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Statut personnel : Le gouvernement recule !

Article paru dans El-Oumami, n° 22, février 1982, p. 4-5


LE GOUVERNEMENT vient de décider le 24/1/82 d’ajourner l’examen par l’APN du projet de statut personnel. Il est ainsi prouvé que l’Etat bourgeois peut reculer sous la pression de la mobilisation. Seule la lutte paye. Malgré le nombre limité de femmes ayant participé aux rassemblements d’Alger, il est clair que ces rassemblements n’ont pas été vains. Honte à celles qui ont tourné le dos à ces initiatives sous prétexte qu’il faut d’abord faire des conférences-débats et rédiger un manifeste sur les droits de la femme !

Ceci dit, si le recul du gouvernement constitue effectivement un encouragement à la lutte, il faut se garder de se faire des illusions. Certes, même Daniel Junqua, d’habitude très discret, a osé écrire : « Devant l’ampleur des réactions et l’âpreté d’un débat qui oppose modernistes et traditionalistes, religieux et laïcs, le pouvoir a préféré, au moins provisoirement battre en retraite » (Le Monde du 26/1/82). Mais le gouvernement n’est pas sans arrières-pensées. Il va essayer de reprendre la question sous la forme d’un dossier qui examinera le rôle de la famille en Algérie.

Or, le dossier culturel nous a déjà donné un avant-goût du « débat démocratique », lequel se déroulera dans le cadre des instances du FLN et des soi-disant « organisations de masse » (UNFA, UGTA, UNJA). Nul doute que ce « débat » débouchera sur une « Charte de la famille » ou quelque chose du même genre qui reprendra en d’autres termes, les dispositions réactionnaires et discriminatoires contenues dans le projet de statut personnel présenté par Baki et sa clique.

Par ailleurs, l’Etat bourgeois peut bien faire des concessions juridiques sur le papier sans pour autant que cela mette fin aux pratiques discriminatoires dont les femmes sont l’objet à tous les niveaux. C’est dire que la mobilisation doit continuer. Les travailleuses qui interviennent dans le mouvement des femmes ne doivent pas se laisser entraîner par les féministes petites-bourgeoises. Au contraire, elles doivent intensifier la sensibilisation et la prise des contacts sur les lieux de travail en vue de lier la lutte contre les discriminations à la lutte pour les revendications matérielles (salaire, logement, transport). C’est là la meilleure contribution pour briser l’isolement du mouvement et le rendre apte à affronter l’Etat bourgeois lors de la prochaine bataille.

Toute autre perspective, et notamment celle qui consiste à appeler à l’unité avec l’UNJA et les pagsistes sous prétexte d’être plus fortes, ne fera que déboucher dans le meilleur des cas sur un réaménagement superficiel de la situation qui est faite actuellement aux femmes en Algérie. L’UNJA et les pagsistes font semblant de défendre les droits des travailleuses et des femmes mais elles restent bien attachées aux « valeurs arabo-islamiques » au nom desquelles la bourgeoisie perpétue l’oppression et les discriminations qui touchent les femmes sur les plans économique, social, politique et culturel.

Dans leur contribution critique au sujet des dispositions de l’avant-projet du code de la famille, les pag­sistes n’ont éprouvé aucune honte à avancer comme proposition minimale… « la polygamie limitée à deux épouses » ! Et le comble, c’est qu’ils font accompagner cette proposition « minimale » d’une autre : « logement distinct pour chaque épouse » !! Ainsi, non contents d’accepter la polygamie (limitée à deux épouses) au nom des « valeurs arabo­-islamiques », ces messieurs-dames, qui osent s’appeler « parti de l’avant-garde socialiste », réclament un « logement distinct pour chaque épouse » pour bien montrer sans doute qu’ils se préoccupent du bonheur de ceux qui peuvent se permettre deux logements (entendez bien : deux logements !) dans la situation de crise sans précédent à laquelle sont confrontées les masses.

Que peut-on attendre de ces gens-là ? Qu’elles renforcent la lutte contre les discriminations et pour l’égalité des droits entre l’homme et la femme ? Ce serait croire au miracle. Aucun expédient « tactique » ne permettra aux travailleuses et aux militantes combatives de faire l’économie du travail lent et patient qui consiste à sensibiliser et à mobiliser les principales concernées : les travailleuses exploitées et opprimées, les femmes au foyer et surtout les jeunes (lycéennes et autres) dont la bourgeoisie cherche à étouffer la révolte et l’aspiration à la vie par l’obscurantisme et la répression. Pour acquérir sa pleine efficacité et s’intégrer dans la lutte contre le capitalisme, ce travail doit évidemment se faire dans la perspective de l’union de tous les travailleurs par-dessus les divisions que cherche à entretenir la bourgeoisie pour mieux perpétuer sa domination.

Il serait évidemment absurde d’interpréter notre perspective de travail — comme le font certaines à tort ou à dessein — comme une sorte de négation de l’oppression spécifique dont sont l’objet les femmes en Algérie (1). Il s’en suit donc que nous ne pouvons pas nier les revendications « spécifiques » des femmes. Cela ne contredit nullement la théorie de la luttes des classes. L’oppression et les discriminations touchent pratiquement les femmes algériennes de toutes les classes sociales mais elles ne les touchent pas au même degré ni avec la même intensité et c’est ce phénomène matériel qui engendre à son tour la lutte des classes au sein même du mouvement des femmes.

Reconnaître que le mouvement des femmes ne peut pas être à l’abri des contradictions de classes parce que précisément il est composé de femmes appartenant à des classes sociales différentes ne signifie pas qu’on tombe dans l’ « ouvriérisme ». Les communistes sont les adversaires acharnés de toute oppression, de toute discrimination, quelque soit la classe ou le groupe social qui en est l’objet. Mais si nous refusons le piège de l’ « ouvriérisme », nous avons évidemment mille fois plus raison de rejeter celui du féminisme petit-bourgeois lequel, sous prétexte de tenir compte des « spécificités » de la situation des femmes, cherche à gommer les différences de classe et à mettre les travailleuses à la remorque des bourgeoises et des petites-bourgeoises.

Or, les femmes bourgeoises et une partie des femmes petites-bourgeoises n’ont pas de problèmes économiques et sociaux (logement, transport, santé) et peuvent même se décharger du travail domestique et la garde des enfants sur une bonne, ce qui les amène à restreindre l’horizon de leur lutte au niveau des réformes juridiques. Voilà pourquoi la lutte pour l’égalité des droits entre l’homme et la femme apparaît ici comme une « fin en soi ». Par contre, les femmes travailleuses et au foyer ont, certes, intérêt à se débarrasser de toutes les tracasseries juridiques et administratives mais contrairement aux bourgeoises et petites-bourgeoises cela ne fera que dévoiler encore plus la nature économique et sociale des problèmes auxquels elles sont confrontées. Voilà pourquoi la lutte pour l’égalité des droits entre l’homme et la femme ne peut être dans ce cas une « fin en soi ». En ce qui concerne la liberté du divorce par exemple, Lénine expliquait que plus elle se complète « plus il est évident pour la femme que la source de son « esclavage domestique » est le capitalisme et non l’absence de droits » (Œuvres, t. 23).

Voilà pourquoi, dès aujourd’hui, les travailleuses et les militantes révolutionnaires, tout en participant au mouvement des femmes actuel malgré ses faiblesses et ses limites, doivent constamment lier la lutte contre les discriminations sociales et avancer des méthodes d’action susceptibles de faire la jonction avec le jeune mouvement ouvrier algérien. Nous nous réjouissons par exemple du fait que le collectif des femmes de la FTEC (travailleuses de l’éducation et de la culture) avance les revendications suivantes : « crèches, pouponnières, jardins d’enfants, laveries automatiques, transport du personnel, cantines, logement pour les femmes célibataires, infrastructure médicale pour prendre en charge des problèmes tels que grossesse, surmenage, etc. ».

On nous accuse d’utiliser la lutte des femmes pour servir le prolétariat. On sourirait si un tel langage ne faisait pas malheureusement le jeu de celles qui ont intérêt à ce que la lutte des travailleuses, qui ont le courage de descendre dans la rue dans la situation actuelle en Algérie, ne serve finalement que les femmes bourgeoises et petites-bourgeoises. Non, l’unité du prolétariat par-dessus toutes les barrières ne peut faire peur qu’aux bourgeois (es) et à leurs valets. Comme nous l’entendons, cette unité (lisez-bien SVP) se construira non pas en tournant le dos aux revendications « spécifiques » des femmes, mais en les prenant en charge, en les intégrant à la lutte pour des revendications sociales et pour les libertés politiques et en appelant les travailleurs à les soutenir concrètement de toutes leurs forces.


(1) Un simple coup d’œil sur les articles parus dans El-Oumami 11, 15 et 20 suffit pour en finir avec la prétention de certaines à découvrir dans El-Oumami une position « ouvriériste » indifférente aux problèmes et aux revendications « spécifiques » des femmes en Algérie.

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