ON pouvait croire, en ces années qui précédèrent la guerre de 1939-1945, qu’en France, du moins, la question juive ne se posait plus : depuis cent cinquante ans, la Révolution française, la première, avait assimilé les Juifs aux autres catégories de Français et, peu à peu, malgré des crises, comme l’affaire Dreyfus, il semblait qu’on s’acheminât vers la disparition du vieux problème historique.
ARTHUR KOESTLER est arrivé de Londres mardi soir par la « Flèche d’Or ». Ses éditeurs, qui savaient qu’il devait venir à Paris ces jours-ci, furent moins favorisés qu’un petit nombre d’amis qui, prévenus, l’attendaient à la gare. Il a passé, en compagnie de ceux-ci, une nuit probablement agitée, et s’excuse, en me recevant à une heure assez matinale, de n’être pas tout à fait « dans son assiette ». Un beau désordre règne dans la chambre. On dirait que ses vêtements, doués pour un soir d’une vie autonome, l’ont quitté un à un et se sont posés au hasard des sièges.
Extrait de Maxime Rodinson, Peuple juif ou problème juif ?, Paris, La Découverte, 1997 [1ère édition : Paris, François Maspero, 1981], p. 5-18
Une famille de colons juifs armés en Cisjordanie en juillet 1981, Israël. (Photo by Francois LOCHON/Gamma-Rapho via Getty Images)
INTRODUCTION
Ce recueil de textes — nouveaux et anciens — étalés sur une quinzaine d’années espère provoquer quelque intérêt en vertu d’un seul facteur, une même ligne de pensée qui en est le fil conducteur. Il s’agit en effet d’un phénomène très rare : une réflexion sur les problèmes juifs qui n’est pas judéocentrique, qui se veut même critique de l’optique judéocentrique.
Extrait de Maxime Rodinson, Israël et le refus arabe. 75 ans d’histoire, Paris, Le Seuil, 1968, p. 203-229
View of truck mounted mobile missile carriers of the Israel Defense Forces driving past spectators lining a road beside the Walls of Jerusalem during the Israel Independence Day Parade in Jerusalem, Israel on 2nd May 1968. (Photo by Rolls Press/Popperfoto via Getty Images/Getty Images)
CONCLUSION
Les pages qui précèdent ont voulu exposer au lecteur les grandes lignes du conflit israélo-arabe. Mon exposé a été essentiellement historique avec, çà et là, quelques données sociologiques fondamentales. Certaines affirmations ont pu étonner, étant contraires à des idées largement répandues. Elles sont pourtant solidement documentées. J’ai pu fournir arguments et références dans des travaux impliquant, à la différence de celui-ci, un appareil d’érudition.
Article de Maxime Rodinson paru dans Le Monde, 5 juin 1967
At the window of the Embassy of Israel, Johnny Hallyday waves to the crowd in Paris, France, on june 1, 1967. (Photo by Keystone-France\Gamma-Rapho via Getty Images)
Le 9 août 1903, le comte Serge de Witte, ministre des finances du tsar Nicolas II, expliquait benoîtement au journaliste viennois Theodor Herzl, qui venait lui démontrer comment l’application de la doctrine du sionisme politique (qu’il venait de fonder) devrait être soutenue par l’empereur orthodoxe :
« J’avais l’habitude de dire au pauvre empereur Alexandre III : ‘S’il était possible, Majesté, de noyer dans la mer Noire six ou sept millions de juifs, j’en serais parfaitement satisfait. Mais ce n’est pas possible. Alors nous devons les laisser vivre !' »
Tribune de Maxime Rodinson parue dans Le Monde, 12 juin 1982
Israeli Defense Minister Ariel Sharon, r, in combat helmet and flak jacket rides in APC leading his troops to a hookup with Christian forces in East Beirut. Israel has virtually cutoff Palestinian guerrillas and Syrian troops in Beirut.
Une fois de plus les dirigeants d’Israël se servent du nom et des malheurs passés de tous les juifs pour couvrir une opération brutale qui, malgré son nom de code mystifiant, ne peut apporter la paix ni à la Galilée, ni à Israël, ni à personne. Une fois de plus, l’immense majorité des médias collaborent au camouflage. Une fois de plus les virtuoses de l’intelligentsia manipulent, au service d’une mauvaise cause, la métaphysique, la psychanalyse, la poésie, la mystique, la supériorité du monothéisme ou les souffrances de millions de martyrs – très réels n’en déplaise aux Faurisson. Ils utilisent comme à l’accoutumée le génie des non-nationalistes juifs que furent Spinoza, Marx, Freud ou Einstein. D’autres abritent leur refus de condamner ce qu’ils auraient condamné partout ailleurs sous des arguties futiles. J’en oublie et j’en passe.
Extrait de l’article paru dans Guerre de classes, n° 7, janvier 1974, p. 3.
C’est la quatrième fois en vingt-cinq ans que l’hostilité entre Israël et les pays arabes dégénère en guerre ouverte. Une fois de plus, c’est une véritable levée de boucliers dans le monde. Le concert des positions remet face à face pro-arabes et pro-israéliens. Les organisations de gauche et d’extrême-gauche se sont lancées dans la confusion générale, pour avancer des mots d’ordre tout aussi confus qui reviennent toujours, plus ou moins directement, à soutenir les pays arabes : « Soutien aux peuples arabes de Palestine, d’Egypte et de Syrie en guerre pour récupérer leurs territoires occupés… », « A bas l’agression israélienne ». « Lutte des peuples arabes contre le sionisme et l’impérialisme » … « Le Golan aux Syriens, le Sinaï aux Egyptiens »… Les révolutionnaires sont bien prompt au soutien, mais peu à l’analyse. Voilà qu’ils se mettent à soutenir sans broncher un camp capitaliste contre un autre ; voilà qu’ils mettent en avant leur internationalisme bâtisseur d’Etats en revendiquant « les droits légitimes » des peuples ou des nations.
Extrait de Maxime Rodinson, « Les Arabes et Israël », Revue française de science politique, vol. 16, n° 4, août 1966, p. 792-795
June 1966: Arab children eating in the cramped quarters of one of the eight refugee camps in the Gaza Strip. Free meals and medical care are supplied by the United Nations Emergency Forces, stationed to maintain stability in the area. (Photo by Keystone Features/Getty Images)
Si certains sentiments répandus viennent atténuer ou contrebalancer l’intense sentiment sous-jacent d’humiliation, d’autres viennent au contraire le renforcer, l’exacerber.
Éditorial de Bernard Lecache, Le Droit de vivre, 18 juillet 1936.
Je vous ai vus, et bien vus, mardi dernier, quand vous défiliez en rangs serrés.
Je vous ai vus, les uns et les autres, pressés derrière vos chefs, tendant le poing, saluant passionnément les foules passionnées. Et j’ai compris que nous étions, vous les Musulmans et nous les hommes de la L.I.C.A., des sots.