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Réponses à la lettre de Mohammed

Textes parus dans Tout !, n° 15, 30 juin 1971, p. 2


J’ai couché avec un Arabe, ou plutôt, j’ai eu une liaison avec un Arabe : je ne me suis jamais posé de problèmes à ce sujet. Il me plaisait, j’étais bien avec lui, lui aussi, c’est tout. Mais j’ai pris la mesure du racisme à cette occasion… en étant avec lui dans les lieux publics. C’est dans le regard des gens, à certains sourires déplaisants, voire carrément hostiles que je me rendais compte que l’homme qui était avec moi était un Arabe. Lui savait, sentait, moi pas, au début. C’est quand il m’a dit : « C’est toujours comme ça… » que j’ai réalisé que je couchais avec un Arabe – et que c’était pas dans l’ordre normal des choses – On a essayé d’en sourire et d’en rire ensemble – pour moi c’était facile, pour lui pas – et cette différence de réaction due aux gens extérieurs à nous, a créé un peu un malaise entre nous. Quand je lui disais : « T’occupes pas, ce sont des cons, laissons tomber ». Il disait : « Oui, mais moi je n’arrive pas, je le vis, pas toi ».

Mais je voulais dire aussi que nous sommes allés un jour dans une petite ville de province, bien de « chez nous ». Nous avons pu trouver une chambre chez une petite vieille, dans une villa modeste, pour le week-end. Au début, elle était méfiante (d’habitude elle louait pas à des gens comme nous, pas mariés et en plus… sourire contraint) ses yeux inquiets, hésitants, mais elle a accepté de nous héberger. Cette petite vieille-là, je m’en souviendrai toujours. Le lendemain matin au petit déjeuner, on a parlé un peu avec elle, on a admiré son chat, son jardin (pour de vrai on aimait, c’était pas, pour lui faire plaisir, être reconnaissants, non, on aime les chats et les jardins) elle a parlé de sa solitude de petite vieille dans sa maison, de ses petits revenus, de sa ville bien pensante. Elie parlait, elle souriait, Il y avait du soleil dans la cuisine où on était. On l’avait pas volée, on l’avait pas assassinée… On arrivait à parler, presque à se comprendre. En partant elle nous dit : « si on voulait revenir l’été… » On n’a pas pu, c’est dommage.

Si seulement tous les militants dits de gauche étaient comme elle !

HELENE


Je te réponds car le problème que tu soulèves me semble à moi aussi très important pour le mouvement.

Plusieurs fois j’ai eu une envie de dégueuler, une honte immense à savoir que moi aussi, j’étais une nana française et que pour tous les copains africains inconnus, j’étais moi aussi une salope. Et puis j’ai cessé de discuter avec les copines : j’étais écœurée d’entendre les pseudos-discours sur les affrontements de civilisation, le fait qu’on ne pouvait pas faire comprendre à un copain africain qu’on pouvait faire l’amour avec lui en ayant d’autres compagnons. Pour ces copines gauchistes militantes, c’est tout juste, si elles ne s’imaginaient pas que tu allais d’un seul coup sortir un voile de ta poche et leur foutre sur la gueule pour la vie. De toutes leçons, le voile pour elles, il était posé au niveau des conceptions du rapport.

Il n’est pas intéressant que je dise qui je suis sinon que mon action militante je la place dans la vie de tous les jours et j’essaie de le faire sans panoplie. Et tu sais, c’est important la panoplie, c’est important pour militer, pour baiser, pour l’amitié, pour tout et c’est ça le drame.

Dans ton exemple où la fille embrasse le copain parce qu’elle a un peu bu, tu le dis aussi d’une autre façon. C’est pour cela que je ne suis pas d’accord avec toi lorsque tu as l’air de penser que les copines militantes ne sont hypocrites qu’envers les copains africains. Les copines militantes comme les autres sont victimes d’une idéologie qui n’est pas vraiment l’idéologie dominante, c’est plus grave parce que c’est une idéologie qu’elles ont elles-mêmes crées qui n’est qu’un remaniement de l’autre.

– les copines militantes quand elles font l’amour avec un ou plusieurs mecs, elles le choisissent en fonction de critères « petits-bourgeois », (excusez-moi du terme !). Un critère petit-bourgeois, c’est pour les bourgeoises un mec genre monsieur Express, avec des cheveux à peine longs, un col roulé blanc et une veste en velours ; pour les copines, c’est un mec chevelu, l’air un peu paumé, avec des chemises multicolores. Le problème n’est pas de choisir entre les deux, il faut seulement voir qu’on peut être traître à ses cheveux longs ; et c’est triste à constater mais la « traîtrise » se porte bien de nos jours.

– pour ce qui est du draguage, c’est pareil. Plus le cirque est grand mieux ça marche : « … J’ai une bande dessinée, toi t’as un joint, c’est merveilleux quand même la vie, on a des points communs. on est du même côté de la barrière, on baise… ». C’est beau la spontanéité quand même ! La spontanéité on l’a tellement assaisonnée que même les bourgeois publicistes en demandent du rab. La récupération ça existe, d’accord, c’est pas la peine d’y participer même si on sait que sans nous elle vivrait aussi.

Tout ce grand discours pour te dire Mohamed que quand tu parles à une nana spontanément, quand tu lui déballes tes tripes, quand tu ne dissimules pas tes désirs sous des centaines de tracts ou de groupes d’alpha, ça les affole : c’est tellement meilleur enrobé de chocolat. Alors tu comprends c’est ça le conflit des civilisations ? C’est seulement la simplicité contre la masturbation intellectuelle.

Ça ne te consoles sûrement pas, on ne se console jamais de la connerie, en tout cas moi je n’y arrive pas.

Toi, tu es déçu car tu attendais beaucoup de gens qui ne sont pas prêts. Ils ne sont pas prêts à aimer et c’est cela que j’ai voulu montrer. Ils sont prêts à se grouper par affinités comme ils le disent. Mais les affinités est-ce une opération du saint-esprit, des civilisations, des générations. du groupe sanguin, ou bien alors est-ce autre chose ? Les affinités d’accord, mais seulement quand on a expurgé nos vingt ans, nos trente ans ou plus, de merde intérieure : et la merde c’est de la merde, c’est envahissant, faut commencer vite sinon c’est foutu , et tant pis si ça fait mal, tant pis si on ne sait pas encore avec quoi on va remplir le vide. (Le racisme, l’impérialisme, la famille bourgeoise, la pudibonderie, l’abnégation, le sacrifice, les privilèges quels qu’ils soient, etc. ça se dégueule en vrac, c’est facile : Il suffit de mettre les deux doigts au fond de la gorge.)

Ça veut dire les copains, qu’on a aucune excuses de ne pas être prêts à donner à Mohamed ce qu’il attend,

Ça veut dire qu’on a aucune excuse de perpétuer nos erreurs,

Ça veut dire qu’on a aucune excuse de se replier sur nous-mêmes comme on le fait actuellement avec des signes de BA par-ci par-là,

Ça veut dire qu’il n’y a aucune raison de camoufler notre façon d’être, aucune raison de recréer les anciens rapports en les rebaptisant. Ou alors une fois pour toutes, il faut le crier fort pour que certains copains ne se fassent pas d’illusions.

Maintenant Mohamed je vais terminer en t’expliquant un peu comment mol j’ai eu conscience du racisme de nos camarades. Nous avions décidé de faire, à trois nanas, toute l’Afrique du nord. Commentaires de nos copains tous militants gauchistes travaillant avec des émigrés :

« ça va pas, vous êtes complètement cinglées… trois nanas toutes seules, vous êtes inconscientes… les mecs là-bas c’est pas comme ici, t’as pas le temps de dire ouf… si vous revenez un jour téléphonez-nous… »

Toutes les trois on était tellement écœuré qu’on aurait pleuré de rage devant une telle dose de connerie et puis… on est parti. On est resté surtout en Algérie où nous avions beaucoup d’amis algériens, on a passé aussi deux semaines dans un tout petit village en Kabylie chez un ami qui travaille pendant., la saison comme cuisinier en France, on est descendu jusqu’à Tamanrasset avec notre 2 cv. Je peux dire que la Kabylie et Mostaganem mis à part, nous ne connaissons personne. Pourtant on a connu des êtres extraordinairement ouverts, on n’a jamais été dans un hôtel : dès qu’on se renseignait pour en trouver un, on était invité à rester chez des familles dans une atmosphère de fête. Dans le désert on a fait une chaîne d’amitié sur 800 km, on a d’abord connu cinq garçons, deux d’entre eux ont demandé un congé à leur employeur pour nous guider, et partout nous faire connaitre leurs amis. On a dormi toutes les trois sur une terrasse avec sept types, désolées, mais personne ne nous a sauté dessus. On n’a jamais eu aucuns « pépins ». Quant aux filles qui reviennent violées par tant d’ « arabes au sang chaud », et pourquoi pas par des troupeaux de chameaux ; peut-être que si elles partaient un peu moins pour avoir une dose d’exotisme et un peu plus pour comprendre des comportements qui ne sont pas identiques aux leurs, n’auraient-elles pas à raconter leur voyage « mouvementé », je m’explique : se balader en mini-jupe dans un bled sous le regard à la fois ahuri et amusé des populations locales, c’est un manque de considération envers leurs coutumes, un manque de respect. Alors au nom de quelle suprématie, sinon celle de notre teint un peu plus clair exigeons-nous le respect de nos coutumes à nous ? Ceci peut sembler tiré par les cheveux, mais quand on aborde le problème du racisme avec des militants, on a toujours l’impression de caricaturer. J’ai baisé avec plusieurs types, comparativement à d’autres expériences, c’était plutôt chouette : camarades militantes soyez rassurées, cela se passe très bien, on n’attrape pas de maladies, ce ne sont pas des brutes, pour le conflit des civilisations ça va merci, on a même mangé du jambon après. J’oubliais, j’ai baisé avec un mec qui trouvait que De Gaulle était un type bien. Pardon Sainte Mère Militante je ferai dix je vous salue Lénine.

« La Bataille d’Alger » qu’on n’avait jamais réussi à voir à Paris, nous l’avons vu là-bas à Oran, et avec notre esprit d’occidental coupable, on en était encore à se demander en serrant les fesses si on n’allait pas se faire lyncher sur la place publique. Au lieu de cela, on a été entraîné par des poignées de mains amies à participer à la grande farandole de la fin qui continuait le film dans la rue.

Pour le Jour de l’an, j’ai reçu cinq kilos de dattes fraîches d’El-Oued, d’un copain avec qui on avait passé une journée: j’ai aussi reçu un tapis merveilleux d’un autre copain qu’on avait seulement vu quelques heures : Il nous avait invité sous une chaleur torride à venir nous reposer dans sa palmeraie. Voilà, ça c’était en Algérie, partout le même accueil, chez les vieux et chez les jeunes, un pays qu’on a pillé pendant plus d’un siècle, quand on pense que chez nous, on en est encore à appeler les Allemands boches…

En février un copain algérien est venu du désert pour voir de la famille, on est sorti plusieurs fois ensemble, on allait bouffer au restau où je faisais une bouffe à la maison, on allait au cinoche, et puis c’était tout. A Paris où tout est fermé, hostile, minable, qu’est-ce que tu veux faire ? Je l’ai emmené voir des copains, mais pour les copains un mec de plus ou de moins… Et puis le dernier soir après l’avoir raccompagné, on s’est retrouvé les trois copines, on s’est souvenu de leur accueil à eux, de leur façon de tout donner sans équivoque, et puis comme des mômes, on a chialé, tu sais la rage, ce nœud au ventre : l’impuissance. Et puis on s’est juré que l’impuissance pour nous ça ne durerait plus. Et je crois même qu’à l’heure ou j’écris, impuissantes on commence à ne plus l’être du tout.

Des copains que ce genre de choses font chialer, je crois qu’il y en a d’autres mais c’est fort possible qu’ils ne soient pas parmi ceux que l’on nomme orthodoxement militants ou camarades.

Hélène pour nous trois.


NON la France n’est pas raciste !

Monsieur,

J’ai bien du plaisir à lire votre journal « TOUT ». Vous voulez tout et vous avez raison ; on en a jamais trop, nous les simples ouvriers.

Mais je ne suis pas d’accord avec vous sur le soutien constant que vous accordez aux immigrés, en particulier les arabes. Passe encore ces 350 salopes qui se sont fait grimper par les arabes. Chacun prend son plaisir où il le trouve, et l’amour n’a pas de frontière, ni patrie, mais mis à part les travailleurs arabes intégrés et suivis (il y en a 1 sur 100) ayez le courage et l’honnêteté de parler dans votre journal des autres arabes. Je veux dire la pègre algérienne : proxénètes, voleurs, casseurs, marchands de tapis, vendeurs à la sauvette, ceux qui occupent nos hôpitaux et sanas aux trois quarts, les « abonnés à la sécurité sociale », ceux qui sont secourus gratuitement même sans travailler et ont des aides et privilèges que des français n’ont pas. On a fait des enquêtes dans différents hôpitaux et sanas (Hôpital Pasteur à Nice, Hôpital d’Aulnay-sous-Bois, Meaux, Villepinte, sanas de Briançon, Saint-Hilaire, etc…). Demandez aux habitants de Toulon et du Var, Marseille, du Vaucluse, villes de la Loire, Alsace, etc…). Par contre on admet très bien espagnols, italiens, portugais et autres.

La plupart des français ne sont pas dupes : vous vous servez des immigrés comme tremplin et ça vous sert à contester, tout comme le parti communiste se sert des algériens pour faire des voix. Admettez que c’est une race à part de nous, de mœurs différentes, à telle enseigne qu’aucun pays n’en veut. Ils sont anti-français, on ne les aime pas, mais ils ne nous aiment pas, pour eux nous sommes des roumis, c’est écrit dans leur bible (Coran).

Nous demandons que l’on fasse un triage, séparer le bon grain de l’ivraie. La France en à marre de payer des parasites à ne rien faire, surtout après ce que l’Algérie nous a fait. Il faut que nous soyons bon et cons de continuer à les aider. Parlez de tout ça dans votre journal, ayez la franchise.

P.S. – Il y a plus de 2 millions d’arabes en France. Il en débarque toujours. Bientôt il y en aura 10 millions avec les français qui les soutiennent qui nous taperaient sur la gueule.


ALERTE AU RACISME
LES IMMIGRES ALGERIENS A LYON

Nous condamnons fermement le chantage au racisme du pétrole algérien, chantage entretenu par la presse gouvernementale et les pouvoirs publics à l’encontre des ressortissants algériens en France. En aucun cas les travailleurs algériens ne doivent être une monnaie d’échange pour obtenir le maintien des privilèges coloniaux qui faussent le jeu d’une véritable coopération à égalité…

La répression contre les immigrés et la recrudescence du racisme sont dans la logique du pouvoir actuel. Le régime qui nous gouverne a intérêt à diviser les travailleurs pour mieux les intégrer et les régenter : d’une part les immigrés, d’autre part les Français. Pour développer cette division, le pouvoir s’appuie sur des contradictions économiques et utilise les tendances au racisme et à la xénophobie de certaines couches de la population française… Il prive les immigrés des droits syndicaux et politiques pour éviter qu’ils n’augmentent le poids de l’opposition et des revendications du travail, dans l’unité avec les travailleurs français…

Nous appelons la population à réagir vigoureusement contre toutes formes de racisme.

Les faits rassemblés ici ne représentent que l’un des aspects du racisme qui s’exerce contre les immigrés algériens dans l’agglomération lyonnaise.

Il faudrait parler aussi des multiples obstacles mis à l’embauche des ouvriers, à la Main d’Œuvre ou dans les entreprises : « Pas de pétrole, pas de travail »… Pas de travail, cela veut dire le rapatriement dans un délai de six mois.

Il faudrait parler des licenciements arbitraires (Paris-Rhône), des accidents de travail, qui ne donnent lieu à aucune pension d’invalidité…

Il faudrait parler des mesures arbitraires de rapatriement ou d’exclusion…

Mais ce bilan provisoire ne parlera que des actes de violences physique exercés contre des ressortissants algériens.

ACTES DE VIOLENCE COMMIS A LYON EN MAI 1971

Victimes
Algériens
1 Algérien ouvrier à la CIFTE
Café algérien
Marmed Mohamed
Algérien, père de famille (5 enfants)
3 Algériens, habitant Olivier-de-Serres, ouvriers Maïa-Sonnier
Algériens

Attaquants
Policiers en uniforme
3 policiers en uniforme dans R16
Individus dans DS rouge
Individus en R16
Individus en voiture

Armes
Matraques
Matraques, pieds et poings
Mitraillette
MAT
Armes à feu
Armes à feu

Bilan
Ratonnades
Perte de connaissance jusqu’à 2 h 30 ;
Blessures ;
Paye volée (400 F)
3 blessés par balles
Blessures
Kidnapping ; Passage à tabac
Tué
Tuée
Blessures
Blessures
Casse vol
Distribution de tracts appelant à « la liquidation de la vermine des foyers »

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