. C’est dans leur travail de chaque jour : dans l’usine, dans la mine, dans les ports, qu’il faut s’intéresser à leur sort, soutenir leurs revendications, exiger l’amélioration de leurs conditions de vie et de travail, les aider à arracher le droit syndical. Et ce n’est que par ces marques de fraternité et des actes de solidarité ouvrière qu’on peut les attirer vers l’organisation syndicale et les éduquer. Car c’est l’organisation seule qui pourra vaincre le patronat et déjouer ses criminelles machinations.

El Djazaïri.