Articles parus dans Tribune ouvrière, n° 81, janvier 1962, p. 1-2
Depuis deux mois les mots d’ordre contre la guerre d’Algérie se sont transformés en mot d’ordre anti-O.A.S. – C’est au P.C. que revient une fois de plus l’honneur d’avoir réussi à détourner l’opposition contre le guerre et pour l’INDEPENDANCE DE l’ALGERIE en une action contre l’O.A.S. dans laquelle il se retrouve d’accord avec tous nos bons « démocrates » de Guy Mollet à l’U.N.R.
En effet tout le mois de Novembre a été marqué par des manifestations des jeunes aux cris de « A BAS LA GUERRE » et « INDEPENDANCE ALGERIENNE ». Après la courageuse manifestation des Algériens en Octobre, celles des jeunes en Novembre venaient s’opposer au gouvernement. Par contre les manifestations du mois de décembre et de janvier ont pour but de rassembler le plus de monde possible pour demander au gouvernement de prendre des mesures contre l’O.A.S., mais à la fin du compte le véritable but est le soutien du gouvernement « contre le fascisme ». Aujourd’hui le P.C. prétend que l’O.A.S. c’est le fascisme et que celle-ci veut instaurer ce régime en France. Or le P.C. a toujours pactisé avec le fascisme QUAND CELA SERVAIT SES INTÉRÊTS : en 1932 en Allemagne ; en 1939 par le Pacte Mototov-Ribbentrop pour le partage de la Pologne ; en 1954 par la lutte contre la C.E.D. avec Soustelle. Mais le plus grotesque est la façon qu’a le P.C. de baptiser n’importe quoi de fasciste. – Des ouvriers sont en désaccord avec lui ? C’est des fascistes. Tito n’accepte pas la dictature de Staline ? C’est un fasciste. Le 28 Mai 1958 aux cris du « Fascisme ne passera pas » nous avons marché de la Nation à la République : il s’agissait alors de la prise du pouvoir par de Gaulle. Et aujourd’hui pour défendre ce même gouvernement gaulliste on crie de plus belle « le Fascisme ne passera pas ». Si la plupart des travailleurs se désintéressent actuellement de la lutte « anti-fasciste » c’est parce qu’ils n’y comprennent plus rien : c’est parce que l’antifascisme est une fumisterie.
DE QUOI S’AGIT-IL EXACTEMENT ? Il s’agit qu’en Algérie une race d’exploiteurs et privilégiés du haut en bas de l’échelon social n’acceptent pas la défaite que leur impose le peuple algérien. Il s’agit que les « blancs » grands ou petits ne veulent pas perdre les privilèges de domination et d’exploitation des masses musulmanes. Il s’agit que ces mêmes « blancs » avec l’armée et la police ont fait le putsch du 13 mai 58 et ont mis au pouvoir à Paris un M. Charles de Gaulle ; que celui-ci, qui n’est pas plus bête que les autres, savait très bien que l’Algérie « Eh bien, il faut lui donner son indépendance politique pour continuer son exploitation économique » et alors lui qui devait faire la « paix » en cent jours … voilà bientôt 4 ans qu’il tourne en rond… Et ses propres amis, supporters, flicaille, profiteurs de l’armée et de l’administration, tous ces bons patriotes, ces bons français, s’étonnent… Une partie de ce « beau monde » derrière de Gaulle dit : « Ne vous en faites pas, c’est Charlot le plus malin, il va nous garder pas mal de choses en Algérie… », l’autre partie dit : « Charlot nous a trahi. Nous, nous voulons tout garder en Algérie, si nous commençons à céder les Algériens vont nous éliminer totalement ». Et Charles de Gaulle de toute sa grandeur dit :
« Amusez-vous mes enfants, ne vous battez pas trop, ne vous donnez pas trop de coups défendus car vous m’êtes tous utiles : vous, mes enfants « démocrates » vous m’aidez à me présenter à l’O.N.U. comme l’homme de l’auto-détermination ; vous, mes enfants de l’O.A.S., nous nous comprenons : Je suis soldat, la France c’est l’armée, la police ; vous m’êtes utiles avec votre plastic et vos attentats, je peux ainsi dire au F.L.N. (avec lequel je suis obligé de faire du cinéma) qu’il nous accorde un statut privilégié à nous autres « Français d’Algérie ». Il faut que nous puissions continuer à remplir nos coffres avec le pétrole du Sahara ; il faut que l’armée française défende l’Occident à Mers-el-Kébir ».
Et l’O.A.S. exécute le chantage de de Gaulle à la partition (déjà dans les villes d’Alger, d’Oran et de Bône les Algériens sont éliminés). De Gaulle joue les plus malins et veut tremper tout le monde. Pendant ce temps les crimes se perpétuent et ce sont surtout les gens sans défense qui se font saigner, en premier lieu les Algériens torturés, massacrés, déportés et ensuite tout ceux qui meurent par la rage criminelle de la police (le 17 octobre 1961 c’est bien la police gaulliste qui a tué, pendu, noyé des Algériens) et l’armée.
Après tout cela l’O.A.S. peut assassiner, plastiquer en toute liberté car ils se savent impunis ; ils sont partie intégrante de ce qu’on appelle « le beau monde », et de l’armée française. Les gens de l’O.A.S. sont connus du pouvoir gaulliste. Ils collaborent ensemble au maintien en Algérie de la « civilisation française ». Non l’O.A.S. n’est pas le fascisme car la bourgeoisie française n’a pas besoin de fascisme actuellement, elle est capable de nous exploiter sans fascisme. Et le seul moyen de battre l’O.A.S. c’est d’imposer à de Gaulle LE RETOUR DU CONTINGENT et l’INDEPENDANCE ALGERIENNE.
VOICI LES RAISONS POUR LESQUELLES IL FALLAIT MANIFESTER LE 19 DÉCEMBRE
1°) C’est la première fois depuis le début de la guerre en Algérie que les organisations politiques et syndicales ont appelé à une manifestation centrale dans Paris. Pendant 7 ans nous n’avons cessé de le répéter, c’est dans la rue tous ensemble que les ouvriers doivent lutter pour que la guerre s’arrête. Pendant 7 ans les organisations politiques et syndicales se sont refusées à toute manifestation centrale, si elles ont accepté le 19 Décembre c’est qu’il y avait eu la manifestation algérienne du 17 Octobre et une pression des jeunes militants des partis de gauche.
2°) L’objectif de cette manifestation était confus. On ne savait pas si on manifestait pour soutenir le gouvernement contre l’O.A.S. ou si on manifestait contre le gouvernement et l’O.A.S. à la fois. Les organisateurs de la manifestation avaient exclu tout mot d’ordre anti-gaulliste. Et les journaux se sont emparés de cette manifestation pour essayer de montrer que c’était une manifestation de soutien au gouvernement.
Mais ce n’est pas parce que les organisateurs des manifestations veulent maintenir la confusion la plus totale sur les objectifs que nous devions rester chez nous et nous draper dans notre dignité. Il fallait sortir de la confusion et crier notre refus à la guerre d’Algérie et tenter de déborder les slogans mi-figue mi-raisin de « O.A.S. assassin ». LE GOUVERNEMENT QUI CONTRIBUE A LA CONTINUATION DE LA GUERRE EST AUSSI ASSASSIN QUE l’O.A.S
Il fallait s’opposer au service d’ordre de la police et des responsables de la manifestation dont le seul slogan était « Pas de provocation ». Il fallait ne pas accepter les directives des organisateurs et répondre aux coups de matraques par des coups de gourdins. Certains manifestants l’ont fait : ils ont attaqué, à Réaumur par exemple, et ils se sont battus. Il fallait être dans le coup au lieu de dire « ce n’est pas la bonne manifestation ».
LA BONNE MANIFESTATION NE SORTIRA PAS DE LA POLITIQUE DU P.C. ou de la S.F.I.O., elle sortira de la volonté des militants combatifs et ces militants combatifs étaient dans la rue le 19. Ceux qui sont restés chez eux étaient avec ceux qui avaient peur.