Article paru dans Le Libertaire, n° 307, 8 mai 1931
VOICI ouverte cette fameuse Exposition Coloniale Internationale. L’assassinat des peuplades indigènes par les soudards de tous pays pour le plus grand profit de la phynance universelle va être glorifié. Une fois de plus les criminels seront à la gloire.
Certes, de grands discours ont été prononcés qui vantent « l’œuvre civilisatrice » que constitue la colonisation. On aura entendu tous les clichés habituels sur les « bienfaits » apportés dans les pays lointains par les « bons blancs » qui sont allés donner à leurs « frères de couleur » les bénéfices de siècles de progrès.
Le sanglant maréchal Lyautey sera particulièrement à l’honneur — mais on n’omettra pas de rappeler dans des opuscules qui célébreront les mérites de telle ou telle partie du grand domaine colonial les hauts faits des autres assassins galonnés : Galiéni, Marchand, Mangin, Courbet, Gouraud… et j’en passe.
On chantera en prose et en vers le rattachement de l’Algérie à la France – on oubliera cependant la prouesse « héroïque » du commandant Pélissier qui enfuma plusieurs centaines d’Arabes dans une grotte. On ne parlera pas de l’exploitation forcenée des indigènes, on passera sous silence les scandaleuses fortunes accumulées grâce à la « sueur des Burnous ».
On louangera la conquête de l’Indochine, mais on taira les exécutions de Yen-Bay, on ne dira pas quel est le sort lamentable des Indochinois qui travaillent tels des forçats pour les gros requins genre Outrey et Homberg, et à qui on donne des salaires de famine, des coups de trique, la prison, le bagne ou la mort lorsqu’ils réclament d’être traités un peu plus humainement
On parlera de Madagascar, mais on ne dira pas que des centaines de Malgaches ont été exécutés, d’autres envoyés à Cayenne pour avoir protesté contre le traitement honteux que l’on fait subir aux pauvres habitants de la Grande-Ile.
On décrira les ressources que l’on tire de l’Afrique équatoriale, mais on gardera un mutisme complet sur le véritable travail forcé qui est imposé aux nègres qui, en guise de paie reçoivent souvent la bastonnade ; on prendra bien soin de taire qu’on embrigade de force dans les groupes de travailleurs, qui meurent assassinés par les fièvres pour que les possesseurs d’actions des sociétés qui exploitent les richesses naturelles de l’Afrique puissent recevoir de gros dividendes.
On parlera aussi des Antilles françaises, mais ce dont on ne parlera pas c’est de cette servitude dans laquelle les producteurs de rhum tiennent les Antillais.
On vantera nos possessions du Levant — en ayant bien soin de ne pas rappeler le bombardement de Damas, où des millions de Libanais furent assassinés par le général « républicain et pacifiste », Sarrail.
Oui, on portera au pinacle les bénéfices, mais on taira la quantité de sang que l’on fit et que l’on fait encore couler pour les obtenir. On ne dira pas, surtout, que les « bénéfices » tirés de cette colonisation n’ont en rien profité aux peuplades que l’on est allé « civiliser » à coups de canons. On n’affirmera pas — et pourtant c’est là la véritable mission de la colonisation — que l’on met tout en œuvre pour qu’à aucun prix les populations indigènes ne puissent obtenir un avantage quelconque de leur dur labeur.
Bois des îles, produits exotiques, reconstitution des monuments locaux, statistiques de la production, etc., seront bien en vue dans cette exposition coloniale — même des indigènes. Dans chaque pavillon, on expliquera les réalisations de la « France bonne mère » on dénombrera les routes construites et celles en projets ; on exposera les lignes de chemins de fer établies ou projetées — mais on ne dira pas que ces routes et ces lignes de chemins de fer ne profitent en aucune façon à l’indigène, qu’au contraire, elles n’ont fait que renforcer son esclavage. Si on a construit — et avec quelle main-d’œuvre ! les indigènes, toujours, à qui l’on faisait obligation de travailler sous la conduite de chefs de travaux blancs qui les commandaient et les commandent encore à grand renfort de coups et sous la constante menace du revolver —, si on a construit ces routes et ces lignes ferroviaires, c’est uniquement pour pouvoir transporter avec le minimum de frais et le maximum de vitesse les marchandises dont se sont emparés les blancs spoliateurs.
En vérité, jamais exposition n’aura été plus immorale. Jamais encore le régime capitaliste n’aura, avec tant d’impudence et de cynisme, affirmé son droit régalien : jamais l’apologie de l’assassinat n’aura été poussée aussi loin.
Car tout ce que l’on exposera n’aura été obtenu qu’au prix du sang de malheureux — des hommes comme nous, pourtant ! — de leur misère affreuse. On oublie trop, en France, que si par une déclaration solennelle internationale on a aboli l’esclavage en 1848, l’esclavage n’a jamais cessé d’exister dans les colonies. Certes, on ne vend plus des hommes comme naguère, on ne les embarque plus sur des vaisseaux négriers — mais on les oblige au travail, on les traite comme du bétail à produire, on les maltraite, on les emprisonne, on les torture, on les tue avec la même désinvolture. Les indigènes n’ont qu’un seul droit : supporter tout et se taire.
Les blancs civilisateurs ? Quel mensonge !
Ah ! si : les blancs ont apporté une chose aux colonies : l’usage de l’alcool et des stupéfiants. C’est tout ce que les pauvres serfs des « possessions » y ont gagné. Ils auraient pu facilement s’en passer.
On est allé chez eux, où ils vivaient bien tranquillement. On leur a amené des prêtres qui les évangélisèrent à coup de « gniole » et des soldats qui étaient chargés de tuer ceux qui ne voulaient pas se laisser convaincre.
Pour les civiliser ? Allons donc ! Uniquement parce que leur terre contenait à la surface ou en sous-sol de vastes richesses et que les capitalistes avaient besoin de ces richesses pour augmenter leurs fortunes. On est allé chez eux parce qu’on savait que la main-d’œuvre y serait presque gratuite. On leur a volé leurs terres, on les a dépouillé de tout.
Belle civilisation, en vérité !
L’Exposition Coloniale, au moment où dans chaque colonie le peuple manifeste son mécontentement et son désir de libération, au moment précis où la répression féroce et meurtrière, où il ne se passe pas un jour sans qu’un indigène ne soit assassiné, d’autres condamnés à mort ou au bagne pour avoir osé revendiquer leur liberté : cette exposition coloniale n’est en vérité, que l’apothéose de l’assassinat.
Nous exposerons, dans notre numéro spécial du 22 mai, les « bienfaits » de cette colonisation — et ceux qui auront lu cela ne pourront pas manquer de dire que c’est une honte pour l’humanité que l’Exposition Coloniale ait pu avoir lieu sans soulever la protestation véhémente de toute la partie saine de la classe ouvrière.
Le 6 mai, une foule énorme aurait dû se porter à l’entrée de l’Exposition — non pas pour applaudir et acclamer les officiels, mais pour manifester son dégoût et sa haine des assassins de ses frères des pays sur lesquels pèsent — de par la lâcheté du prolétariat blanc qui a non seulement toléré la colonisation, mais encore fourni des contingents pour l’assassinat des indigènes — la teneur et l’esclavage.
Car il faut non seulement crier notre haine de ceux qui nous oppriment, il faut affirmer notre solidarité avec ceux que les maîtres traitent comme du bétail et notre volonté d’aider de toutes nos forces à leur affranchissement.