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Auguste Lecoeur : Pas de solution durable en Algérie sans « table ronde »

Article d’Auguste Lecoeur paru dans La Nation socialiste, n° 52, février 1962, p. 3-4

Les informations concernant les progrès réalisés par les pourparlers France – F.L.N., en vue d’un cessez le feu, se font plus nombreuses et plus précises.

Avec espoir, nous attendons l’heure où sera annoncée la fin des combats. A défaut de pouvoir s’y opposer, l’OAS et ses complices cherchent les moyens de retarder l’heure de la paix par le terrorisme d’une part et d’autre part en créant une situation d’impossible entente entre les deux communautés.

A partir du moment où les combats auront cessé, le plus difficile commencera tant pour les Algériens nationalistes ou non que pour les Français. Ce sera en effet le moment d’entreprendre le travail constructif.

Aujourd’hui, chacun préconise ses solutions. Il les préconise selon ses intérêts propres ou selon ses idées politiques ou celles de son parti.

L’Algérie indépendante et la France

A la « Nation Socialiste », nous avons toujours été ouvertement et fermement partisans de l’indépendance de l’Algérie. Comme nous n’étions ni des porte-serviettes du F.L.N. ni les porte-parole du Caire de Tunis ou de Rabat, nous préconisions l’indépendance de l’Algérie en tant que Français et en tant que démocrates. En tant que Français, nous sommes convaincus que cette indépendance ne peut être réelle qu’à la condition qu’elle soit garantie par l’association franco-algérienne.

En tant que démocrates, nous ne pouvons croire à cette indépendance qu’à la condition que le destin de l’Algérie soit décidé par les Algériens eux-mentes, et que les discussions soient engagées avec toutes les tendances politiques, ethniques et religieuses du peuple algérien.

La table ronde, sans préalable ni exclusive, est la condition d’une solution durable en Algérie.

Que les agents de Nasser ou de Khrouchtchev, que leurs représentants en France, qu’ils soient en PCF ou au PSU, qu’ils soient de cette petite gauche intellectuelle, des sacristies ou du Faubourg St-Germain, et qui ne veulent entendre parler que d’une seule tendance, à qui ils veulent voir confier le soin de diriger dictatorialement l’Algérie contre la France, ses amis et ses alliés, voilà qui ne surprend pas.

Leur attitude n’est pas particulière à l’Algérie, ils entrent en transes devant tout ce qui est conforme aux intérêts fondamentaux de leur pays. Pour qu’ils aient raison, pour que leurs idées ou leur parti triomphent il faut que leur travail de dénigrement et de démolition réussisse, il faut que la France soit faible, sans amis et condamnée de toutes parts.

Quoi qu’il en soit de ces attardés, les esprits évolueront vite. Prenons deux exemples d’aspect différent et si l’on veut à l’opposé de l’échiquier politique.

C’est d’abord, le Maréchal Juin, dont la position équivoque créait un malaise certain, qui vient d’affirmer son accord avec une solution d’association entre la France et l’Algérie Du même coup, ce maréchal condamne les « violences » de l’OAS.

L’autre exemple, nous le trouvons dans le journal « Le Monde » qui dans sort numéro du 31 janvier 62 écrit : « L’Algérie nouvelle doit se bâtir avec les représentants des différentes tendances ».

« Enfin ! » pouvons-nous dire. Il est vrai que le Maréchal Juin n’est pas le porte-parole de l’OAS, il est vrai également que « Le Monde » n’est pas le porte-parole de la petite gauche ; il n’en reste pas moins qu’il s’agit là d’un indice montrant que l’esprit de responsabilité, devant l’œuvre immense qu’il faut accomplir, commence à dominer l’esprit partisan.

Balayons devant notre porte

Nous devons aussi balayer devant notre propre porte. Dans son « point de vue » Martial pose nettement la question en ce qui concerne certains, qui, pour le plus grand dommage de la S.F.I.O. sont encore membres du Parti socialiste.

Que l’on noue comprenne bien. Le parti socialiste est un parti démocratique. Toutes les opinions peuvent librement s’exprimer au sein des organismes réguliers ! Celui qui dans le parti, croit sincèrement, que la solution la plus conforme aux intérêts des Algériens musulmans et des Algériens de souche européenne, c’est l’Algérie française, celui-là a le droit de le dire dans sa section, sa fédération et aux congrès du Parti. Celui-là a le droit de vouloir faire triompher son point de vue et le droit de le conserver s’il ne triomphe pas. Mais à partir du moment où les instances supérieures ont décidé démocratiquement la politique du parti, c’est cette politique qu’à l’extérieur du parti — je dis bien à l’extérieur — tout le monde doit défendre. Si celui-là n’a pas l’esprit de parti suffisamment fort pour défendre à l’extérieur une politique que malgré tout il n’approuve pas, il lui reste encore deux solutions : se taire ou s’en aller.

Sinon, le parti n’est pas quitte. Lorsque celui-là ne veut ni se taire, ni s’en aller, qu’il organise avec des étrangers, des adversaires et des ennemis de son parti une coalition contre la politique que le congrès a fait triompher, l’exclusion s’impose.

Les droits des minorités

Poursuivons. La question de la Table Ronde, bien qu’admise généralement, n’est pas encore défendue avec l’insistance nécessaire. Ce n’est pourtant pas faute d’en souligner la nécessité.

Devant les élus municipaux et cantonaux rassemblés à Puteaux, Guy Mollet déclarait récemment :

« En Algérie, il faut « assurer à la majorité la possibilité de faire la loi » et assurer aussi l’autodétermination : « impossible de sortir du problème algérien s’il n’y a pas de négociation avec ceux qui se battent. » Les minorités doivent voir reconnu et garanti leur droit à la liberté de penser, à la liberté d’association, etc. »

Tout le problème se trouve ainsi posé. Rien ne sera réglé d’une façon durable si l’on ne passe pas par les voies que trace le secrétaire général de la SFIO.

C’est cette position que sur le fond « La Nation Socialiste » défend depuis sa fondation, c’est-à-dire depuis sept années déjà.

Bien souvent, l’on nous a dit et écrit : « Vous défendez le M.N.A. ; que représente-t-il ? »

Nous avons toujours répondu : « Même s’il ne représentait que la centième partie de ce qu’il est exactement, notre position ne changerait pas ». Ce que nous défendons, c’est le droits des minorités à être reconnues, c’est le droit pour tous à la liberté de penser, d’agir et de s’associer.

Permettre demain en Algérie la dictature d’une seule fraction, nationaliste ou non, ce serait l’anarchie la plus grande, la porte ouverte aux règlements de compte les plus affreux, ce serait la continuation de la guerre.

L’Algérie de demain

Il faut trouver une solution où la paix sera suivie de la concorde sociale. Pour cela, il n’y a pas de miracles possibles, il y a la démocratie. C’est possible en Algérie et c’est une chance.

Voilà pourquoi le destin de l’Algérie doit se discuter autour d’une table ronde composée sans préalable ni exclusive. Si les sympathisants de « La Nation Socialiste » vont plus particulièrement à l’organisation nationaliste du M.N.A., ce n’est pas seulement parce que c’est l’organisation des prolétaires Algériens, c’est aussi et surtout, parce que ce sont les promoteurs de l’idée de la Table Ronde et des propositions les plus constructives pour l’Algérie de demain.

A. L.

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