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Michel Pablo : Pour l’Algérie combattante et martyre

Article de Michel Pablo paru dans La Vérité des travailleurs, n° 122, janvier 1962, p. 15-16


Je viens de terminer un voyage de plusieurs jours dans la région frontalière du Maroc oriental et de l’Algérie, en compagnie du député travailliste John Baird et de plusieurs dirigeants algériens civils et militaires.

Nous nous sommes approchés parfois à quelque 500 mètres seulement de la ligne frontalière et du fameux barrage électrifié érigé par les Français sur des centaines de kilomètres, apercevant distinctement les postes militaires, les ouvrages fortifiés, les phares qui balayent la nuit toute une zone sur laquelle campe et opère l’A.L.N. l’armée héroïque des combattants algériens.

Nous avons vu les avions français surveiller la région, et nous avons, des nuits durant, entendu le duel d’artillerie, qui réveille si souvent les habitants de la petite ville frontalière de Oujda et des villages avoisinants, ainsi que les milliers de réfugiés algériens qui campent dans des tentes misérables, par un froid intense à cette époque de l’année. tout le long de la ligne frontalière.

Chaque nuit, l’A.L.N. déclenche des opérations audacieuses de sabotage du barrage, de diversion, d’infiltration en Algérie et, une fois par semaine, une opération générale sur un front de 300 kilomètres.

L’A.L.N. envoie, grâce à ces opérations, des contingents d’hommes jusqu’à 140. qui, une fois pénétrés en Algérie, se décomposent en petits groupes de 11 à 24 éléments avec mission spéciale chacun et téléguidage constant pour rejoindre les unités combattantes de l’intérieur.

A ces unités, ils apportent à la fois de l’armement, de la nourriture et de l’argent.

Nous avons visité les écoles et les campements où se forment ces combattants intrépides, ainsi que les vastes installations qui fournissent vêtements, nourriture, assistance médicale, etc. à l’armée.

Car l’A.L.N. est maintenant une organisation moderne qui possède ses académies et écoles d’instruction militaire et politique, ses usines, ses hôpitaux, et qui dispose d’un armement considérable et varié.

Mais l’A.L.N. est également une armée révolutionnaire dont l’emblème, inscrit partout, est : L’indépendance n’est qu’une étape, ainsi que la lutte purement militaire ; la Révolution est le but.

Cette armée révolutionnaire indissolublement soudée au peuple, aux paysans et ouvriers de l’Algérie, est constamment éclairée sur le sens historique et social de sa lutte et ses perspectives par des instructeurs politiques, des commissaires politiques, qui ont un avis décisif y compris pour les opérations strictement militaires.

Ces instructeurs politiques constituent l’avant-garde intellectuelle et politique de la Révolution, qui l’oriente consciemment vers une solution socialiste démocratique.

Cette solution sera grandement facilitée si le mouvement ouvrier français et européen se montre capable d’éviter la victoire du fascisme menaçant en France et apporte une aide efficace à la Révolution algérienne, afin de hâter le jour de l’indépendance et d’épauler techniquement et financièrement- l’œuvre immense de la reconstruction du pays, détruit par sept ans ans guerre coloniale atroce.

Le moral des combattants algériens est très haut, ainsi que des masses algériennes de l’intérieur qui, depuis plus particulièrement un an déjà, ont retrouvé l’élan du début de la Révolution.

Tous sont persuadés que l’heure de la victoire approche et que les négociations secrètes en cours aboutiront bientôt.

A tel point que l’annonce de la reprise officielle des négociations doit être interprétée comme signifiant qu’un accord de base est déjà intervenu et que la conclusion heureuse des négociations est assurée.

Pendant deux ans déjà, le F.L.N. et l’A.L.N. consciemment ont misé sur la tactique combinée de la lutte militaire et diplomatique pour obtenir l’indépendance, évitant de faire intervenir d’autres forces humaines et matérielles immenses qui sont à leur disposition.

Ceci afin qu’ils gardent le contrôle politique sur leur Révolution et évitent des destructions nouvelles et plus graves.

Mais un délai a été accordé à cette expérience et qui touche maintenant à sa fin. De Gaulle et les Français le savent bien.

Si cette fois encore les négociations échouent, la Révolution algérienne se verra dans la nécessité de faire intervenir les forces en réserve, internationaliser la guerre. acquérir aussi bien en Tunisie qu’au Maroc, bon gré malgré, l’espace nécessaire qui lui permettre d’utiliser son armement moderne immense et détruire les barrages de l’ennemi.

On s’acheminera fatalement vers l’issue purement militaire du conflit, vers la solution Dien-Bien-Phu de la guerre.

Le peuple et même les gouvernants marocains sont acquis à cette perspective.

Les semaines prochaines seront, de ce point de vue décisives.

Nous avons trouvé partout les combattants de la Révolution algérienne, civils, militaires, hommes et femmes, vivant dans une grande attente, à la fois confiants en l’issue heureuse des négociations en cours, mais aussi fermement décidés de changer brusquement et avec toute l’énergie nécessaire de tactique et jeter sur la balance tout le poids des forces en réserve de la Révolution.

SOLIDARITE !

Grâce à l’aide reçue des pays arabes, des États ouvriers et de quelques organisations européennes, en particulier de la Suède, Hollande, Suisse, Angleterre, Italie, et même de France, les Algériens ont pu scolariser un grand nombre d’enfants, garçons et filles, soit orphelins de guerre, soit enfants de réfugiés.

Des instituteurs et institutrices admirables, algériens et européens, se consacrent avec un dévouement qui touche au véritable apostolat à l’éducation de ces enfants, d’une gravité et gentillesse toutes particulières, uniques, souvent dans des conditions encore fort pénibles.

Malgré l’effort parfois colossal fourni aussi bien par les services sociaux du F.L.N. que par ces éducateurs, les enfants ne disposent pas de tout le matériel pour leurs études (livres, cahiers, crayons, machines et instruments nécessaires pour l’éducation technique, etc.) et dans quelques cas mêmes de vêtements adéquats.

Particulièrement pénibles sont les conditions des enfants scolarisés dans les régions frontalières. Des garçons et des filles de six à douze ans sont obliges de parcourir à pied, en plein hiver, matin et soir, des distances de quatre à sept kilomètres et parfois même davantage pour atteindre l’école, inadéquatement vêtus et nourris pour un tel effort.

La plupart d’entre eux vivent avec leurs parents réfugiés depuis plusieurs années déjà sous des tentes de fortune, battues, pénétrées par la pluie et les vents, dans un dénuement vestimentaire et alimentaire extrêmes.

Quelle déchéance pour l’homme blanc, soi-disant civilisé et chrétien de l’Europe ! Quel défi lancé à l’adresse du mouvement prolétarien et socialiste européen !

On imagine difficilement dans l’Europe d’aujourd’hui les conditions dans lesquelles vivent des milliers d’êtres humains sur cette terre d’Afrique, hommes, femmes, enfants. vieillards, victimes d’une guerre coloniale bestiale.

Il nous semble d’un devoir élémentaire, en dehors de toute sentimentalité de commande, de dire avec force à nos frères prolétaires d’Europe et à tous les hommes et femmes libres qui se soucient de la liberté et de la dignité de l’homme, qu’il est urgent, nécessaire, d’activer l’aide massive — ne fusse que sur ce plan humanitaire — à la Révolution algérienne en collectant argent, médicaments de toute sorte, vêtements, lait en poudre, et les envoyer directement soit à l’adresse des syndicats algériens à Rabat :

U.G.T.A., 30. av. Témara, Rabat, Maroc, soit à M. Louis Vandevelde, immeuble Ariès, rue Général-Laperrine (pour tout envoi d’argent en particulier), Rabat (Agdal), C.C.P. Rabat 157-83.

Michel PABLO.

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