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« Spartacus ou la révolte des esclaves »

Supplément réalisé par les comités liberté paru dans Tout !, n° 4, 16 novembre 1970


VILLENEUVE-LA-GARENNE : ILS ONT DETRUIT LA MAISON DU PEUPLE

DANS LE XVe, NOUS EN OUVRONS UNE AUTRE



Meulan : le procès des trafiquants

LA BASE OUVRIERE

A la rentrée 1969, paraissait, à Flins une feuille gauchiste, « La Base Ouvrière ». Elle était régulièrement distribuée à la porte des usines Renault. On y trouvait des articles écrits par des ouvriers et des copains étudiants. Cette feuille diffusait, à Flins, des nouvelles des autres usines de la Régie (Le Mans, Cléon, Billancourt). Elle décrivait et analysait les luttes des camarades de Flins dans leur usine, leur vie dans les cités ouvrières avoisinantes. Elle parlait aussi des copains immigrés : les hôtels sinistres qu’ils habitent dans la région, les foyers de la Régie, la guerre d’ Algérie, les fascismes espagnol et portugais, l’attitude des syndicats vis-à-vis des immigrés, tout y passait.

Dès le numéro 10 de « La Base Ouvrière », le 17 décembre 1969, on dénonçait le trafic d’embauche, son mécanisme, ses conséquences sur les luttes à Flins, ses responsables. Ce sont le travail prolongé sur l’usine, les contacts entre militants et ouvriers, l’implantation de « La Base Ouvrière » sur les chaînes qui ont permis de connaitre l’existence du trafic.

PARACHUTAGE ?

Le 6 mars, c’était Meulan.

Le soi-disant raid « mao » sur la mairie n’est donc pas une intervention parachutée. Elle s’appuie sur une campagne de dénonciation du trafic, sur un travail en profondeur dans l’usine de Flins et dans les quartiers environnant. Les critiques faites aux participants à l’action de Meulan, celles de la Ligue Communiste en particulier, sont donc sans fondement, de même que les éventuels reproches de libéraux bien pensants, racontant que les maos ont raison dans le fond, mais cognent toujours aveuglément, sans autre forme de procès.

Les caractéristiques du militantisme à Flins ont été les suivantes :

La défense de tous les travailleurs dans tous les domaines.

En particulier, le problème des travailleurs immigrés n’est pas une question administrative, une question de relations publiques entre la France et l’Algérie, comme le dit trop souvent la C.G.T.

Pas de pitié : pas de pitié pour le capitalisme et ses valets (trafiquants, syndicalistes un peu trop somnifères, cadres répressifs etc.). Là-dessus tout le monde est d’accord.

Pas de mépris pour les travailleurs immigrés, et cela n’est peut-être pas clair pour tous les militants : il ne s’agit pas d’ameuter l’opinion publique sur tel ou tel fait exceptionnel, pour se donner bonne conscience. Ça, c’est le boulot de France-Soir.

COMPRENDRE, PAS PLEURNICHER

Il s’agit de faire connaître l’exploitation quotidienne des travailleurs, le fascisme au jour le jour du capitalisme. Il faut connaître et analyser cette exploitation pour la combattre, remettre en valeur l’histoire du mouvement ouvrier, l’histoire de ses luttes, et particulièrement celle des travailleurs immigrés que les colonialistes ont complètement étouffée. Ceci justifie tout ce que la Base Ouvrière a écrit dans ses tracts, sur l’évolution des formes d’exploitation capitaliste, la guerre d’Algérie, les luttes des travailleurs, immigrés ou non. L’accueil réservé à cette campagne a clairement démontré que les ouvriers n’avaient pas besoin de quelques tracts vengeurs ou pleurnichards sur les cinq morts d’Aubervilliers, mais bien de comprendre tous les aspects de leur exploitation.

MAO = GANG

Notre campagne, antérieure au « raid » de Meulan, a été complètement étouffée.

La Régie Renault a déposé une plainte contre X pour diffamation, après la dénonciation du trafic. Nous avons aussitôt diffusé notre réponse : «… Comme si vous ne saviez pas qui vous a dénoncés devant la masse des travailleurs… Pour nous trouver c’est simple : esplanade devant l’usine de Flins… » (Base Ouvrière n° 16). Naturellement, personne n’est venu au rendez-vous, le dossier a sans doute été clos.

Aucune « autorité » locale n’a réagit après la dénonciation. Seule la C.F.D.T. et le P.S.U. ont distribués des tracts faisant allusion au trafic.

Dans le réquisitoire du Procureur de la République, bien que l’existence du trafic y soit plus ou moins reconnue, il n’est pas dit QUI l’a dénoncé, ni COMMENT. Le but de ce silence est clair :

– éviter de répondre aux accusation contre les complices du trafic.

– Empêcher toute popularisation de la lutte.

– Faire passer les « maos » pour des bandits de grand chemin, comme on l’a fait des militants du F.L.N. en Algérie, comme on le fait actuellement en Espagne.

DES QUESTIONS QUI EXIGENT DES REPONSES

Le 6 mars 1970, les journaux du soir titrent : Mise à sec de le Mairie
de Meulan. Erreur grossière : ce n’est pas le Mairie qui était visée, mais le bureau de l’agence nationale pour l’emploi situé dans les bâtiments de la Mairie, mais indépendant d’elle. C’est dans ce bureau que les travailleurs immigrés venaient chercher l’ultime coup de tampon qui leur permettait de se présenter au bureau d’embauche de la Régie Renault à Flins.

Comment les copains immigrés atterrissaient-ils dans ce bureau, à la
suite de quel marché de dupes ? Pourquoi accordait-on à des Marocains sans carte de travail, ou munis de carte de mineur, ce fameux coup de tampon ? Où donc avaient-ils trouvé le certificat de domicile qui leur ouvrait le porte de l’agence alors que la plupart d’entre eux habitaient le Nord quelques mois auparavant ? A la préfecture? Chacun sait qu’elle délivre ce genre de papiers avec parcimonie. Alors ?

Le réquisitoire du procureur reconnaît le responsabilité d’un trafiquant, Marcel Dupont, « soupçonné de se faire remettre des sommes d’argent par des travailleurs immigrés pour faciliter ou faire faciliter leur embauche dans des entreprises de la région… » Après enquête, Dupont apparaît comme un conseiller juridique des travailleurs immigrés.

On voudrait savoir :

– Quelles complicités impliquent les mots « faciliter » ou « FAIRE FACILITER » ?

– Depuis quand un ouvrier a-t-il besoin de « conseils juridiques » pour
se faire embaucher ?

– D’habitude, le travail, ça se vend, ça s’échange contre un salaire, ça ne s’achète pas !

NOS PREUVES

Bien sûr, les camarades immigrés ne viendront pas témoigner au procès, raconter comment ils ont dû payer jusqu’à 200.000 A.F. pour bosser à Flins. Ils sont à la merci d’une mesure d’expulsion que peut prononcer, à tout moment et sans justifications, le ministre de I’Intérieur. Bien sûr il sera difficile de trouver des « preuves » contre tel ou tel trafiquant. Peu importe. D’une part, ce ne sont pas quelques individus sinistres qui ont été dénoncés à Meulan, mais bien tout un système, une surexploitation, une oppression généralisée du prolétariat immigré. D’autre part, la confiance des ouvriers de Flins, ce qu’ils ont déclaré sur le trafic de l’embauche, les jugements qu’ils ont porté sur tel trafiquant, sont des preuves tout aussi criantes que des témoignages devant la Cour de Sûreté.


N’hésitons plus !

Dès que quelqu’un essaie d’être plus que rien du tout, il est réprimé. La bourgeoisie n’admet pas les grains de sable dans la programmation de nos vies. Gabrielle Russier, Raton et Munch, les procès des dirigeants d’organisation politique ne sont que des exemples connus de cette répression

En fait elle touche tous ceux qui dans leur refus de cette société pourrie osent parler et agir. Ce sont ceux qui en ont marre de survivre et qui veulent vivre : l’ouvrier qui ne veut pas crever à petit feu dans l’usine, surexploité, qui ne veut pas être assassiné dans un « accident du travail » : la mère de famille qui vole pour faire manger ses gosses : le chômeur etc. Ce sont ceux qui en ont marre de l’ennui dans lequel on veut les maintenir : le jeune qui voudrait faire autre chose que ce que lui dicte ses aînés : la femme qui voudrait être autre chose qu’un objet : tous ceux qui ne veulent pas mourir idiot. Ce sont les immigrés qui n’ont le droit d’être là que pour
être surexploités. Ce sont ceux qui s’organisent pour changer la vie, balayer ce vieux monde.

Et pour réprimer, la bourgeoisie a une panoplie extraordinaire : les flics dans la rue, les mouchards, les C.R.S., les gardes mobiles, les brigades spéciales, les juges, les patrons ordinairement fascistes et leurs laquais, mais aussi toutes les tracasseries administratives, l’organisation abêtissante de nos loisirs, les hôpitaux et les psychiatres, nos soit-disant représentants qui font tout pour nous réduire au silence, la presse, la radio et la télé abrutissantes et mensongères, et j’en passe et malheureusement peut-être
des meilleures.

Bref la répression est quotidienne. Elle est comme une méduse sur la plage, elle s’étale sur toute notre vie.

DES ASOCIAUX ?

Quand on s’oppose à cotte répression la bourgeoisie fait tout pour qu’on apparaisse comme des asociaux, des anormaux, des marginaux, isolés de ceux qui n’ont pas encore parlé, isolés de ceux qui ne sont pas encore révoltés ouvertement. La bourgeoisie monte un immense spectacle fait de calomnies et d’idées sournoises. Elle nous fait le coup du conflit des générations, le coup de l’amour du travail, le coup du racisme, le coup de la drogue, le coup des dégénérés sexuels et mentaux, le coup de la majorité silencieuse. Elle a bien tenté de faire passer Bolo pour un incendiaire.

PRENDRE LA PAROLE

De toute façon, tous ceux qui refusent cette société pourrie apparaissent très rapidement, dans un premier temps, comme des marginaux. Certains s’y complaisent. Ils sont bons pour finir dans le musée des phénomènes sociaux. Mais Il y a tous les autres et tous ceux qui n’ont pas encore parlé. Pour tous ceux-là Il n’y a qu’une chose à faire : Il faut se battre pour quelque chose où chacun à son mot à dire, le droit à la parole. Dans ce combat, la liberté et la dignité de tous y gagnera. Il suffit de se rappeler Mai 68. La bourgeoisie aura alors beaucoup plus de difficultés à faire ses coups, même les plus subtils, comme celui de faire apparaître les révolutionnaires comme des êtres à part.

Il y a une France sauvage. Le fait qu’elle parle et agisse doit être normal pour tous. Et pour tous la répression quotidienne ne doit plus être normale parce qu’elle est quotidienne.

Il est normal que tout le monde soit au courant et gueule contre le fait que le jeune ouvrier Albert Lefort se soit brûlé vif parce que son patron Pasquet l’a forcé à se couper les cheveux, contre le fait que 145 jeunes soient morts à St Laurent-du-Pont pour des loisirs insipides et commercialisés.

POUR L’AUTONOMIE DE LUTTE DES IMMIGRES

Nos frères immigrés ont leur mot à dire là-dedans. Je dis leur mot parce que souvent les groupes politiques, à cause de vieilles traditions social-chauvines, ont parlé à leur place. Le scandale de vos conditions de vie, votre surexploitation commencent à être dénoncés. Mais c’est largement insuffisant. Il faut que la répression politique que vous subissez soit connue. Tout vous est refusé : la vie, la dignité, la liberté de pensée, de parole et d’action. L’isolement est total. Prendre la parole pour vous est vital. Et il sera bon que nous, Français, on chasse de nos têtes toutes ces idées racistes (« vous venez chez nous prendre notre pain et nos femmes ») et qu’on vous écoute. Parce que contrairement à ce que nous pensions vous êtes immigrés avant d’être ouvrier Ici. Parce que votre liberté c’est vous, avec vos problèmes d’ailleurs et d’ici actuellement, qui êtes seuls capables de la concevoir. Parce que si vous ne gagnez pas l’autonomie de votre lutte ici, vous allez vous faire avoir comme la classe ouvrière française s’est faite avoir par ses soit-disant représentants, vous allez être utilisés comme à l’habitude comme masse de manœuvre.

ALLONS-Y

Il n’est pas question d’inventer un mouvement de masse contre la répression, ni de sortir un programme de lutte à l’usage des immigrés.

Il est question de prendre la parole et d’agir. « Plus on est de fous, plus on rit ». Eh bien, plus on sera à prendre la parole par l’action, plus on rira, plus on aura d’idées sur la manière de balayer ce vieux monde, plus on saura ce qu’on veut construire.

Il est question d’établir la confiance entre français et immigrés et d’agir côte à côte. Dans la lutte, les immigrés ont déjà à plusieurs reprises manifesté leur réelle identité. Leur autonomie de lutte est indispensable pour qu’ils gagnent leur liberté et que nous gagnons la nôtre.

Un de nos camarades, Marc Hatzfeld, va être Jugé parce qu’il a osé parler et agir contre le trafic d’embauche des immigrés à Flins. En fait le procès du trafic d’embauche que Marc a engagé ouvertement a déjà condamné ces juges. Et si nous sommes beaucoup à prendre la parole non seulement les juges de Marc seront impuissants à imposer le silence, mais de plus nous nous donnerons des armes efficaces pour notre liberté à tous.

Prenons la parole surtout, partout, et agissons.

A bas les nouveaux négriers !

A bas le fascisme quotidien !

Quand c’est insupportable on ne supporte plus !


SCEPTIQUES ? ALLEZ DONC VOIR !

Allez visiter le palais de Justice. Pas n’importe quelle visite, évidemment. Assistez à une séance du matin des flagrants délits. Comptez le nombre d’affaires concernant les travailleurs immigrés et comparez au nombre d’affaires concernant des Français. Constatez l’attitude du juge dans ces affaires-ci et dans celles-là. Comparez les condamnations. Concluez et dites-le autour de vous.


LE QUOTIDIEN A CITROËN

A Citroën, la répression quotidienne c’est pas du gâteau. C’est pas pour ça qu’il faut croire que dans les autres usines c’est beaucoup mieux. Il suffit de se souvenir que Grandin, petit patron ordinaire, a assassiné le travailleur malien Hamara Soumaré.

TRAFIC D’EMBAUCHE A MEULAN SEULEMENT ?

La plupart des Portugais quittent leur pays dans l’illégalité (refus de faire la guerre en Angola…).

Des Portugais arrivant à Hendaye ont eu la « possibilité » de rentrer en France : les flics leur ont obligeamment indiqué qu’ils trouveraient du travail à Citroën-Balard.

QUELQUES DONNEES IMMEDIATES SUR L’ACCUEIL DES IMMIGRES :

1) Un « arrivage » de Turcs à l’embauche : Ils y arrivent directement avec leur valise, avec un badge pour qu’on ne les perde pas. Le logement, la vie ? On verra après !

2) A propos d’un « arrivage » de Portugais : la secrétaire : « Chef. Il
y a un paquet de Portugais qui vient d’arriver ! ».

Le chef : « Combien ? »

La secrétaire : « Un bon paquet ! »

Le chef : « Mais combien ? »

La secrétaire, avec difficulté : « Une vingtaine ».

3) A Citroën il y a 80 % d’immigrés. Tous les règlements sont en français ! Par contre, il y a des inscriptions en français dans les vestiaires, du genre : « Mettez des cadenas, il y a des étrangers ! ».

4) Pour « jauger » le matériel humain il y a une fiche médicale tenant compte de « la tolérance aux agents mécaniques (trépidations), aux agents physiques (intempéries, température), aux agents chimiques (irritants respiratoires, toxiques) ».

AU ROYAUME DES EXPLOITEURS TOUT EST BON

A propos de la prime trimestrielle : les immigrés sont embauchés après la prime. Beaucoup sont licenciés avant la prime et rembauchés après. Ce n’est d’ailleurs pas parce que l’immigré n’est pas licencié qu’il est assuré de toucher la prime !

Une nouvelle utilisation de la Sécurité sociale : des interprètes incitent les immigrés à « signer leur attestation de S.S. ». Quelques jours plus tard on leur fait comprendre qu’ils ont signé leur démission.

MARCHE ET CREVE !

Un immigré se coupe la main. Il attend trois quarts d’heure à l’infirmerie l’arrivée du médecin. Avant de le soigner on lui fait essuyer le sol, il pissait le sang !


ENTRE SECURITE ET PROFIT, ILS ONT CHOISI.

Schwartz-Haumont, une entreprise bien connue dans le bâtiment ; les salaires les plus bas, les conditions de travail les plus inhumaines, le moins de « jours d’intempéries » de l’année… (jours de congés dus aux intempéries).

Au mois d’octobre 1969, Schwartz-Haumont avait besoin pour le chantier du parc des expositions, Porte de Versailles, d’un manœuvre, d’un homme à tout faire : une place dont personne ne voulait…

Un ouvrier portugais passe au bureau d’embauche : il est sans travail. Il accepterait n’importe quelle place… Schwartz-Haumont accepte aussi n’importe qui, pourvu que le travail ne soit pas entravé.

Après une visite médicale sommaire, le Portugais est engagé.

La première matinée où il travaille, il se tue en tombant de 15 mètres dans une cage d’escalier : Schwartz-Haumont avait « négligé » de savoir si notre camarade avait le vertige !

Si au hasard d’une exposition vous passez dans le nouveau hall de la Porte de Versailles (construction dont France-Soir, lors de son inauguration, a loué les acquis qu’elle présentait pour notre prestige national) pensez en empruntant une des cages d’escalier que c’est là qu’a été assassiné notre camarade.


LETTRE DE QUELQU’UN QUI VA VOIR LES IMMIGRES

Je suis venu, j’ai vu, c’est pas une réussite.

UN PEU D’HISTOIRE :

Juste avant les vacances scolaires 1970, avec quelques copains, on a entendu parler d’un petit foyer de travailleurs immigrés (nord-africains) qui était sur le point d’être expulsé.

On a été voir ce qui se passait, et on a essayé de les aider.

On a repeint leurs piaules dégueulasses, dans lesquelles ils étaient entassés, on a discuté avec eux, essayé de vivre leur vie, enfin, pour reprendre la bonne vieille phraséologie révolutionnaire, on s’est lié aux masses, on a servi le peuple.

Jusque là, c’était pas mal, assez enthousiasmant, on avait la frite, c’était bien parti. Et puis, donnant sur la cour du foyer, il y avait un petit café vide, abandonné par les propriétaires, en vue d’une expulsion.

On ri’a fait ni une ni deux, on a défoncé une porte, on s’y est installé. C’était devenu notre base de départ pour le quartier, sur lequel nous comptions élargir notre lutte.

Entre temps, le petit groupe de militants français que nous formions s’était agrandi et comptait en gros une quinzaine de copains et une dizaine de filles.

Et puis, pendant deux mois, malgré quelques courts instants, on s’est retrouvé bloqués, en étant soumis, pour donner l’illusion que ça marchait, à des gadgets politiques.

Enfin, on voulut mettre en pratique l’idée qui traînait depuis longtemps, de faire de ce café, non plus un local de militants, mais un lieu où tous les habitants du quartier pourraient venir discuter, s’y amuser, s’y reposer, s’y détendre, en un mot, démarrer une maison du peuple.

L’idée était chouette, la réalisation amusante, on s’y est tous mis. Pendant huit jours, on l’a repeint, en vert, bleu, blanc, orange, on l’a aménagé le mieux possible ; TOUT ETAIT PRET :

IL NE MANQUAIT QU’UNE SEULE CHOSE : LES TRAVAILLEURS IMMIGRES.

Ce qu’on avait voulu se cacher pendant longtemps était vraiment indéniable : il n’y avait jamais eu de fusion complète entre les travailleurs nord-africains et les militants.

Alors, on s’est posé des questions. Oh ! pendant quelques jours, on a lancé de grandes théories politiques disant un peu n’importe quoi :

– Qu’on avait pas de perspectives politiques, qu’on était pas unifiés entre nous, qu’on était ceci, qu’on était pas cela…

Et personne n’osait dire vraiment ce qu’il avait dans le ventre, ce qui le tenait aux tripes et ce qui, on le savait, était la vraie raison de l’échec.

Enfin, le mot fatal fut lâché et on commença à y voir clair.

RACISTES ! (Brr… quelle horreur) ; nous, militants marxistes-léninistes,
etc., on était racistes !

Au début, tout le monde se figea avec un regard réprobateur, et puis, tout le monde fut obligé de le reconnaître.

On en est là ; le tout, maintenant, c’est de savoir pourquoi et comment on est racistes.

LES FORMES APPARENTES DE NOTRE RACISME :

Pour les mecs, on se rend compte que ce qui est le plus frappant, c’est
qu’on est presque toujours entre militants et très rarement en train de
discuter avec les travailleurs du foyer où on a commencé à bosser.

Alors qu’au début on discutait sans cesse avec eux, qu’on essayait d’être vraiment unis à eux, de penser, de parler pareil, maintenant, on se contente d’une claque amicale, d’un « salut vieux » retentissant, et on continue notre chemin pour se retrouver entre militants, entre gens du même monde, au café du coin.

Tous autant qu’on est, on préfère se retrouver entre nous plutôt que maintenant discuter avec les camarades immigrés.

POURQUOI ?

Pour une raison bien simple, c’est qu’on a pas les mêmes formes de pensée, d’idéologie qu’eux, et que notre niveau culturel est trop différent.

Et tant que ça existera, les centaines d’années d’oppression des Européens sur les Nord-Africains pèseront sur nous et se manifesteront sous diverses formes.

Ces formes, pour nous, sont une incommuniabilité totale, parce que, qu’on soit seul ou en groupe, on opprime tellement un travailleur immigré par notre supériorité intellectuelle et notre passé d’explorateur.

Pour les filles, la contradiction entre elles et les travailleurs immigrés se place sur un autre niveau.

Au premier plan : l’oppression sexuelle.

Ainsi, on peut voir des filles sortir régulièrement avec des garçons différents, même au besoin chaque fois s’afficher avec eux, mais jamais il ne leur viendrait à l’idée de sortir avec un travailleur immigré.

POURQUOI CELA ?

Qu’une militante qui soit établie avec un garçon et qui n’éprouve pas le besoin ou l’envie de sortir quelquefois avec d’autres, ne se pose pas le problème des travailleurs immigrés, cela est tout à fait normal.

Il ne faut pas tomber dans l’excès inverse et réprimer les camarades femmes en leur imposant une B.A. hebdomadaire, sortir avec un immigré.

Mais, par contre, certaines camarades montrent ostensiblement ou non une instabilité sexuelle réelle, elles se contentent uniquement d’y répondre avec des camarades français. Et jamais le désir sexuel des immigrés ne les concerne, c’est évident, ce sont là des souches foncièrement racistes, les mêmes, sous d’autres formes, que les hommes.

Il est possible que des camarades militantes se sentent agressées !

ELLES ONT RAISON
ELLES LE SONT !

Comme les copains le sont aussi, d’ailleurs, et tant mieux si ça suscite des réactions.

Pour les femmes, bien sûr, les problèmes sexuels avec les immigrés sont principalement dus à un racisme profondément ancré en elles, mais les copains, eux, ne font rien pour les aider. Bien au contraire, pesant de toute leur force idéologique sur les femmes, ils entretiennent leur peur et leur méfiance des immigrés sur les questions sexuelles.

On ne peut pas le nier, il reste toujours en nous un petit noyau raciste auquel on s’accroche.

Tous ces problèmes ne sont pas spécifiques aux immigrés. lis existent dans toutes nos relations avec des travailleurs, qu’ils soient français ou, étrangers.

Avec celui qui a un niveau culturel, des formes d’expression différentes des nôtres, nous avons du mal à communiquer, en politique, ou dans notre manière de vivre, nous amuser, plaisanter, etc.

En définitive nous avons souvent plus d’affinités avec un lycéen, un
étudiant ou un intellectuel qu’avec un ouvrier révolutionnaire.

En fait c’est un problème de classe qui remet en question tous nos rapports avec les masses jusqu’à présent.

Pour les immigrés, au problème de classe s’ajoute le problème de race. Quand les immigrés ressentent notre racisme, alors, nous devons savoir que nous le sommes.

COMMENT RESOUDRE CES PROBLEMES ?

Tant que nos rapports avec les immigrés seront individuels, on n’arrivera pas à dépasser la contradiction :

– soit nous en restons au style banal ou à la politique qui nous intéresse ;

– soit nous francisons le travailleur immigré et nous englobons toutes ses formes culturelles et artistiques, ses formes de pensée, et nous les modelons aux nôtres.

Une seule issue reste : multiplier les contacts avec une collectivité ; quand les immigrés sont en groupe, malgré notre emprise idéologique, leurs idées, leurs formes culturelles, politiques, de pensée, passent. Ils peuvent renverser le rapport de force et discuter d’égal avec nous, sans se faire européaniser.

Voilà, camarades, on est racistes, certes, mais ne nous vidons pas un barillet dans le ventre pour cela. On a déjà dépassé largement le stade du Klu-Klux-Klan et on est bien parti pour sortir de là où on est.

DIRE « FRANÇAIS, IMMIGRES, TOUS UNIS », C’EST BIEN : LE
FAIRE, CE N’EST PAS FACILE, MAIS C’EST MIEUX.

Et il ne suffit pas de se retourner trente-six fois dans sa chambre en se répétant qu’on est racistes, que c’est atroce, qu’on arrivera jamais à rien, il faut se prendre par la main, réfléchir et y aller.

Ce n’est pas parce que cessait la colonisation des pays nord-africains que cessait l’oppression physique et culturelle :

ON AVAIT L’IMAGE DE MARQUE DE L’IMPERIALISME !
ON L’A REPRISE

« Il n’y avait plus d’immigrés et de Français, ou si peu, il y avait la classe ouvrière de France. »

– Les préoccupations des immigrés ? Connais pas.

– Leur famille dans leur pays d’origine ? Connais pas.

– Leur frère tué sur le Jourdain ? Connais pas.

Pour balayer cette image nous devons comprendre leur vie collective.

Ils nous révèlent alors toute la richesse de leur culture, de leur humour, de leur art, de tout ce qui est créatif en eux et qu’avaient castré des dizaines d’années d’oppression culturelle et physique.

Ainsi, dans le XVe arrondissement, les immigrés ont décidé de créer une équipe de football, un orchestre, de préparer des couscous collectivement, ils nous obligent à mettre au placard nos formes d’oppression.

Ce sont quelques formes d’initiatives ; il en existe bien d’autres.

QU’ELLES SE DEVELOPPENT MASSIVEMENT !
REFLECHISSONS, CRITIQUONS
ET EN AVANT POUR LA REVOLUTION SYMPATHIQUE ET JOYEUSE !


FRANCE-SOIR ENQUETE

« France-Soir », dans le courant de la semaine dernière, a publié une série d’articles sur les travailleurs immigrés ou encore « ces ouvriers qui nous viennent du Soleil ».

On nous relate l’expérience diverse de Turcs, de Yougoslaves, de Portugais venus travailler en France.

Les faits sont frappants : un Turc qui fait 22 000 km pour venir travailler en France, des jeunes Portugais qui se jettent dans la Bidassoa pour éviter de faire leur service militaire en Angola, 500 NF pour avoir un faux certificat de travail qui ne sert à rien…

En fait, toute une série d’anecdotes scandaleuses qui, finalement, tendent à nous montrer l’immigration comme une chose bien étrangère à notre vie quotidienne.

Pourtant le scandale fait partie de notre vie de tous les jours : il suffit de se promener dans la rue pour voir des « hôtels-meublés », pour voir que la porte même de l’hôtel est condamnée, que pour s’entasser dans leur chambre, les travailleurs immigrés sont obligés de consommer au café tenu par le gérant de l’hôtel.

Il suffit de discuter avec son copain de boulot pour savoir qu’en dehors du travail il ne sort pas de chez lui, parce que ses papiers ne sont pas en règle et qu’il a peur de se faire arrêter.

Non, ce n’était pas la peine d’attendre que 5 travailleurs africains soient asphyxiés à Aubervilliers et qu’une poignée de militants occupent le C.N.P.F. pour que « France-Soir » titre « Drame de la misère », alors que les foyers existent depuis des dizaines d’années.

LE SCANDALE EST A NOTRE PORTE, il n’est pas dans quelques « accidents malheureux de la misère » : de la même façon, il ne fallait pas attendre l’incendie de Saint-Laurent-du-Pont pour dénoncer les marchands de loisirs qui refusent les mesures élémentaires de sécurité pour augmenter leurs profits.

Ce n’est pas parce que le scandale et l’oppression sont quotidiens qu’il ne faut pas en parler.

Autre volet de l’article : on publie l’interview d’un certain nombre de
responsables français ou étrangers, on dénonce les trafiquants, les marchands de sommeil, on va même jusqu’à transcrire les paroles d’un fonctionnaire turc : l’émigrant turc est fort, sobre, discipliné … et on ajoute : « gisement en or ».

Toutes les paroles de ces gens-là montrent bien que l’immigration est
un système politique bien orchestré entre notre gouvernement, ceux des « pays du soleil », nos grands patrons, avec ses subalternes, ses hommes à tout faire : passeurs d’hommes, gérants d’hôtels, etc.

Que cette politique de négriers permet à notre industrie de conserver et d’exploiter plus profondément ce « gisement en or » que sont les travailleurs immigrés.

Pourquoi ne pas être allé demander à Citroën la raison de l’embauche systématique des travailleurs immigrés sur la chaîne ?

Pourquoi ne pas s’être posé la question de savoir pourquoi les contrats
de travail étaient de 6 mois, pourquoi les routes du Portugal à la France
avaient si peu d’embûches légales pour les clandestins ?

Il est temps d’aller au fond et on saura pourquoi notre camarade Marc
passe en Cour de Sûreté de l’Etat.

TRAFIC…

Selon les accords conclus, un Algérien est autorisé à rechercher en France, pendant neuf mois, un travail de son choix à condition qu’il soit en possession d’une carte délivrée par l’Office national algérien de la main-d’œuvre (ONAMO) – cette carte… doit être revêtue du timbre sec de la Mission médicale française.

Ceux qui ne trouvent pas un emploi au bout de neuf mois doivent quitter la France.

C’est dire qu’ils sont, eux aussi, prêts à accepter n’importe quel travail, n’importe quelles conditions de vie pour régulariser leur situation de résident. Ils deviennent les clients des marchands de sommeil et aussi ceux des marchands de faux certificats de domicile à qui les taudis et bidonvilles font faire fortune.

A ce trafic, un homme installé dans un deux pièces, à Saint-Denis, a gagné, en deux ans et demi, 130.000 F. – 13 millions anciens – sans être inquiété. Tarif moyen du certificat : 300 francs.

(Jean-Louis Dariel, France-Soir.)

… RACISME …

En outre, si toute municipalité reconnaît la nécessité de loger les étrangers, c’est presque toujours chez la voisine que l’on préfère voir s’édifier un foyer ou une cité de transit. Parfois même l’opposition est franche et active, comme à Septèmes.

En août 1969, après maintes difficultés, la société Logirem entreprit, dans cette localité, proche de Marseille, la construction d’une cité de transit.

Aussitôt, rapporte Alfred Martin, des commandos s’organisèrent pour détruire, pendant la nuit, ce qui avait été fait pendant le jour. Des pans de murs entiers furent démolis. Des engins furent sabotés. Le chantier dut être gardé par des chiens policiers.

(Jean-Louis Dariel, France-Soir.)

… PROFITS

Le directeur général de l’Emploi en Turquie, Naki Tezel, que j’ai rencontré à Ankara, déplore ce « retard », à la fois pour son pays et le nôtre :

Car, dit-il, l’émigrant turc ne peut être comparé à aucun autre. Il est fort, sobre, discipliné. Pour lui, le travail est sacré. Jamais il n’est traître à celui qui lui permet de gagner son pain. Il part pour envoyer à sa famille le plus d’argent possible, aussi se tient-il toujours à l’écart des chambardements. On peut compter sur lui, il ne se livre pas aux mauvaises tendances.

Autrement dit : un gisement en or !

(Jean-Louis Dariel, France-Soir.)

LA JUSTICE, POUR QUI ?

Un entrepreneur de Périgueux, qui escamotait les heures supplémentaires de ses ouvriers portugais, a été condamné en prud’hommes à leur verser 50.000 francs, mais il ne s’est toujours pas acquitté de sa dette. Ce qui fait dire au juriste :

Voler des salaires n’est pas une affaire pénale, mais civile : c’est attenter à la vie, mais ce n’est pas un délit… La loi n’est pas faite pour les immigrants. Rarement ils peuvent s’en servir pour se protéger. Ils ignorent notre langue, nos usages et leurs droits. Ils se savent trop vulnérables pour oser s’aventurer dans une procédure difficile, de toute façon trop longue et très coûteuse pour eux.

Les clandestins portugais sont ceux qui osent le moins… Ils sont partis de leur pays dans l’illégalité et tout concourt à les empêcher d’en sortir. Ils ont emporté à la semelle de leurs chaussures la peur et la méfiance. Ce qui s’appelle justice, police, administration continue à leur paraître suspect, au service des autres.

(Jean-Louis Dariel, France-Soir.)


DES PATRONS EXPLOITEURS…

LETTRE D’UN EMIGRANT PORTUGAIS EN FRANCE.

« Un émigrant, en arrivant en France, pense gagner beaucoup d’argent. Mais il s’aperçoit vite que c’est difficile de trouver du travail.

« Moi, je suis arrivé sans papiers, sans rien. Du fait que je n’ai pas de papiers c’est très difficile de trouver du boulot. Et les patrons ne voulaient pas me faire les papiers. Alors je me suis trouvé dans la rue sans un sou pour manger et dormir. Alors je me suis trouvé triste. Maintenant je suis mieux car un copain français que j’ai rencontré dans la rue m’a aidé à trouver du travail. Les patrons sont de sales exploiteurs.

« Il y a bien des émigrants qui sont arrivés sans rien, même pas pour manger et dormir. Si un jour, Portugais, vous voyez un de vos compatriotes en difficulté, aidez-le. Portugais, il est possible que l’un
de nous dorme dans la rue, sous la pluie et la neige. Ce serait malheureux, car on peut s’entraider… ».

Um emigrante, chega à França em pensado ganhar muito dinheiro mais
quando ele vé que é dificil, dachar da trabalho.

Por eu chiguel, a Paris sem papeis sem nada e, para achar trabalho foi muito dificil porque nào me queriam facer os papeis. Pois achei-me na rua sem dinheiro para dormir e comer, pois eu era triste nào tinha nada, hoje estou bem graça a um amigo frances que encontei sem querer numa rua de Paris e que me adjudou a achar do trabalho aqui esta vila de patrois que querem so para eles, e que pagam pouco os trabalhadores. Avia alguns estrangeiros que chegavam aqui semterem honde dormir nem de comer.

Se um dia portugueses se virem um dos nossos patriotas em dificuldade igual a mim adjudei-no.

Aqui um portugues é capas de dormir nas ruas anchuva e au frio e neve isso é malheroso pois se à compatriotas ém uma casa que é grande e tem muitas camas entào pode facer dormir esse compatriote em sua casa e pode dar-le de corner porque um dia você precisar tambem e fica muito agradecido se enguem o adjuda.

Pois isto é escrito pur um portugues egual a voce pois acreditem me bem patriotas isto pode acontecer a toda a gente.

Portugueses eu sei quevoceses estiveran na mesma dificuladade pois vejam o que é vir em frança pensamos ganhar muito dinheiro mas quando vimos esta miseria dizemos ante queria ester no meu pais natal mas nào temos mais dinheiro para nos ir embora, aqui para economisar alguns tostoeis para mandar à mulher que esta na terra sem um tostào para comprer de corner para dar os filhos pois isso é melheroso nào ter de corner, pois nào é.

Agora portugueses vejam se nao tenho razao au nao sei agora é a voceses de dicidir obrigado de adjudar os compatriotes digo autra vez obrigedo.

… A CERTAINS CURES

Quand « l’humanisme chrétien-social » se préoccupe du bonheur des travailleurs immigrés cela donne un foyer comme celui du 60 de rue de Charonne.

– 20 à 30 immigrés par chambre en lits superposés.

– Locaux délabrés, conditions d’hygiène inacceptables.

– Loyer de 75 F par lit, par mois (cela fait cher le mètre carré et le mètre cube d’air !…).

Quand les curés-patrons veulent faire régner l’ordre dans les foyers d’immigrés, cela donne ce qui se passe au Foyer Charonne. Après 6 mois de grève des loyers,
le Curé-Patron Ageneau cherche à récupérer les acquis de la grève en refusant de chauffer le foyer. Résultat : 12 travailleurs à l’hôpital. Et quand les Africains s’organisent pour refuser un tel chantage, Ageneau fait appel à la Préfecture et au S.A.T. (Service d’Assistance Technique) pour les intimider.

Quand les curés-négriers et les humanistes s’effrayent de la lutte des Africains dans les foyers et de la solidarité organisée sur le 11e arrondissement, cela donne un article dans « La Croix » du 4 novembre 1970 (signé A. lronde).

On y apprend que soutenir le combat des travailleurs immigrés contre la répression, la surexploitation, c’est « semer la haine raciale », qu’informer la population des agissements des directeurs d’Association, des gérants, des flics « c’est semer la confusion d’idées ».

On y apprend que les menées des gauchistes vont obliger le citoyen-curé à fermer les portes du Foyer Charonne.

Halte au chantage et aux intimidations !

Le Comité de soutien aux Travailleurs immigrés du 11e est solidaire de lutte des Travaileurs de Charonne, ainsi que les alphabétexens de ce foyer.

Comité de soutien aux Travailleurs Immigrés du 11e.


EN ALLEMAGNE, NOS FRERES IMMIGRES A LA POINTE DU COMBAT

En Allemagne Fédérale, les grèves sauvages s’engagent surtout là où les travailleurs immigrés les soutiennent. Ce sont souvent eux qui font les piquets de grève et détendent les ateliers contre les jaunes.

En juin, les femmes, surtout les immigrés yougoslaves, déclenchèrent une grève spontanée à l’A.E.G. Telefunken à Berlin-Ouest. Leurs
revendications :

– Egalité de salaire avec les hommes.

– Meilleures conditions de travail.

Les ouvrières yougoslaves sont doublement exploitées, parce qu’elles sont des femmes et parce qu’elles sont immigrées. Elles habitent dans des foyers appartenant à l’usine et contrôlées par la direction. Celle-ci s’en sert couramment comme moyen de pression : dès que les ouvrières sont licenciées, elles doivent aussitôt quitter le foyer.

Pour briser la grève, la direction menaçait les ouvrières yougoslaves de licenciement immédiat et d’expulsion en Yougoslavie. Elle se servit de la police et de la mission militaire en yougoslave. La presse entière, évidemment, a passé sous silence cet événement.

Les grèves sauvages déclenchées un peu partout par les métallos avant la signature des accords collectifs syndicat-patronat, étaient d’autant plus dures qu’il y avait plus de travailleurs immigrés. Chez Ford, à Cologne, parmi les 30.000 salariés, 50 % sont des ouvriers turcs et 10 % Italiens. Leur grève fut accompagnée de violentes bagarres. Elle a duré deux jours et entraîné 18 à 20 000 ouvriers qui tentèrent de prendre d’assaut les bureaux d’administration. Les ouvriers immigrés ont violemment contre-attaqué les briseurs de grève introduits dans les ateliers par la direction. La répression s’est spécialement attaquée aux ouvriers turcs dont cinq furent licenciés.

Au fur et à mesure que nos camarades immigrés prennent conscience de leur exploitation, ils montent à la pointe du combat. Bientôt, les pays du tiers monde n’exporteront plus des francs ou des deutschmarks sous forme de force de travail, mais des contingents de révolutionnaires en puissance.


POEMES :

HOMMES SOUS UN LINCEUL DE SILENCE

TAHAR BEN JELLOUN
(d’après Tribune Socialiste)

Camarade,
es-tu vacciné

contre

la typhoïde
le tétanos
le choléra
la lèpre
la tuberculose
la fièvre jaune
la fièvre rouge
le viol
le vol
l’injure

Camarade,
es-tu tamponné

pour

la soumission l’humiliation quotidienne la résignation
la pitié la charité l’amour du prochain la politesse pour donner
ton sang ta voix tes muscles ton corps

pour la prospérité de leur industrie
pour le bien de l’humanité
pour le bien-être de tous
pour la croix-rouge la sécurité sociale
pour rapporter des devises et venir raconter aux autres

que là-bas… Ah ! là-bas… ce n’est pas comme ici…

là-bas à Gennevilliers Aubervilliers ou Argenteuil
cabanes plombées par treize par sept entassés dans votre fraternité votre solitude votre silence entre le rêve et l’usine
avec vos sexes en berne
votre désir à jamais refoulé
même pas pour ramasser une infection vénérienne courante
Non, pas de putains pour les nor’af

Assassine en toi l’Arabe

tu es porteur de germes de barbarie

Ressuscite en un autre corps en une autre peau

on te commande
on te veut
comme nos caisses d’oranges
comme nos caisses de conserves
garanti pour l’éternité
on te veut
sans visage sans regard sans nom sans famille sans enfants
sans désir
sans désir
on te veut
brute et force
absolu comme un chiffre
en unité de bulldozer
en bras métalliques
mains calleuses
en acier en fer
marchandise courante
et surtout
refusé au souvenir
camarade.


DANS LE PRETOIRE

Dans le boudoir, dans le prétoire,
Des semelles battent la dalle.
Aujourd’hui l’on juge,
Aujourd’hui l’on adjuge.
Du haut des miradors,
Les robes écoutent et font la révérence.
« Votre Honneur,
M. le Substitut, M. le Procureur. »
Péroraisons et saute-moutons.
« Pstt. . . . . . . . . . . . . . . . .sssss. »
La séance est ouverte.
Les danseurs jouent des claquettes…
Ils sont là, en contrebas,
Ceux qui ont bravé la chorale de votre morale
Hé ! M. le Juge,
Vos jugements grincent,
Entendez-vous ?
Un travailleur qui cherche un embrayage
quelque part,
Hors du grand Couac du Silence et de l’abrutissement CAPITALISTE.


POUR L’AUTONOMIE DE LUTTE DES IMMIGRES

L’EXEMPLE DE MANOUCHIAN

Pendant la deuxième guerre mondiale un groupe de travailleurs immigrés décidait de passer à l’action directe contre l’occupant fasciste. Sous la direction d’un ouvrier arménien de Citroën MANOUCHIAN ils s’engagèrent dans la lutte armée. Manouchian devait être fusillé avec vingt-trois de ses camarades. Pourtant sa lutte est restée pour les révolutionnaires un véritable exemple vivant d’internationalisme.

En même temps il nous faut comprendre toute la signification du fait que le groupe était principalement compose d’immigrés. Ces camarades avaient entre eux des liens qui venaient de l’oppression particulière qu’ils ressentaient.

Ils s’étaient placés dans le cadre de la lutte révolutionnaire du peuple en France mais ils avaient voulu garder une certaine autonomie. S’ils se sentaient plus proches les uns des autres que de militants français c’est que la situation des travailleurs immigrés est particulière. La classe ouvrière en France est formée d’une classe ouvrière française et d’une classe ouvrière immigrée. Le rôle des militants révolutionnaires n’est pas d’organiser les immigrés, c’est de les aider à organiser leurs frères. Les travailleurs immigrés sont en France victime du système de l’impérialisme ils sont à la fois exploités par les patrons et opprimés par le racisme du système. Pendant des dizaines d’années le PCF a voulu que les organisations d’immigrés soient ses satellites politiques, il voulait les organisations à son image. Quand les Algériens s’organisèrent après la 1re guerre mondiale dans l’étoile Nord-Africaine proche du parti c’était bien, mais dès que le PPA (1), puis le MTLD (2) et le FLN revendiquèrent l’indépendance de l’Algérie alors on assista aux condamnations pour nationalisme petit bourgeois. Jamais le PCF n’a reconnu l’autonomie politique et l’autonomie d’organisation des communautés d’immigrés en France.

LES GAUCHISTES C’EST PAS MIEUX

Les gauchistes ont suivi cet impérialisme idéologique. Après Mai 68 le mouvement gauchiste a de façon générale proclamé l’existence d’une classe ouvrière DE France, composée des travailleurs immigrés et français. L’intention était louable. Il s’agissait de rompre avec le chauvinisme de la gauche et du PCF et de dire que les frères immigrés étaient véritablement nos frères de combat, nos frères de classe.

Pourtant les conséquences de cette ligne politique furent désastreuses. Au lieu de les appuyer pour qu’ils s’organisent dans le sein de leur communautés, nous avons sélectionné quelques camarades dont nous décidions arbitrairement qu’ils étaient avancés. Cette attitude coupait nos copains immigrés de leur possibilité réelle de travail de masse. Prenons un exemple. L’équipe de Flins de la BASE OUVRIERE, avait fait un travail de propagande et de liaison sur un foyer.

Un film sur la Palestine avait été projeté devant près de 80 travailleurs arabes. Pourtant au lieu de partir de ces 80 camarades, les copains de la BO travaillèrent pour que ceux dont ils avaient décidés qu’ils étaient les plus avancés s’intègrent dans un comité d’atelier. Plusieurs immigrés devinrent alors les parasites de notre lutte. Au lieu d’être l’avant-garde de la lutte des immigrés ils étaient des éléments peu dynamiques du comité d’atelier, ils ne s’y sentaient pas bien, ils n’avaient pas leur propre organisation de lutte et de réflexion sur leurs problèmes. Nous autres gauchistes nous avons un peu fait comme le PCF, nous n’avons pas aidé l’autonomie des groupes immigrés, nous avons voulu des groupes immigrés à notre image et non des collectivités de luttes qui parce qu’elles sont représentatives des travailleurs immigrés ne peuvent être identiques à celles des Français. Nous avons fait de l’impérialisme idéologique. Cette ligne erronée pouvait conduire certains immigrés à se poser légitimement la question de savoir si les gauchistes n’étaient pas eux non plus des racistes. Ce qu’ils ressentaient c’est qu’au lieu de les aider à avoir une ligne d’intervention originale, représentative des intérêts spécifiques des immigrés, nous les utilisions pour les besoins de nos propres préoccupations de groupe révolutionnaire français. Etre la potiche immigrée d’un groupe français n’est pas un destin enviable pour un travailleur révolutionnaire immigré. Les Black Panthers des Etats-Unis nous ont montré le chemin de la modestie et de l’internationalisme. Au lieu d’organiser eux-mêmes les autres communautés ils appuient toute organisation autonome des communautés mexicaines, porto-ricaines, asiatiques, blanches. Ce qu’ils veulent c’est pouvoir s’adresser à des groupes représentatifs des luttes qui se mènent en fonction de situations et de traditions différentes. Leur principe qui doit être aussi le nôtre c’est marcher côte à côte et frapper ensemble. C’est dans les luttes que disparaissent toutes les formes de racisme et d’impérialisme idéologique. Dans les brigades internationales comme dans la résistance, en mai 68, comme dans certaines bandes de jeunes le racisme disparaît.

NOUVEL OBJECTIF

Nous voulons aider les immigrés à s’organiser, nous ne voulons pas leur dicter leur ligne politique. C’est eux qui en dernière analyse dégageront les avant-gardes de lutte des immigrés intervenant avec nous dans la lutte de classe en France. Nous ne saurions nous substituer à eux. Pour nous, là réside la véritable position internationaliste. Vis-à-vis de nos frères immigrés la responsabilité est grande. Notre lutte contre l’impérialisme commence par là. Désormais, nous savons qu’il nous faut combattre pour. la libération des colonisés de l’intérieur, comme nous avons combattu pour la libération du peuple algérien, comme nous devons combattre avec une extrême fermeté pour la liberté du peuple du TCHAD.

FRANÇAIS ET IMMIGRES,
COTE A COTE,
ORGANISONS-NOUS
POUR VAINCRE
ENSEMBLE !


(1) Parti Populaire Algérien.
(2) Mouvement pour le Triomphe des Libertés Démocratiques.



ALPHABETISATION

1967 – Arrivé en France. Veut parler, ne sait pas. Révolté l’étranger se demande comment il peut y avoir un pays avec tant d’immigrés qui n’est pas capable d’installer une école d’alphabétisation. En 67 il n’y en avait pas mais aujourd’hui… non plus. Pourquoi ? Les immigrés pour la Bourgeoisie ne sont pas des vrais hommes ! Racisme…

1968 – L’étranger sait parler le français, bref se faire comprendre : écrire ? un peu. Comment ? Par des petits groupes chrétiens qui veulent qu’on croie toujours à leurs fables antiques. Pourquoi des chrétiens ? bourgeoisie, soutenir les bourgeois en leur piédestal. Résultat ? l’étranger est content. Il ira passer les vacances dans son pays et puis propagande : « les français, qu’ils sont sympathiques. Ils s’intéressent à nous, à ce qu’on sache écrire. »

L’étranger vit moins dans la révolte, la bourgeoisie a encore triomphé.

C’est le bref résumé d’un immigré révolutionnaire qui a compris le système et veut le faire comprendre.

Militants, aller à l’inconnu dans les bidonvilles enseigner le français à des immigrés c’est briser une partie de leur révolte. Lorsque vous obtenez un résultat vis-à-vis de la langue, que se passe-t-il ? Ils vous sont très reconnaissants, ils sont toujours très sympathiques, ils sont très contents de savoir le français, ils s’imaginent que savoir parler c’est l’essentiel pour se tirer de leur merde. Combien d’étrangers, surtout des européens, disent : « ah, si je savais le français ! »

Tous les militants doivent savoir que l’alphabétisation est une arme si elle est employée pour faire comprendre à quel point la bourgeoisie se fout des immigrés. Cette arme doit être utilisée, après avoir dénoncé le capitalisme, pour sa destruction tant que les immigrés sont bien en colère de ne pas savoir le français, et non pas quand les immigrés savent déjà le français, parce qu’une partie de leur révolte est éteinte.

Il devient plus facile de leur faire comprendre ce que nous voulons dire quand ils savent le français mais plus difficile de les mettre à l’action parce qu’ils éprouvent le besoin de se révolter.

Choisir : ou enseigner le français « humanitairement » pour servir les immigrés dans leur besoin immédiats, c ‘est-à-dire faire le travail que ne fait pas la bourgeoisie ; ou bien vouloir que les immigrés prennent leurs affaires en mains eux-mêmes et le français ne sera utile qu’une fois conscients de la lutte qu’il y a à mener contre le capitalisme.

Aux camarades intéressés je leur demande de se rassembler et de discuter ce sujet qui est très important (écrire au journal).

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