Catégories
presse

René Lustre : Les travailleurs de tous les pays n’oublieront jamais l’exemple de leurs camarades de Berlin lors des journées de juin

Article de René Lustre paru dans Le Libertaire, n° 367, 2 juillet 1953, p. 1

ADN-ZB/Junge/18.6.1953/ Faschistische Provokation im demokratischen Sektor von Groß-Berlin am 17.6.1953 U.B.z.: Blick auf das von Faschisten in Brand gesetzte HO-Geschäft im Columbiahaus am Potsdamer Platz.

NOUS avons dénoncé, la semaine dernière, l’exploitation par la presse bourgeoise réactionnaire, des événements de Berlin-Est. De l’Aurore à Franc-Tireur, des rangs de la bourgeoisie la plus pourrie aux rangs de l’ignoble social-démocratie, on brûlait dans la joie le drapeau de la révolution, on chantait les bienfaits des pays libres, on faisait les louanges de la démocratie capitaliste vers laquelle se tournaient les ouvriers de Berlin-Est.

Après une semaine, après que des renseignements plus précis soient parvenus les aboyeurs sanglants rentrent dans leurs niches. Les travailleurs de Berlin-Est qui secouèrent la bureaucratie soviétique ont refusé aussi leur sympathie à la démocratie capitaliste. Les faits sont là, les témoignages le prouvent. La lutte maintenant ouverte des travailleurs écrasés par la bureaucratie russe ne s’oriente pas vers une restauration de l’ancien état bourgeois, mais se projette au-delà de l’ère bureaucratique des staliniens, vers la liquidation de l’appareil d’oppression pour l’instauration de la véritable démocratie prolétarienne qui va ouvrir la marche vers le communisme libertaire.

Les travailleurs du monde entier devront se souvenir de ces jours qui appartiennent maintenant à l’histoire du mouvement ouvrier international, ils devront se souvenir que contre eux ils ont eu, rassemblés, la bourgeoisie et les bureaucrates des partis communistes. Ils devront se souvenir que le journal communiste allemand « Neues Deutschland » écrivit :

« Il y a lieu de rougir que des travailleurs allemands soient tombés dans le piège des machinations des provocateurs de Berlin-Ouest, que les ouvriers de Berlin n’aient pas réussi à empêcher que fût souillé leur ville ».

Mais le caractère le plus important de cette explosion du mécontentement des travailleurs c’est l’éclaircissement apporté dans la lutte permanente de la classe ouvrière mondiale contre les oppresseurs. Depuis surtout vingt ans, avec l’apparition des régimes totalitaires engendrés par le pourrissement des régimes capitalistes, un silence désespérant s’était fait sur une partie du monde.

Les journées de Berlin-Est signalent le mûrissement d’une ère révolutionnaire dans le mouvement ouvrier. C’est compris dans ce sens que nous affirmions la semaine dernière que la mobilisation des travailleurs du monde occidental avait eu besoin de l’explosion de colère des ouvriers de Berlin-Est. Ces journées magnifiques apportent à l’avant-garde révolutionnaire du monde entier la certitude de la montée révolutionnaire de tous les travailleurs du monde. Ces journées de juin de Berlin-Est nous convainquent que le changement du rapport des forces entre les oppresseurs et les masses populaires se poursuit partout au bénéfice de ces dernières, que la révolution mondiale, à des degrés différents, est en marche. Ces journées nous confirment aussi qu’aucun retour en arrière n’est possible, que le capitalisme, l’impérialisme sont définitivement condamnés comme l’est également la période militaire et bureaucratique qui enserrait dans son carcan tout le mouvement ouvrier.


Ces journées de juin du prolétariat allemand de Berlin-Est ne sont que l’aboutissement d’une longue période de résistance ouvrière contre les méthodes bureaucratiques, d’oppression des partis communistes staliniens. Un de nos camarades d’Allemagne orientale, arrivé ces jours derniers, nous a appris que depuis 1949 les ouvriers, non seulement de l’Allemagne orientale, mais ceux de toute l’Europe contrôlée par l’armée et les gouvernements des « Démocraties populaires » se regroupent et organisent au sein des usines des groupes de résistance qui cherchent à créer une liaison organique entre eux. Malheureusement, il n’est pas encore apparu une avant-garde, une direction idéologique qui puisse coordonner ce mouvement montant.

La misère économique, l’augmentation des normes de travail, ont joué le rôle déterminant dans l’explosion du mécontentement populaire. Mais les conditions politiques qu’on pourrait appeler aussi la démagogie pratique, sur lesquelles tient à s’établir le régime bureaucratique « communiste » ont joué un rôle important.

L’expropriation des propriétaires capitalistes et leur remplacement dans les entreprises par des directeurs qui sont les créatures du parti n’est pas le seul aspect nouveau des régimes soviétiques. Ils imposent à donner, au moins théoriquement, un rôle social à la classe ouvrière, à lui donner l’impression d’un rôle directeur, de contrôle, de propriété des moyens de production. Pour donner cette illusion une quantité d’organismes prolétariens sont constitués et qui ne doivent servir pratiquement que pour encadrer étroitement les travailleurs. Mais ces organismes constituent aussi une arme contre le régime. Ainsi, si pendant longtemps les syndicats, et particulièrement « les conseils de production » servirent au parti et au gouvernement pour appliquer leur politique, ils sont devenus les centres où les ouvriers rassemblés manifestent leur mécontentement et servent, à défaut d’organismes propres aux travailleurs et indépendants de la direction et du parti, de lieux et d’organes pour une résistance des ouvriers contre le régime.

Ce caractère double du régime stalinien — d’un côté une origine et une base ouvrière, de l’autre une bureaucratie qui s’érige en caste et en profiteuse — ne pouvait se maintenir impunément et pendant un temps relativement long, dans des pays où les classes ouvrières sont constituées depuis longtemps et où elles se sont enrichies d’une tradition et d’une culture révolutionnaire. Ce caractère double devait rapidement, dans ces pays, créer les conditions politiques de son renversement.

Cette expérience « ouvrière », outre qu’elle va permettre, tôt ou tard, de lever l’hypothèque des partis communistes dépendants du Kremlin sur les classes ouvrières, restera positive dans ce sens que les travailleurs, à l’issue de leur lutte victorieuse, offriront aux classes ouvrières du monde la démonstration d’une gestion directe de leur société.

La dénomination 3e FRONT que nous avions donné à la lutte de classe mondiale des travailleurs, et qui était apparue pour ceux qui, malgré leur apparent neutralisme, et parce qu’ils se voulaient neutralistes, avaient choisi, consciemment ou inconsciemment, pour l’un ou l’autre camp, pour la bourgeoisie américaine ou pour la caste bureaucratique du Kremlin contre les travailleurs comme une confusion, se trouve maintenant éclairée dans tout son caractère réaliste. Les deux aspects de l’oppression des travailleurs du monde : l’aspect capitaliste et impérialiste et l’aspect de la bureaucratie du Kremlin et des partis communistes, imposaient et imposent toujours à la lutte prolétarienne d’être contre l’un et l’autre des oppresseurs et, suivant la situation géographique, d’être contre l’un sans être pour l’autre.

Le 3e FRONT REVOLUTIONNAIRE, le front prolétarien dans sa perspective du communisme libertaire, reste l’avenir de la révolution sociale.

René LUSTRE.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *