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Après la dissolution de l’Etoile nord-africaine. Messali Hadj chef de l’organisation dissoute nous déclare…

Déclaration de Messali Hadj parue dans La Flèche de Paris, 4e année, n° 51, 30 janvier 1937

La dissolution de l’Etoile Nord-Africaine ayant été décrétée, alors que rien ne la laissait prévoir, il nous a paru intéressant de connaître l’opinion du président de cette organisation dont l’attitude, depuis l’avènement du Front populaire, permettait précisément de croire que l’action de l’Etoile faciliterait les rapports entre les masses musulmanes et le peuple français.

Ainsi, Messali, que la décision ministérielle avait ramené à Paris en l’obligeant à interrompre une série de meetings dans la région lyonnaise, nous a déclaré :

GRANDE fut notre stupeur à la lecture de la presse annonçant la dissolution de l’Etoile Nord-Africaine. Grande aussi fut la stupeur de tous les Nord-Africains, de la région parisienne à la province la plus reculée. Nous étions vraiment loin de nous attendre à une pareille mesure appliquée par un gouvernement issu du Rassemblement populaire dont nous sommes membres et auquel nous avons prêté serment, dès la première heure, au même titre que les autres partis et organisations le composant.

Rien ne justifie la décision prise à notre égard. Nous ne sommes pas, nous n’avons jamais été contre la France, au contraire, et de cela nous avons fourni maintes preuves orales et écrites. Certes, nous sommes contre certaine politique, contre certains actes qui ne nous semblent pas devoir être favorables au peuple algérien ; un Français qui s’élève contre l’action du gouvernement est-il donc considéré comme susceptible de porter atteinte au prestige du pays ? Cela serait probablement sous un régime totalitaire, dictatorial, mais, Dieu merci, la France est encore démocrate, du moins le croyons-nous …

Nous avons toujours reconnu combien la tâche du gouvernement de M. Léon Blum était difficile, aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur. Et pour cette raison, fidèles à la parole que nous avons donnée au Rassemblement populaire, nous n’avons jamais gêné l’action du gouvernement dans la mesure où celui-ci restait fidèle au serment du 14 juillet. Cependant il est un grand nombre de réformes que nous voudrions voir appliquer sans retard et dont voici les principales :

Liberté de presse, de réunion et d’association. Abolition du code de l’indigénat et de toutes les lois d’exception. Réforme du code forestier. Développement de l’enseignement arabe et français ; création d’écoles rurales dans tous les centres. Suppression des arrêts-saisies ordonnés par le fisc. Création d’une caisse de chômage et organisation de la lutte contre la misère. Développement du réseau médical et sanitaire à travers l’Algérie. Augmentation du pouvoir d’achat des Algériens par un rajustement des salaires. Application des lois sociales et ouvrières. Application d’un programme de grands travaux pour aider à la résorption du chômage, etc.

Y a-t-il, parmi ces revendications, quelque chose de choquant, quelque chose qui indique une menée antifrançaise ? Certes, nous réclamons l’octroi des libertés démocratiques, nous voulons la constitution d’un Parlement algérien élu au suffrage universel, mais nous entendons bien atteindre ces buts grâce à la collaboration intime des Algériens et des Français. Nous ne travaillons pas pour jeter les Français à la mer, ainsi qu’on ose l’affirmer ; nous ne travaillons pas non plus contre l’influence française ni contre les intérêts de la France en Afrique du Nord. Nos attaques visent uniquement le colonialisme, ses exigences inhumaines et ses erreurs. Nous travaillons en prévision de l’avenir logique de l’Algérie pour que le peuple algérien puisse participer à la direction économique, politique et administrative de son pays, l’israélite, le musulman et le Français se trouvant alors sur le même pied d’égalité.

Pour en revenir à la dissolution de notre association, je puis affirmer qu’elle a soulevé l’indignation des milieux nord-africains, et aussi de nombreux membres des partis politiques de toute nuance.

Il faut tout de même reconnaître que si, hier, ayant à lutter contre des gouvernements et des partis politiques hostiles à l’évolution normale du peuple algérien, nos campagnes étaient parfois un peu dures, bien que justes, nous avons, depuis la venue au pouvoir de M. Léon Blum, en considération du pacte de Rassemblement populaire, adapté nos polémiques à la situation nouvelle. Tous les partis composant le Front populaire, le parti communiste en particulier, pourraient-ils en dire autant ? Dois-je rappeler qu’on n’a pas hésité non seulement à nous admettre, mais encore à faire ostensiblement état de notre présence dans maintes manifestations du Front populaire. Alors ? Nous ne comprenons plus.

La raison de la décision gouvernementale réside, à notre avis, premièrement dans l’attitude prise par les élus algériens – type Ben Djelloul – contre l’Etoile Nord-Africaine, et deuxièmement dans les attaques que la presse de droite n’a cessé de diriger contre nous, attaques qui n’ont, la plupart du temps, rencontré dans la majorité des journaux de gauche qu’un incompréhensible silence. Les uns disent que nous sommes communistes, les autres fascistes. Nous affirmons, nous, que nous ne sommes ni l’un ni l’autre, mais simplement des Algériens décidés à arracher nos légitimes revendications à un colonialisme que nous avions l’espoir de croire mort. Et nous ne pensons pas qu’il soit un seul Français de cœur, averti des problèmes nord-africains, pour nier ou méconnaître la justesse de notre position.

Je signale également combien la décision gouvernementale, prise avec tant de désinvolture, est grave. Non seulement elle provoquera de vives protestations en Afrique du Nord, mais également dans le monde musulman.

Cependant nous voulons croire que les responsables d’une mesure injustifiée comprendront leur grande erreur, comprendront qu’il est des marches en avant que rien ne saurait arrêter.