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Algérie : la montée des périls

Entretien paru dans les Cahiers du féminisme, n° 59-60, hiver 1991-printemps 1992, p. 42-45


Comme en octobre 1988, à nouveau, la police et l’armée algériennes ont tiré sur de jeunes manifestants. Un mois à peine après son installation, le bilan du Haut comité d’État (HCE) est déjà d’au moins cinquante morts et près de trois cents blessés. Sanglant démenti apporté à tous ceux qui avaient vu, dans le coup d’État militaire du 11 janvier et dans l’annulation du processus électoral, après la victoire intégriste du premier tour des législatives, le seul moyen pour l’Algérie d’éviter la guerre civile.

Le Haut comité d’État vient de décréter, ce 9 février, l’état d’urgence dans tout le pays, pour une durée d’un an. Le ministre de l’Intérieur est désormais habilité à « ordonner l’internement de toute personne dont l’activité porte atteinte à l’ordre public ». Il peut aussi « restreindre ou interdire la circulation des personnes et des véhicules », « opérer des perquisitions de jour comme de nuit », « ordonner la fermeture provisoire de salles de spectacles et de lieux de réunion », « interdire toute manifestation de nature à troubler l’ordre et la tranquillité publiques ». Ce gouvernement que tant de démocrates algériens et tant de femmes avaient accueilli avec soulagement, voyant s’effacer grâce à lui la menace d’une république islamique, montre aujourd’hui son vrai visage. Comme son prédécesseur, son langage est celui de la répression. Pense-t-il résoudre ainsi la crise économique et sociale dont s’est nourrie, depuis trois ans, la montée spectaculaire du Front islamique du salut (FIS) ? Et qui peut dire si dans quelques semaines, dans quelques mois, ces mesures répressives ne se retourneront pas contre les partis démocratiques. contre le mouvement étudiant. contre le mouvement des femmes ?

Le HCE a, dans le même temps, prononcé la dissolution du FIS et procédé à de nombreuses arrestations dans ses rangs. Mais il ne suffit pas d’un décret pour dissoudre la misère sociale sur laquelle se développent les rancœurs, les frustrations et les désespérances d’une jeunesse sans avenir. abandonnée à la rue.

Tous les ingrédients d’une nouvelle explosion sont aujourd’hui réunis, sans qu’il soit nécessaire d’y voir la marque d’un « complot » intégriste.

Le 9 février 1992


Au lendemain du coup d’État de janvier, nous avions pu interviewer au téléphone Samira Fellah, militante du Parti socialiste des travailleurs (PST) et du mouvement des femmes.

Quelles ont été les réactions, notamment parmi les militantes des associations de femmes, à l’annonce de l’interruption du processus électoral et de l’instauration au pouvoir du Haut comité d’État (HCE) ?

Samira Fellah – L’annonce des résultats du premier tour des élections avait été, pour toute une partie de la population, un choc terrible. Un tremblement de terre. Notamment, bien sûr, pour les femmes des classes moyennes – celles qui travaillent, les universitaires, les cadres – qui sont les mieux à même de comprendre à quel point l’arrivée des intégristes au pouvoir représentait un danger pour leurs acquis, aussi maigres soient-ils. Il y a eu un véritable vent de panique. D’où le soulagement, dans ces milieux, à l’annonce de ce coup d’État qui faisait disparaître la perspective d’un second tour tant redouté. Même si ces femmes reconnaissent qu’il s’agit d’un coup d’État et que ce gouvernement n’est pas légitime, elles préfèrent, disent-elles, « les chars aux barbus » : la peur des intégristes est suffisante pour justifier le soutien au gouvernement actuel.

Pour notre part, au PST, nous disons : quelles garanties nous offre un pouvoir qui s’appuie sur les chars, qui annule le processus démocratique en cours ? La répression à l’égard du FIS est-elle une garantie que les libertés démocratiques seront préservées ? Aujourd’hui, on assiste à des arrestations arbitraires de militants intégristes : demain, le pouvoir peut procéder de la même façon vis-à-vis de tous ceux qui contestent sa légitimité !

Quand on s’est battu pour les droits démocratiques, comme l’ont fait les associations de femmes depuis plusieurs années, il me paraît très grave de se placer du côté des forces antidémocratiques. C’est une attitude qui compliquera la bataille des femmes demain, qui risque de la rendre encore plus difficile. Parce qu’une fois qu’on a appuyé la répression, fût-ce contre ses pires ennemis, comment peut-on se défendre ensuite contre une répression, une oppression au quotidien ? Une telle attitude, à mon avis, discrédite la notion de démocratie, aliène toute possibilité de se battre dans un mouvement indépendant pour des droits démocratiques.

Mais je me rends bien compte que ce discours n’accroche guère, autour de moi. Il reste principiel, parce que, malheureusement, il n’y a pas aujourd’hui de troisième voie, de perspective alternative crédible : la grande marche qui a eu lieu le 2 janvier, à l’appel du Front des forces socialistes (FFS), n’a pas eu de suite. Il aurait fallu, après le coup d’État, un appel à la mobilisation de tous ceux et celles qui se reconnaissent dans le mot d’ordre « Ni État intégriste, ni État Policier ». En l’absence d’une telle alternative, beaucoup de gens se disent qu’ils n’ont pas le choix, que s’ils sont anti-intégristes ils sont forcément du côté du HCE. Il faut rappeler à ces gens-là que, depuis l’indépendance, l’armée n’a jamais quitté le pouvoir et que c’est le FLN qui, après avoir tenu des discours sur la « révolution socialiste » et promis une place égalitaire pour les femmes, a produit un Code de la famille qui les minorise à vie. Je n’ai donc aucune garantie !

Certes, le discours que je tiens est actuellement très minoritaire. Mais les femmes qui soutiennent le nouveau gouvernement sont également minoritaires : la majorité des femmes, elle, reste dans l’expectative, ne se prononce pas. Comment veux-tu convaincre celles dont le souci numéro un est de régler les problèmes de la vie quotidienne – les problèmes de ravitaillement, de logements surpeuplés, le problème crucial de l’approvisionnement en eau dans les villes, etc. -, comment les convaincre que les intégristes sont dangereux pour elles et que le Haut comité d’État est une meilleure garantie ? On peut arrêter des gens, on petit dissoudre un parti, ou l’amener à s’auto-dissoudre. On ne peut malheureusement effacer de la conscience des Algériens le poids du FIS comme représentant populaire, et on ne peut l’effacer non plus de la tête des femmes.

Alger, janvier 1992

♦ Quelles sont les raisons de la victoire du FIS au premier tour ?

Samira Fellah – La victoire électorale du FIS est avant tout, on le sait, un vote-sanction à l’égard du FLN, la sanction de trente années de gestion catastrophique. C’est le vote de tous ceux que le libéralisme a désespérés, tous les démunis, les jeunes en particulier, qui se tournent vers le FIS parce que cela leur donne l’illusion d’une opposition radicale, puissante, efficace, capable de changer tout de suite les choses.

Il faut cependant ramener cette victoire à ses justes proportions. D’abord, en rappelant le très grand nombre d’abstentions : plus de cinq millions, soit 42 % des inscrits. Il faut dire que le paysage politique était très confus, avec parfois plus de quarante partis se présentant sur des programmes voisins, avec des sigles différents… : de quoi y perdre son latin ! Il y a donc eu une masse d’hésitants. En outre, la complexité des modalités de vote, dans un pays qui compte encore beaucoup d’analphabètes, explique sans doute le très grand nombre de bulletins nuls (plus de 10 % des votants). Au bout du compte, le FIS s’est retrouvé majoritaire avec seulement 3,2 millions de voix sur treize millions d’inscrits. Soit un million de moins, environ, que son score aux élections municipales de juin 1990.

Mais cette victoire a été amplifiée par le mode de scrutin, majoritaire à deux tours : un mode de scrutin totalement antidémocratique, qui pousse au vote utile et élimine les petits partis. On a ainsi calculé qu’avec des élections à la proportionnelle, sur la base des mêmes votes (encore que, dans ce cas, la pression du vote utile aurait été bien moindre), on aurait eu certes une assemblée à majorité FIS, mais dans laquelle les partis démocratiques auraient été présents – tandis que là, à part le FFS, ils ont tous été laminés.

Ces règles électorales antidémocratiques ont abouti à la victoire du FIS : cent quatre-vingt deux sièges sur quatre cent trente, contre vingt-cinq pour le FFS et quinze pour le FLN. De nombreuses voix ont alors demandé l’annulation de ces élections. Face à cela, le FIS a beau jeu de dénoncer ceux qui se prétendent « démocrates » mais ne veulent plus reconnaître les règles du jeu qu’ils ont eux-mêmes instaurées, dès lors que le résultat ne leur convient pas ! Même si elle a été entachée de fraudes, la victoire du FIS est indéniable, d’ailleurs elle correspond à une réalité militante que l’on peut observer dans les quartiers.

Cette victoire a pourtant, sur le moment, surpris beaucoup de monde : à quelques jours encore des élections, nombre d’observateurs disaient le FIS en perte de vitesse.

Samira Fellah – En effet, personne ne s’attendait vraiment à de tels résultats. Pour le pouvoir et le FLN comme pour les partis démocratiques et les associations de femmes, cela a été comme si le ciel leur tombait sur la tête ! Ici aussi, beaucoup de gens disaient que le FIS était divisé, affaibli, qu’il n’avait plus de direction. En fait, s’il avait effectivement connu une crise de direction, il l’avait surmontée entre-temps, et certaines maladresses du pouvoir – notamment la façon dont celui-ci a monté toute l’affaire de Guemar (1) – ont fait apparaître le FIS comme un martyrs et ont renforcé sa base sociale. Mais surtout, l’adoption par le gouvernement Ghozali, à l’automne, des plans du FMI (dévaluation du dinar, hausse des prix et baisse des revenus) a joué encore plus dans le sens d’un vote-sanction à l’égard du FLN et du pouvoir en place.

♦ Peu de temps avant ces élections, les associations de femmes avaient enfin obtenu gain de cause sur la question du vote des femmes ?

Samira Fellah – Oui. Jusque-là, la loi électorale autorisait « un électeur » à voter « pour son conjoint » sur simple présentation du livret de famille (article 54.2) : concrètement, elle autorisait un mari à voter pour son ou ses épouses. Depuis le printemps 1990 – année des élections municipales – , les associations de femmes ont mené campagne pour l’abrogation de cet article et d’un autre qui autorise trois procurations pour un même électeur (ce qui permet aux hommes d’utiliser les voix de leurs soeurs ou de leurs filles). En même temps nous appelions les femmes à exercer elles-mêmes leur droit de vote. Nous nous heurtions là-dessus à l’opposition résolue des intégriste, bien sûr, pour qui la place des femmes est en toutes circonstances au foyer, mais aussi à celle du FLN, qui n’a jamais fait le choix, face au projet rétrograde du FIS, de défendre un projet moderniste. En octobre 1991 encore, il s’est trouvé une très large majorité de députés, à l’Assemblée populaire nationale pour voter le maintien de cet article 54.2 (2).

Nous avons cependant fini par obtenir satisfaction : le 28 octobre, le Conseil constitutionnel a déclaré cet article inconstitutionnel. A l’annonce de cette décision, nous nous sommes félicitées de cette victoire du mouvement des femmes : depuis un an et demi, nous avions multiplié les rassemblements, les délégations auprès des partis et de l’APN. En octobre encore, nous avions organisé un sit-in devant l’APN. Mais, à mon avis, cela ne suffit pas pour expliquer cette victoire, d’autant qu’elle est intervenue à un moment où les mobilisations étaient beaucoup plus faibles qu’auparavant.

En fait, c’est le Premier ministre Ghozali qui a saisi le Conseil constitutionnel, après le refus des députés du FLN d’abroger cet article. Cette démarche s’inscrit dans le cadre de la guerre qu’il a engagée contre le FIS : éviter le plus possible que les intégristes puissent utiliser les voix des femmes comme ils l’avaient fait lors des municipales de juin 1990.

La nouvelle loi une fois adoptée, y a-t-il eu des campagnes spécifiques en direction des femmes pour les inciter à voter ?

Samira Fellah – Pour ce qui est des associations de femmes, nous avons continué notre campagne pour le vote effectif des femmes. Quinze jours avant le premier tour, nous avons ainsi organisé, à Alger, un meeting qui a rassemblé plus de quatre mille femmes. Partout où nous étions présentes, nous avons appelé au vote massif des femmes. Sans donner de consigne de vote plus précise : nous avions décidé que notre campagne devait s’arrêter à appeler les femmes à exercer un droit politique chèrement défendu. Mais nous répétions en permanence que les femmes se devaient de défendre leurs droits – droit à l’instruction, droit au travail – et nous avions adopté le mot d’ordre : « Pas une voix de femme pour les ennemis des droits des femmes ! »

L’autre fait important à noter, c’est que les islamistes ont été forcés d’appeler, eux aussi, au vote massif des femmes, en expliquant que, même si c’était contraire aux préceptes de l’Islam, la situation exceptionnelle exigeait que les femmes pèsent de tout leur poids pour faire passer le projet islamiste en Algérie. Cela pourrait sembler contradictoire, mais je pense qu’il s’agit là aussi, d’une certaine façon, d’une victoire du mouvement des femmes : avoir amené, même indirectement, même de façon instrumentalisée, les intégristes à reconnaître que les voix des femmes ont un poids réel. C’est une victoire démocratique.

Ces campagnes pour le vote effectif des femmes ont-elles eu de l’effet ?

Samira Fellah – Beaucoup de femmes ont voté le 26 décembre, beaucoup plus que d’habitude. Cela a été noté dans toutes les villes, et également dans l’intérieur du pays. Mais ce sont surtout les intégristes qui ont mobilisé « leurs » femmes : ils ont mené une réelle campagne électorale, expliquant aux analphabètes – parmi lesquels les femmes sont nombreuses – comment mettre, sur le bulletin de vote, la croix qu’il fallait dans le carré qu’il fallait. Les femmes islamistes ont, elles aussi, organisé un meeting pour appeler les femmes à voter. En fait, les intégristes étaient les seuls à avoir les forces militantes nécessaires pour encadrer réellement le vote des femmes et des analphabètes. Le mouvement des femmes n’est pas suffisamment ancré dans les quartiers pour pouvoir jouer ce rôle-là, et les partis démocratiques n’avaient pas non plus de tels moyens. Le FLN, quant à lui, a été complètement défaillant.

Les associations de femmes ont-elles présenté des candidates ?

Samira Fellah – Quelques-unes, mais très peu. L’Association pour l’émancipation de la femme (AEF) en a ainsi présenté une, à Alger : elle se présentait sur un programme spécifique « femmes », mis au point par la coordination des associations en juin. L’AEF a animé, à l’occasion de cette candidature, des tables d’information dans différents quartiers populaires, et a rencontré en général beaucoup de sympathie. Mais cela ne s’est pas retrouvé dans les votes : cette copine a eu très peu de voix. Le vote « utile » a certainement beaucoup joué.

Manifestation pour la défense de la démocratie, le 2 janvier 1992

• Comment les associations ont-elles réagi à l’annonce de la victoire du FIS ?

Samira Fellah – Cela a d’abord été le choc, comme je l’ai dit tout à l’heure. Et la panique. C’est ce qui explique que les femmes étaient très présentes dans la grande marche du FFS pour la défense de la démocratie. Nombreuses, et dynamiques.

Ensuite, les réactions ont été assez contradictoires. Chez les femmes qui se situent dans la mouvance du PAGS (le parti communiste algérien), la panique était telle qu’elles sont allées jusqu’à remettre en cause le bien-fondé de la bataille pour le droit de vote des femmes : en effet, ont expliqué certaines d’entre elles, seuls les intégristes sont capables de s’emparer du vote des femmes.

• Comme les socialistes français qui, autrefois, s’opposaient au droit de vote des femmes parce que, disaient-ils, elles allaient « voter pour les curés » !

Samira Fellah – Oui. Et l’on constate en effet que les femmes ont plus voté FIS, pour les raisons que j’ai dites tout à l’heure. Mais nous (les militantes du PST et d’autres militantes du mouvement des femmes), nous continuons à défendre les principes démocratiques. Nous disons qu’en tant que femmes, on ne peut que se féliciter que la procuration automatique ait disparu et que les femmes aient voté, même si elles ont voté pour le FIS. De toute façon, il était absolument illusoire de s’attendre à un vote moderniste des femmes, quand la société ne l’est pas. La bataille pour les droits démocratiques, les droits politiques des femmes, n’a jamais touché qu’une élite, les femmes des couches moyennes. Elle n’a jamais emporté l’adhésion des femmes des couches populaires, sauf, un peu, à des moments très particuliers, lors des campagnes de terreur des intégristes contre les femmes, par exemple. Nous n’avons jamais eu d’illusion là-dessus. Il est évident que la société n’est pas du tout conquise aux idées de la modernité : il était impossible que le vote des femmes soit en contradiction totale avec celui du reste de la société.

Les associations de femmes avaient-elles pris position pour le second tour, avant que le coup d’État n’interrompe tout le processus ?

Samira Fellah – L’Association pour la défense et la promotion des droits de la femme, proche du PAGS, et l’Association indépendante pour le triomphe des droits des femmes ont toutes deux rejoint le Comité pour la sauvegarde de l’Algérie : c’est un comité qui a été mis en place, au lendemain du premier tour, par la centrale syndicale UGTA et diverses organisations patronales, et qui appelait à l’annulation des élections. A Constantine également, une réunion d’une centaine de femmes s’est tenue récemment et a décidé de rejoindre ce comité. A Alger, elles ont organisé, le jeudi 9 janvier, un rassemblement de femmes pour demander l’annulation du premier tour.

La Coordination nationale des femmes, qui regroupe diverses associations, comme l’AEF, les Femmes moudjahidates, des associations de type professionnel (l’association des sage-femmes, ou celle des sportives, etc.), a, de son côté, appelé les femmes à se remobiliser autour du slogan « Pas une voix de femme pour les ennemis des droits des femmes », en appelant encore une fois les femmes à voter massivement et en rappelant quels sont ces droits que nous devons défendre aujourd’hui. Nous avions prévu à nouveau un meeting, ainsi qu’une conférence de presse. Nous ne donnions toujours pas de consigne de vote plus précise, sauf dans un cas, à Alger, où une candidate du FFS était en ballotage avec le FIS (nous avions décidé le soutien inconditionnel aux candidatures de femmes).

Nous expliquions que l’important était, d’abord, de faire barrage au vent de panique, à la peur, de ne pas céder au désespoir. Et d’organiser une résistance des femmes, pour défendre les quelques libertés que nous avons conquises conquises jusque-là : aucun gouvernement, quel qu’il soit, ne pourra nous arracher ces libertés si nous nous mobilisons réellement. Les appels téléphoniques comme les réactions des femmes dans la rue, ou les discussions sur les lieux de travail, prouvaient que beaucoup de femmes étaient prêtes à agir.

Mais il faut reconnaître également qu’il n’est pas facile de trouver des formes concrètes de résistance, surtout quand on a si peu de moyens, ni locaux, ni moyens financiers…

Et maintenant, où en êtes-vous ?

Samira Fellah – Aujourd’hui, si l’on veut défendre l’avenir, il faut en premier lieu préserver un discours démocratique. Le soutien au coup d’État discrédite complètement celles et ceux qui se disent « démocrates » et ne prépare pas les femmes à la nécessité de continuer à résister. Ces pseudo-démocrates ferment toutes les portes de l’espoir en agissant ainsi. Personnellement, je fais partie des femmes qui affirment : « Nous devons continuer notre combat en toute indépendance, lutter contre la violence d’où qu’elle vienne. »

Quelle solidarité pouvons-nous vous apporter ?

Samira Fellah – C’est un point très important pour nous, mais en même temps nous devons être très prudentes. Nous ne tenons pas à une aide directe, qui risquerait de renforcer encore l’accusation qui nous est faite d’être « le parti de la France ». La bataille pour les droits des femmes algériennes doit se passer ici, elle est liée aux capacités de mobilisation, aux sursauts de mobilisation, des femmes et des démocrates, c’est évident.

Propos recueillis le 26 janvier 1992 par Anne-Marie Granger et Marie-Annick Vigan


1. Début décembre, l’armée avait anéanti un commando islamiste responsable d’une attaque contre le poste frontalier de Guemar. Selon le FIS, il s’agissait d’une affaire montée par le pouvoir pour discréditer les intégristes à la veille des élections.

2. Le 13 octobre 1991, par 229 voix pour, 7 contre et 16 abstentions, l’Assemblée populaire nationale (dominée par l’ancien parti unique FLN) s’est prononcée pour continuer à autoriser les maris à voter pour leur(s) femme(s) sur simple présentation du livret de famille. A une délégation de femmes venue rappeler aux députés le principe d’égalité entre hommes et femmes inscrit dans la Constitution algérienne, l’un d’eux répondit que les députés militent pour « la paix des couples » et se « refusent à semer la discorde entre conjoints »… (cf le Monde des 5 et 15 octobre 1991).

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