Déclaration du Parti communiste internationaliste parue dans La Vérité des travailleurs, n° 124, mars 1962, p. 15-16
L’indépendance de l’Algérie est une victoire du prolétariat mondial
Les accords entre le gouvernement français et le gouvernement provisoire de la République Algérienne ont été signés. Ils impliquent, à échéance relativement proche, l’établissement de l’Algérie en République indépendante.
Le Parti Communiste Internationaliste (section française de la IVe Internationale) salue en cette indépendance une importante victoire du peuple algérien sur l’impérialisme français. Cette victoire a été acquise avant tout par les efforts déployés par le peuple algérien, par son Armée de Libération Nationale, et par les dizaines de milliers de militants du F.L.N. et les immenses sacrifices qu’ils ont faits au cours d’une lutte qui a duré plus de sept ans. Le Parti Communiste Internationaliste (section française de la IVe Internationale) salue la mémoire des combattants algériens tombés dans la lutte antiimpérialiste pour l’indépendance de leur pays. La victoire du peuple algérien est une victoire des masses coloniales du monde entier et une victoire des travailleurs de France et des autres puissances capitalistes.
UNE PAIX DE COMPROMIS
Les accords signés constituent cependant une paix de compromis, encore pleine d’aléas pour le peuple algérien. S’il en est ainsi, c’est parce qu’il n’a pas reçu l’aide qu’il aurait dû recevoir de l’extérieur, avant tout parce qu’il n’a pas reçu de la part du prolétariat français — qui aurait dû être son allié naturel contre le capitalisme français — un appui même modeste. Il en fut ainsi parce que les grandes directions du mouvement ouvrier français ont marqué ces années de guerre d’Algérie par leur carence ou leur trahison. La direction du Parti socialiste de Guy Mollet a amplifié la guerre en 1956, a fourni des Lacoste et des Lejeune, porté de Gaulle au pouvoir en 1958. La direction du PCF n’a pas reconnu une Révolution dans la lutte du peuple Algérien ; elle a, pendant plusieurs années, nié que l’Algérie était une nation, mais seulement une « nation en formation » ; elle a voté les « pouvoirs spéciaux » à Guy Mollet en 1958 qui ont permis la mobilisation de centaines de milliers de jeunes du contingent pour la guerre d’Algérie ; elle a dénoncé les Français qui aidaient la Révolution algérienne elle n’a jamais tenté d’organiser des manifestations ou des grèves pour empêcher le transport d’hommes et de munitions pour l’Algérie. Ce n’est que dans la dernière période, alors que la victoire des Algériens ne faisait plus de doute qu’elle a adopté verbalement une position favorable à la lutte du peuple algérien.
L’aide au peuple algérien n’est venue en France que de petites formations d’avant-garde (1). d’intellectuels et d’étudiants, qui ont compris que cette lutte du peuple algérien pour sa libération nationale était en même temps une lutte pour son émancipation sociale, c’est-à-dire une partie de la lutte mondiale pour le socialisme, et qu’il était mensonger de parler de « légitimes intérêts français » en Algérie à défendre : les seuls « intérêts français » en Algérie étaient et sont des intérêts capitalistes, et le seul intérêt des travailleurs français se trouvait dans la victoire du peuple algérien.
PLUS QUE JAMAIS, AIDER LA REVOLUTION ALGERIENNE !
Paix de compromis, pleine d’aléas, où la victoire du peuple algérien sera encore longtemps menacée, pas seule. ment par l’O.A.S. et ses procédés de gangsters, mais aussi par d’innombrables manœuvres des agents du capitalisme et du gouvernement français, comme ils le font dans bien d’autres ex-colonies françaises d’Afrique. La Révolution algérienne a remporté une grande victoire, mats la bataille se poursuivra sous d’autres formes : et c’est pourquoi les efforts pour aider la Révolution algérienne sont loin de devenir superflus et il importe que le mouvement ouvrier français manifeste, plus fortement que par le passé, une solidarité réelle envers le peuple algérien.
Libération immédiate de tous les Algériens emprisonnés et détenus ! Halte à la répression qui se poursuit ! Légalité complète pour les organisations algériennes qui ont été officiellement dissoutes pendant la guerre !
Libération aussi des Français qui ont été condamnés pour avoir aidé la lutte du peuple algérien !
Le compromis comporte une série de clauses économiques et militaires que les Algériens ont acceptées parce qu’ils avaient obtenu l’essentiel : l’indépendance. Mais nous, travailleurs de France, n’avons aucun intérêt à ces clauses qui servent seulement les capitalistes français. C’est pourquoi nous devons lutter pour l’évacuation complète de l’Algérie, pour la suppression de tout ce qui peut subsister de privilèges aux pieds-noirs.
LA REVOLUTION ALGERIENNE EN MARCHE VERS LE SOCIALISME
La Révolution algérienne va se trouver aux prises avec des problèmes extrêmement ardus pour développer économiquement un pays que l’impérialisme a maintenu dans la pauvreté et qui est couvert des misères et des ruines de plus de sept années de guerre. L’aide au peuple algérien ne doit pas être une source de profits pour les capitalistes français, c’est une aide sans intérêt qu’il faut donner à l’Algérie nouvelle. Il faut lutter d’autant plus résolument dans ce sens que cette Algérie, sous l’impulsion de ses ouvriers et de ses paysans, de ses militants, ne pourra pas bâtir un État capitaliste, mais s’engagera tout comme le peuple cubain, vers la construction d’une société socialiste.
Comme l’a dit Rahmoun Dekkar, un des secrétaires de l’Union Générale des Travailleurs Algériens :
« Si le paysan et l’ouvrier ont pris le fusil, ce n’est pas pour conquérir un drapeau et un hymne national… C’est pour la réforme agraire… Notre lutte est une lutte de classes… Leur participation à la lutte armée d’aujourd’hui garantit aux travailleurs leur droit à la direction du pays de demain. »
Ce n’est pas une vague « démocratie » bourgeoise que la Révolution algérienne est en train d’enfanter, c’est un pays qui appartiendra à ceux qui y travaillent et qui servira de symbole et de guide aux peuples arabes du Maghreb et du Moyen-Orient, et à tous les peuples africains. C’est une révolution qui a aussi porté des coups puissants à nos exploiteurs et qui a ainsi aidé à la lutte pour une société socialiste en France, un objectif que les grandes organisations ne songent guère à atteindre.
Réforme agraire, nationalisation ou contrôle des industries-clés, assemblées démocratiques des paysans et des ouvriers, armement des masses algériennes, autant de mesures qui assureront une marche en avant de la Révolution algérienne vers le socialisme.
Assurons les travailleurs algériens qui ont toujours pris part à la lutte de classe aux côtés des travailleurs français de la solidarité totale envers l’œuvre qu’ils vont entreprendre à leur retour en Algérie. Mais l’aide à la Révolution algérienne suppose qu’en France même le prolétariat, loin de reculer, mène une lutte victorieuse contre ses exploiteurs.
Victoire de l’O.A.S. ou Socialisme ?
La société française, ébranlée par plus de sept années de guerre, ne retrouvera pas la paix après la signature des accords. L’O.A.S. par ses manifestations prépare la place d’un mouvement fasciste de masse, gonflé de pieds-noirs quittant l’Algérie, d’officiers et de sous-officiers cherchant la revanche de leur défaite sur le dos des travailleurs français, de petits bourgeois évincés de leur routine par la concentration capitaliste.
Dès maintenant, le régime gaulliste exploite ces manifestations en premier lieu pour renforcer l’appareil de répression et porter atteinte aux libertés les plus élémentaires.
Contre l’O.A.S., contre le régime gaulliste, front unique des organisations ouvrières
— pour la dissolution des bandes fascistes
— pour la dissolution des forces de répression (police, etc.) et l’expulsion des officiers fascistes
— pour les droits politiques aux soldats.
Les organisations ouvrières doivent organiser la défense des libertés et des militants menacés par des groupes d’auto-défense.
Les travailleurs de France ont montré qu’ils réagiront puissamment en face d’un putsch fasciste. Mais un danger au moins aussi grand est celui d’une marche graduelle vers un régime de dictature, appuyé sur une armée et une police truffées des fascistes.
Pour vaincre le danger fasciste, il faut lutter contre le régime bonapartiste actuel qui ne cédera pas la place devant des bulletins de vote. Ce n’est pas non plus un régime de démocratie bourgeoise qui pourra venir à bout de la réaction : en 1945, le capitalisme n’a accepté le retour à la démocratie que pour gagner du temps et préparer un retour offensif vers « l’État fort ».
La lutte contre l’O.A.S. et contre le régime gaulliste doit être menée dans la perspective d’un combat qui aboutira à la seule solution qui permettra de se débarrasser de tout danger réactionnaire : l’instauration d’un pouvoir ouvrier et paysan, d’un gouvernement des organisations ouvrières, attaquant les fondements du capitalisme et abordant en France même la construction d’une société socialiste.
(1) Notre organisation s’honore d’avoir apporté une telle aide pratique qui nous a valu de subir la répression bourgeoise. Ainsi P. FRANK, S. MINGUET notamment ont été en 1956 dans les premiers à connaître les geôles impérialistes. Deux secrétaires politiques de la IVe Internationale, Michel PABLO et Sal SANTEN, furent également incarcérés en Hollande pour leur aide au F.L.N.