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Claude Devence : « Nuit et brouillard ». La logique du racisme

Article de Claude Devence paru dans Nouvelle Gauche, organe du mouvement uni de la nouvelle gauche, n° 5, 10 juin 1956

LE film de Resnais nous expose la réalité brute de l’horreur concentrationnaire. Ce n’est pas un cauchemar, c’est vrai.

Cela n’a pas seulement été vrai à un moment de l’histoire. Ce peut être encore vrai à tout moment, de la part de n’importe quel peuple, de n’importe quel groupe, parce que c’est le fait de l’homme. Il ne s’agit pas ici de l’Allemand ou même du nazi seulement. Resnais nous le montre clairement (1).

Si les camps de « travail forcé » représentent un degré d’oppression non encore atteint, les camps d’extermination sont un phénomène encore plus effroyable.

L’assassinat à l’échelle industrielle et par des procédés industriels de neuf millions d’hommes, de femmes et d’enfants ne procède pas de la folie des hommes.

Ces médiocres : Himmler, les kapos, les commandants des camps que l’on voit discuter froidement des méthodes d’extermination les plus efficaces, ne sont pas fous. Les architectes qui dessinaient lucidement, méticuleusement, les plans de ces usines à cadavres ne sont pas des maniaques, ils agissaient en fonction de l’explication raciste de l’histoire.

Cette explication c’est celle-ci : les maux de l’humanité sont le fait de certaines races ; en purgeant la terre de ces races, tous les problèmes seront résolus et les survivants vivront heureux. Voilà pourquoi les nazis déployèrent tant d’acharnement à drainer de tous les coins d’Europe, à travers les bombardements et malgré les difficultés militaires et stratégiques, des wagons bourrés de Juifs vers les usines de mort, ils résolvaient le problème de l’humanité selon l’effroyable logique qu’impliquaient leurs prémisses.

Ceci il faut le répéter sans cesse, et aujourd’hui plus que jamais. Car, selon l’avertissement de Jean Cayrol, les bourreaux sont toujours parmi nous. Ce sont ceux-là qui reprennent à leur compte cette même explication de l’histoire : Rivarol et Aspects de la France, Jeune Nation et la Phalange française qui l’étalent sur toutes leurs pages, le Bulletin de Paris et Les Nouveaux jours, Poujade, Tixier-Vignancour et leurs complices.

Pour toutes ces feuilles et pour tous ces individus, la cause du mal c’est le Juif, « le métèque », c’est l’Arabe, le « crouillat », c’est le nègre.

Avec eux ce sont leurs alliés : la gauche, les communistes et les « cryptos ». La conséquence logique d’une telle aberration politique, ceux à laquelle tous ceux qui l’auront adoptée ne pourront se dérober, c’est l’extermination massive des uns des autres.

Les portes des fours crématoires sont prêtes à se rouvrir toutes grandes sous leur poussée. Elles sont déjà entr’ouvertes. Les hommes que torture la police française, les 80 000 Malgaches exécutés lors des répressions de 1947, les 35.000 « ratissés » du Cap-Bon, et ceux qui tombent aujourd’hui sur le sol algérien sont victimes du racisme tout autant que du colonialisme.

Que ces fascistes imbéciles qui parlant de leurs ennemis politiques, déclarent « vouloir en faire du savon » y réfléchissent bien. Qu’ils aillent voir « Nuit et Brouillard ». Ils y contempleront l’inévitable issue de leur attitude.

Leurs homologues allemands, comme eux, commencèrent par chahuter les meetings de gauche, comme eux, par jeter des bombes dans les locaux des organisations ouvrières, comme eux, à chasser le juif et le nègre dans la rue. Les fascistes français, pas plus qu’eux, ne pourront échapper à l’engrenage fatal des camps d’extermination, des chambres à gaz aux murs labourés par les ongles, des bûchers collectifs où des centaines d’êtres brûlaient vivants, des fosses de chaux vive où l’on précipitait les enfants.

Ces montagnes de cadavres squelletiques et déformés charriés au bulldozer dans les fosses communes les attendent au bord du chemin.

Oui ! Qu’ils aillent donc voir « Nuit et Brouillard ». Que tous ceux « qui n’y croient pas » ou ne veulent pas y croire aillent aussi constater les horreurs du racisme que prêchent encore parmi nous quelques criminels passés ou en puissance.

Qu’ils décident ensuite de quel côté se trouve le bon combat.

Claude DEVENCE.


(1) Le fait que le gouvernement allemand ait tiré ombrage de ce film est d’une tragique signification. N’a-t-il pas compris la portée universelle de ce témoignage, ou le gouvernement de MM. Adenauer et Globke se veut-il sur la voie d’un nouveau nazisme dont il voudrait dissimuler les horreurs à ses prochaines victimes ? En vérité, son attitude mérite que l’on pose cette terrible question.

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