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Edith Thomas : Israël et l’histoire

Article d’Edith Thomas paru dans Les Lettres françaises, 18 juillet 1947, p. 4

ON pouvait croire, en ces années qui précédèrent la guerre de 1939-1945, qu’en France, du moins, la question juive ne se posait plus : depuis cent cinquante ans, la Révolution française, la première, avait assimilé les Juifs aux autres catégories de Français et, peu à peu, malgré des crises, comme l’affaire Dreyfus, il semblait qu’on s’acheminât vers la disparition du vieux problème historique.

Mais l’occupation nazie de l’Europe lui a rendu une nouvelle vigueur. Et c’est peut-être là l’héritage le plus persistant du nazisme. Les soldats de Hitler ont laissé derrière eux, entre autres pestilences, une renaissance de la question juive. De deux manières : les persécutions ont rendu aux Juifs, qui l’avaient perdue ou étaient en train de la perdre, la notion de singularité et de différence. La propagande de Hitler a réveillé chez les non Juifs de vieux préjugés larvés et assoupis : il n’est pas de question sur laquelle on n’entende dire journellement plus d’insanités.

C’est pourquoi deux livres viennent aujourd’hui à leur heure et méritent d’être signalés à tous ceux qui refusent de se laisser rouler dans la confusion de leur temps et qui tiennent à opposer aux préjugés sentimentaux, aux passions intéressées et aux affirmations sans preuves, la claire barrière de l’histoire et de la logique.

Ce sont Les Juifs de France, de Robert Anchel (1), et Israël dans le monde, de Pierre Paraf (2). Tous deux, par des méthodes différentes, ramènent le problème à ses proportions raisonnables et le débarrassent des oripeaux dont les siècles l’ont affublé. Ils réduisent le mythe à l’histoire et entreprennent un travail de « démythification » dont nous avons un grand besoin dans tous les domaines.

C’EST par le chemin précis et austère, par la porte étroite de l’érudition, que M. Robert Anchel nous conduit. Il repousse le critère de « race », puisque l’anthropologie nie qu’il y ait des races pures. Il rappelle que les Juifs viennent, en réalité, le plus souvent de populations converties au judaïsme à travers le temps :

« La Palestine n’aurait pas compté assez d’habitants pour former toutes les communautés juives de la Diaspora éparses à travers l’univers connu avant l’ère chrétienne », écrit-il.

Il y a eu des Juifs chinois jusqu’au dix-neuvième siècle. Et les Romains, dans leur engouement pour les cultes occidentaux, ne furent pas les derniers à se convertir au judaïsme. Aussi, dans le haut moyen âge, les Juifs ne sont-ils pas confondus avec les autres Orientaux. Par contre, les cultes juif et chrétien sont alors si voisins qu’on est amené parfois à les confondre. Mais, peu à peu, l’Eglise chrétienne précise ses dogmes et ses rites et commence à tenir à l’écart ces hommes qui, sans être des hérésiarques, ne sont pas pourtant des chrétiens.

Tout ce développement, M. Robert Anchel nous le retrace à travers les textes. Il n’avance rien qui ne soit prudemment prouvé et sa démonstration est des plus convaincantes. Les deux facteurs historiques de la religion et de l’économie sont les seules hases de !a question juive. Aussi ne voit-il de solution que dans l’assimilation complète des Juifs aux autres citoyens d’un pays :

« L’histoire des Juifs de France, si elle est documentée, critique, véridique, est propre à dissiper les préjugés, à montrer que les Juifs ont été victimes d’une oppression séculaire et d’accusations fausses ou très exagérées, qu’ils ne sont que des hommes comme les autres, ni meilleurs, ni pires, et peut utilement servir à unir, sans réserve confessionnelle ni sociale, tous les Français dans l’amour commun de la patrie. »

C’EST l’histoire d’Israël dans le monde que nous trace à son tour Pierre Paraf. Lui aussi a vite fait de démontrer l’absurdité de la thèse raciale. La question religieuse n’a plus de virulence. L’aspect économique social et politique, est examiné dans son courant historique, ce qui est la seule façon d’envisager sa solution. Comme tous les hommes de bonne foi qui se sont penchés sur le problème, Pierre Paraf conclut à l’assimilation des juifs :

« Sur le plan universel, la liquidation du racisme antijuif relève avant tout de la politique et de la morale. Elle est attachée à la victoire des principes d’égalité que la démocratie porte en elle. Partout où celle-ci triomphe, quelle qu’en soit la forme, l’antisémitisme recule. Ce qui importe surtout. c’est de nettoyer les âmes, de déshabituer les hommes et les femmes de cette sorte de hantise du Juif, artificiellement créée par Hitler. »

Mais, à côté de cette assimilation souhaitable des Juifs dans les pays démocratiques où ils vivent, il faut faire une place à ces foules échappées aux pogromes hitlériens et qui cherchent dans le monde un foyer : le sionisme répond à leurs aspirations.

« Mais il lui faut montrer, conclut Pierre Paraf, que non seulement, il ne nuit pas, là où elle n’est point encore accomplie, à l’intégration des Israélites dans leur patrie, mais au contraire qu’il peut la faciliter en absorbant les éléments qui ne veulent pas s’assimiler et qu’il ne s’oppose pas davantage à ce que les philosophes appellent la mission d’Israël. »

Cette mission humaine d’Israël, que l’on ne saurait baser ni sur la race ni sur la religion, est en réalité celle de tous les opprimés de tous les temps et de tous les pays, des hommes qui veulent que l’homme soit libéré des tabous, des terreurs et de la misère, des hommes qui ont faim et soif de justice.


(1) J.-B. Janin, éditeur.

(2) Flammarion.

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