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Procès de Meulan : Contre les marchands d’hommes

Textes parus dans Tout !, n° 3, 29 octobre 1970, p. 1-2


SI LA JUSTICE ETAIT JUSTE ÇA SE SAURAIT

Il y a les faits et ils parlent en notre faveur même s’ils sont tombés dans l’oubli. Le texte de l’accusation, publié dans « TOUT » n° 2, avoue lui-même l’existence de la « traite des nègres » à Meulan et l’impuissance naïve de la justice à frapper ceux qu’elle est faite pour aider. Là-dessus donc pas de problèmes pour justifier l’action de propagande du 6 mars (peinturlurages sur la mairie, distribution de tracts. invasion du bureau d’embauche qui abritait une partie du trafic, prise de parole sur la place du marché). Nous pouvons tous donc crier : NOUS ETIONS TOUS A MEULAN ; on ne se privera pas de le dire à tous ceux qui voudraient nous juger et qui sont embrouillés eux-mêmes dans la barbarie trop voyante de leur « civilisation ».

Ceci dit on ne se fait pas d’illusions : la justice est l’injustice personnifiée. Elle n’a jamais route honte bue : les faits (surtout les faits passés) ne lui font pas peur. Et s’ils suffisaient – même quand ils sont évidents – à faire acquitter nos copains et à faire justice contre les négriers de Meulan, ça se saurait.

LE PROCES DE L’lMPERIALISME QUOTIDIEN

Le racisme, la vie de chien organisée pour les immigrés ne date pas du 6 mars, ne se limite pas à Meulan et ne s’est pas arrêtée avec cette action. On veut raconter tout le colonialisme qu’on a sous les yeux, dans la rue, au café, dans le commissariat du quartier, tout le colonialisme qu’on a sur le cœur, nous « enfants de la France civilisée ». Si nos frères algériens, portugais, yougoslaves, marocains, espagnols… ne peuvent venir témoigner devant un tribunal pour qui ils sont toujours des accusés en puissance, tous les témoins que nous citerons (1) ne veulent pas se substituer à eux, parler en leur nom. On veut décrire le dialogue cent fois entendu, au coin du boulevard, du flic interpellant un « bicot » et cracher à la gueule des juges toute notre honte d’être des blancs cent pour cent, d’être malgré nous partie prenante de l’impérialisme tous les jours. Ce qu’on veut : avancer en cela dans la prise en main de la lutte par les immigrés eux-mêmes : on leur montre combien on hait et comment on essaye de refuser notre rôle d’oppresseur. A notre révolte, ils ont beaucoup à apporter et des choses qu’on ne fera pas à leur place.

LA JUSTICE SE FAIT PARTOUT SAUF AU PALAIS DE JUSTICE

De ce point de vue, on n’est pas triomphalistes sur l’action du 6 mars : que la cour de sûreté de l’Etat prenne ça pour une « substitution ou tentative de substitution par la force d’une autorité illégale à celle de l’Etat » ça ne nous étonne pas des gens du régime issu du coup d’Etat du 13 mai. Ceci dit pour nous les formes actuelles de révolte spontanée des immigrés signifient violence de masse sur lesquelles les robes rouges et les képis foliés de la cour n’ont pas prise.

Ça aussi, ils ne le comprendront jamais : la prochaine fois, immigrés et Français feront mieux. Ils ne se feront pas prendre d’abord, messieurs les juges. Quand on est des milliers, on ne se fait pas prendre.

C’est pourquoi on organisera :

– partout où la lutte est déjà engagée avec des immigrés (15e, Ivry, Villeneuve, Nanterre. Saint-Denis…) leurs conditions de vie, la discussion sur le procès, l’action, le trafic qui existait à Meulan, on rédigera avec eux tracts et panneaux dans leur langue.

On se servira de cet exemple pour discuter avec chacun des travailleurs (2) dont ils sont victimes, qui font de leur vie une vie trafiquée et préparer l’action sur ces aspects qu’on ne connait pas.

– Avec un groupe de théâtre amateur on va raconter l’histoire de Meulan à la porte des boîtes et dans les quartiers en aboutissant sur une discussion sur la situation des immigrés là où on intervient. Ainsi on sait maintenant que le trafic d’embauche est une pratique généralisée : celui de Meulan qui a repris sous d’autres formes nous a mené à celui des mines du Nord et de Simca Poissy. On connaît maintenant aussi celui de Renault-Billancourt, tous liés aux administrations et services officiels du coin, ou directement à la « coopération entre Etats ».

ILS VEULENT FAIRE LE PROCES D’UN COPAIN QUI A « ATTAQUE » LA MAIRIE DE MEULAN, NOUS LES ACCUSONS DE VOLER, DE TRAFIQUER LA VIE DE NOS FRERES.


(1) Pour participer au procès de l’immigration dans les quartiers ou pour venir témoigner sur une rafle d’immigrés qu’on a vue, un exemple de vie trafiquée, une situation, tous ces faits qui composent le tableau général de l’impérialisme bien de chez nous, écrivez à « TOUT », 27, rue du Faubourg Montmartre, ou passez à la librairie La Commune, 28, rue Geoffroy-St-Hilaire-13, métro Censier.

(2) Trafic d’embauche : une chose qu’on découvre. Pratiquement tous les immigrés qui arrivent en France entraînés par les descriptions idylliques des sergents-recruteurs des grosses boîtes françaises, n’ont pas tous leurs papiers en règle. Aussi de braves citoyens français se proposent de leur faire passer la frontière – ce qui consiste souvent à les transporter en camion puis à les laisser se débrouiller à 1 km des douanes – pour 100 ou 200.000 francs puis à réclamer successivement d’autres grosses sommes pour continuer la route, puis pour avoir sa carte de séjour, sa carte de travail, son tampon du bureau d’embauche… éventuellement des papiers d’identité, etc…


Ces ouvriers qui nous viennent du soleil
Les Turcs sont à la mode. Par leur profil physique et moral ils ont conquis depuis longtemps les employeurs allemands. Ils commencent depuis un an à séduire ceux de France. Notre sidérurgie, nos usines d’automobiles, de pneus, nos entreprises de travaux publics en réclament. Il y a actuellement 13.000 Turcs sur notre sol mais ils sont 350.000 en Allemagne…
Le directeur général de l’Emploi en Turquie, Naki Tezel, que j’ai rencontré à Ankara, déplore ce « retard », à la fois pour son pays et le nôtre :
– Car, dit-il, l’émigrant turc ne peut être comparé à aucun autre. Il est fort, sobre, discipliné. Pour lui, le travail est sacré. Jamais il n’est traître à celui qui lui permet de gagner son pain. Il part pour envoyer à sa famille le plus d’argent possible, aussi se tient-il toujours à l’écart des chambardements. On peut compter sur lui, il ne se livre pas aux mauvaises tendances…
Autrement dit : un gisement en or !

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