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L’impérialisme français en Algérie : mariage bourgeois sur le dos des travailleurs algériens

Article paru dans Le Prolétaire, n° 349, 11 au 24 décembre 1981, p. 1-4


« Quoi de plus complémentaire qu’un pays exportateur d’énergie et un grand pays industriel tous deux riverains de la Méditerranée ? », cette question-réponse que nous empruntons au Nouvel Économiste du 30/11/1981 permet de situer dans ses véritables dimensions le rapprochement actuel entre l’impérialisme français et la bourgeoisie algérienne. D’autant plus que la nouvelle politique étrangère de la France social-impérialiste avait bien besoin du label de l’Algérie qui jouit d’un certain prestige parmi les « non-alignés ».

Il faut dire que l’impérialisme français a tenu à marquer le coup au bon moment. Depuis l’accession de Chadli au pouvoir, la bourgeoisie algérienne n’a pas cessé de se « recentrer ». L’acuité avec laquelle se posent les questions sociales (ravitaillement, logement, chômage des jeunes, transports) l’a amenée à réviser, au moins partiellement, les orientations du régime précédent. Sur le plan économique, la stratégie fort coûteuse de l’ « industrie industrialisante ». chère à Boumediène a été mise en veilleuse, au profit d’une politique économique axée sur la rentabilisation des investissements engagés et plus tournée vers les secteurs sociaux comme l’habitat. L’Algérie attend donc de la France une contribution de taille pour la résolution des problèmes que vivent quotidiennement les masses citadines : biens de consommation, logements, mise sur pied d’un métro à Alger, étant admis que la stabilité du régime algérien est à ce prix.

Sur le plan, politique, tout en glissant discrètement sur le ralliement de Paris aux accords de Camp David, l’Algérie a émis des réserves sur le plan Fahd sans pour autant le rejeter. Dans l’affaire tchadienne, l’Algérie a bien demandé le retrait des troupes libyennes au risque de refroidir ses relations avec Tripoli. D’où le commentaire du Nouvel Économiste : « Paris est décidé à appuyer à fond l’équipe Chadli ; son centrisme à mi-chemin du progressisme pro-soviétique de Boumediène et de l’intégrisme musulman rassure ».

Cependant, les difficultés internes de l’Algérie ne constituent pas uniquement un atout pour l’impérialisme français. La médaille a son revers. Dans l’espoir d’éviter de s’attirer les foudres des masses, la bourgeoisie algérienne demande à la fois le doublement du prix du gaz et son indexation sur celui du pétrole brut. Le prix du gaz a toujours été indexé sur un cocktail de produits pétroliers (fuel domestique, GPL, brut, etc.). L’Algérie a demandé que soit revue au moins la part du pétrole brut dans ce panier, d’autant plus que l’effondrement de la demande pétrolière étrangère a obligé la Sonatrach (la compagnie pétrolière algérienne) à réduire sa production de près de 40% par rapport à l’année dernière et à réduire ses prix de 2,5 dollars par baril, ce qui va faire descendre pour cette année les recettes pétrolières algériennes de 10,6 à 8 milliards de dollars.

La prétendue revalorisation du dialogue Nord-Sud qui constitue un des piliers de la politique étrangère social-impérialiste, n’a pas empêché Mitterrand de rester ferme sur cette question. Les intérêts bien solide de l’impérialisme français ont eu raison de la phrase « tiers-mondiste », hypocrite et mensongère. Officiellement, la France a évoqué le souci de ne pas casser le « front des consommateurs » européens pour justifier son opposition intransigeante à la demande algérienne. La question du gaz constituera donc pour l’impérialisme français un instrument de pression et de chantage efficace dans ses marchandages avec la bourgeoisie algérienne. C’est là un bel « exemple des nouveaux rapports égalitaires que nous entendons établir entre le Nord et le Sud » (Mitterrand) !

En effet, tout en ne manquant pas de fustiger « l’égoïsme des grands », Mitterrand avait déclaré : « Nous souhaitons aboutir, mais l’Algérie doit tenir compte d’un certain nombre de données internationales… » (Le Monde du 1/10/1981). Et comme on sait, la premières des données internationales s’appelle : rapport des forces, lequel détermine cette seconde donnée qui s’appelle : donnant-donnant… au profit des plus grands. C’est ainsi qu’Alger a proposé de troquer l’acceptation par la France de l’indexation du prix du gaz sur celui du pétrole brut contre une promesse de compensation en commandes de matériel à des fournisseurs français. Les représentants de l’impérialisme français n’ont pas marché. Pourtant le marché algérien (le 58 dans l’OPEP en importance) est alléchant. En partant de l’idée que si elle se réalise, l’indexation du prix du gaz sur celui du pétrole sera définitive, alors que la compensation en commandes de matériel risque d’être révocable pour des raisons politiques, étant donné que le commerce extérieur algérien, monopole d’Etat, se trouve sous le contrôle absolu du gouvernement, les représentants de l’impérialisme français ont voulu tout soumettre à un assainissement préalable du climat politique qui règne entre les deux pays.

C’est là le véritable sens de l’apparent désintérêt de Mitterrand pour les questions économiques que certains observateurs ont décrit par cette expression : « L’économie suivra ! » pour faire le parallèle avec De Gaulle qui disait, lui : « l’intendance suivra ». Mitterrand est d’autant plus à l’aise avec son air néo-gaullien que l’explication des choses n’est pas très difficile : « L’Algérie a besoin de trouver des équilibres avec ses partenaires. Il faut travailler à moyen terme, en finir avec le coup par coup » déclarait Paul Berliet, président du Comité algérien du CNPF et vieux partisan d’une coopération étroite entre les deux pays. Mitterrand est donc allé en Algérie pour défendre avant tout une politique économique qui se veut « à moyen terme », c’est-à-dire plus solidement impérialiste.

Déjà pour son usine de Rouiba qui assemble chaque année 6.000 camions, la Sonacome achète à Renault plus de 1,2 milliard de francs de pièces détachées. L’idée d’une division du travail industriel entre les deux pays, pudiquement appelée « co-développement », fera-t-elle son chemin malgré l’intransigeance de la France sur le prix du gaz ? En tous cas, les travailleurs des deux pays n’ont rien à attendre du renforcement de la « coopération » et du pillage impérialistes ! Ce n’est pas la « dynamisation du bâtiment » grâce à des entreprises françaises qui va permettre d’enrayer radicalement le chômage et le sous-emploi chroniques dont souffrent les masses pauvres des bidonvilles d’Algérie.

D’ailleurs, ce que l’impérialisme peut à certains moments donner d’une main, il ne manque pas de le retirer tout de suite de l’autre. Sollicité par la bourgeoisie algérienne, l’impérialisme français veut bien s’engager dans un programme de construction de logements « préfabriqués », mais… il exige de la bourgeoisie algérienne qu’elle prenne des mesures policières draconiennes pour arrêter l’émigration des « faux touristes » en quête d’un travail au noir en France. C’est ainsi qu’en marge des rencontres Mitterrand-Chadli, Gaston Defferre a discuté longuement avec son homologue algérien Boualem Benhammouda : « La rencontre a permis aux deux hommes de jeter les bases d’une coopération accrue ente les polices algérienne et française, afin de mettre sur pied un contrôle effectif de la circulation des personnes entre les deux pays. La France est, en effet préoccupée par l’afflux des « faux touristes » qui, une fois en France, se tournent vers le travail au noir. M. Defferre a constaté avec satisfaction que l’action des autorités algériennes a déjà permis de réduire le nombre de ces clandestins » (Le Monde du 1/12/1981).

C’est cela aussi, et surtout cela, la « coopération » bourgeoise ! Mitterrand, qui n’a pas manqué de tenir des propos démagogiques au sujet des travailleurs algériens immigrés, a justifié le contrôle accru de l’immigration par le souci du gouvernement de gauche de garantir aux travailleurs immigrés de meilleures conditions de vie. Il a cru ainsi berner tout le monde en faisant miroiter les mesures démagogiques prises par le gouvernement depuis quelques mois. Mais la démagogie ne résistera pas à la dure réalité.

Les prolétaires et les masses pauvres d’Algérie ainsi que les travailleurs immigrés en France ne tarderont pas à mesurer toutes les conséquences du rapprochement de la bourgeoisie algérienne avec l’impérialisme français. Et il dépend des prolétaires français de se rapprocher, eux, en combattant l’impérialisme français sous toutes ses formes, de leurs frères de classe algériens.

2 réponses sur « L’impérialisme français en Algérie : mariage bourgeois sur le dos des travailleurs algériens »

On est pas sorti de l’auberge ! On tourne en rond depuis 62… Mais que se passera t-il le jour où il n’y aura plus ni gaz ni pétrole ?

Il faut voir ce qui change et ce qui ne change pas dans l’histoire des relations entre les deux pays. L’influence française demeure une réalité incontournable mais le jeu est devenu plus complexe depuis la publication de cet article.

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