Déclaration datée du 23 novembre 1975, signée par l’Organisation Socialiste Israélienne (Matzpen), l’Alliance Communiste Révolutionnaire (Ma’avak) et la Ligue Communiste Révolutionnaire (IVe Internationale), parue dans Inprecor, n° 42, 22 janvier 1976, p. 32 et 31
En tant que socialistes révolutionnaires notre refus du sionisme est profond et fondamental. Ce refus nous accompagne depuis que nous avons commencé à nous organiser au sein de formations politiques, afin de faire avancer la lutte pour la révolution socialiste dans notre région. Les Juifs qui sont parmi nous représentent, dans leur position anti-sioniste, le meilleur de l’esprit et des traditions démocratiques et révolutionnaires parmi les masses juives dans le monde. Les Arabes qui sont parmi nous représentent dans leur position anti-sioniste, non seulement les aspirations des masses arabes à la libération nationale et sociale, mais également le meilleur de l’esprit des traditions de tolérance dont jouissaient les Juifs qui vivaient au sein des peuples arabes. Les uns comme les autres, nous constituons un seul bloc, que nous donnons en exemple, et que nous indiquons comme la seule alternative à la situation actuelle, dans laquelle les Juifs et les Arabes payent de leur sang le prix de l’occupation et de l’oppression, de la discrimination et de l’expulsion.
Bien longtemps avant la résolution de l’Assemblée générale de l’O.N.U. condamnant le sionisme, plus exactement 80 ans avant, l’auteur de l’Etat juif, Theodore Herzl, écrivait : « Nous constituerons un rempart contre l’Asie et un avant-poste pour défendre la civilisation contre la barbarie. En tant qu’Etat souverain, nous ne cesserons pas de constituer un lien et un rapport avec les peuples de l’Europe ; et eux, pour leur part, seront les garants de notre existence. » Et ainsi en est-il. De toutes les prévisions et de tous les jugements prononcés par le fondateur du sionisme, celui-ci est peut-être l’un des seul à garder aujourd’hui toute sa signification et sa validité. Il décrit avec concision, et en langage bourgeois, la situation actuelle d’Israël. L’Etat sioniste s’attaque aux masses arabes (l’Asie, les barbares) parce qu’il est lié, à la vie et à la mort, à l’impérialisme.
En proclamant cela, nous disons en fait que la résolution de l’Assemblée générale ne nous concerne pas. Car que se serait-il passé si l’Assemblée générale avait tranché autrement la question du sionisme ? Aurions-nous pour autant changé nos opinions concernant le sionisme ? Absolument pas. D’autant plus que parmi les adversaires comme parmi les défenseurs du sionisme, se trouvent à l’Assemblée générale les représentants de gouvernements qui font de l’exploitation et de l’oppression, de la discrimination et même du racisme le fondement de leur politique. En même temps, il ne fait aucun doute que la résolution de l’Assemblée générale exprime le fait que le sionisme est de plus en plus exposé, dans toute sa nudité, et que ses beaux jours s’en sont allés. Et plus que quiconque, ce sont les sionistes eux-mêmes qui ont contribué à créer cette situation. Dans leurs discours, comme par leurs actes.
Nous fondons notre opposition au sionisme sur le fait, entre autres, que le sionisme implique l’établissement d’un Etat juif en violation des droits humains et nationaux du peuple arabe de Palestine. Et c’est un fait que chacun des pas accomplis par le sionisme dans ce pays impliquait l’expropriation des Palestiniens de leurs terres, et leur expulsion hors de leur patrie. Les sionistes eux-mêmes proclamèrent leurs intentions lorsqu’ils arrivèrent dans ce pays : « La conquête du travail hébreu, la conquête de la terre et la constitution d’une société tout entière juive. » Il leur arrivait cependant de nier purement et simplement les faits et de parler d’une « terre sans peuple pour un peuple sans terre ».
Le sionisme implique la discrimination d’un groupe national par rapport à l’autre. Le sionisme implique une situation de privilège pour les Juifs d’Israël et ceux du monde entier, en même temps que la transformation des Palestiniens sous son pouvoir en citoyens de seconde zone. Voyez par exemple la fameuse loi du Retour qui accorde la citoyenneté israélienne automatiquement à tout juif du monde, alors que le droit des masses palestiniennes à retourner dans leur patrie continue à leur être refusé. Voyez par exemple, les statuts de l’Agence Juive, rédigés en 1929, et qui sont toujours valables aujourd’hui : « La terre a été acquise en tant que propriété juive, elle restera propriété inaliénable du peuple juif, et ne sera pas transmissible. L’Agence encouragera la colonisation agricole fondée sur le travail juif, et dans toutes les entreprises qu’elle accomplira ou encouragera, ce sera un principe que d’employer du travail juif. » Voyez par exemple, la politique de confiscation des terres arabes et leur transfert en des mains juives – une politique commune à tous les gouvernements d’Israël depuis la fondation de l’Etat jusqu’à ce jour. Ce n’est ni nous, ni aucun autre anti-sioniste, qui avons forgé le terme raciste de « judaïsation de la Galilée ». Ce sont les dirigeants et les porte-parole d’Israël qui l’ont fait.
Le sionisme implique l’acceptation du patronage de l’impérialisme, et le travail à son service ; en ce sens, le sionisme est un instrument contre le mouvement national arabe, et un gendarme contre les luttes des peuples arabes pour briser le joug de l’exploitation locale et étrangère. Rappelons seulement le soutien et le travail de garde fournis à la monarchie Hachémite pendant plusieurs décades, et la guerre menée, au service de la Grande-Bretagne et de la France contre l’Egypte en 1956.
C’est peu, mais c’est assez. Plus un sioniste est courageux et franc, plus il reconnaît ces faits ouvertement. Plus un sioniste essaie de se déguiser en libéral, en démocrate ou même en socialiste, plus il essaie de cacher et de camoufler, d’embrouiller et de nier ces vérités.
Le sionisme implique la résignation à l’antisémitisme, considéré comme un phénomène universel, naturel et éternel.
Le sionisme, qui avait la prétention de fournir une solution aux malheurs des Juifs, constitue, en lui-même, un véritable malheur pour les Juifs. Le capitalisme, non content d’avoir asséné aux juifs des coups mortels, leur a également fourni une « solution » à leurs malheurs qui n’est pas moins tragique que leur souffrance elle-même. En un certain sens, on pourrait dire que les juifs, opprimés sous les bottes du seigneur, sont devenus eux-mêmes un nouveau seigneur, qui opprime un autre peuple : le peuple arabe de Palestine.
C’est pourquoi, il n’est pas suffisant de dire que le sionisme a créé le problème palestinien. Le sionisme a également créé un problème juif, un danger concret pour les Juifs d’Israël et pour ceux des Juifs du monde qui lient leur sort à celui du sionisme.
Notre lutte contre le sionisme est une lutte pour la réalisation des droits humains et nationaux du peuple arabe palestinien, mais elle est également une contribution au sauvetage des Juifs d’Israël.
Les sionistes, qui prétendent représenter les Juifs du monde entier, leur disent : « Le monde entier est contre nous. » Nous, par contre, disons que les Juifs, comme tous les autres peuples, font partie intégrante de l’humanité. Les sionistes disent que les Juifs existent en dépit de l’Histoire, et nous disons qu’ils existent par l’Histoire. Les sionistes sanctifient et perpétuent l’inimitié entre les Juifs et les autres peuples, tandis que nous œuvrons pour éliminer l’inimitié entre les peuples, en général, et pour l’élimination de l’inimitié à l’égard des Juifs en particulier. Nous luttons contre le sionisme, pour l’intégration du peuple juif-israélien dans l’Orient arabe. Notre lutte pour le socialisme comprend en elle-même la lutte pour le respect des droits humains et nationaux, aussi bien des Arabes de Palestine que des Juifs d’Israël. Car le socialisme est la libération de l’Homme. De l’homme arabe, et de l’homme juif.
23 novembre 1975