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Dans le Nord, les Algériens ont montré l’exemple aux travailleurs français !

Article paru dans Le Libertaire, n° 429, 5 mai 1955, p. 2 ; suivi d’un complément paru dans Le Libertaire, n° 431, 19 mai 1955, p. 1

A LILLE, les dirigeants P.C.F. et S.F.I.O. ont donné publiquement la preuve de leur trahison, tandis que les travailleurs algériens leur démontraient qu’un 1er Mai est une journée de lutte pour la classe ouvrière, de chiasse pour les bourgeois.

Voici les faits :

– 8 h. De nombreux travailleurs nord-africains se rendent rue Gambetta et place de la Liberté pour le cortège du 1er Mai.

– 8 h. 30. La police fait évacuer les travailleurs algériens de la place de la Liberté. Ceux-ci se retrouvent tous rue Gambetta, face à la Bourse du Travail.

9 h. 30. Ce sont deux ou trois mille ouvriers nord-africains qui sont là, rangés, prêts à défiler. Ils forcent par leur nombre et leur discipline, l’admiration des ouvriers français qui arrivent. Je vends Le Libertaire en criant nos slogans pour un 1er Mai d’unité des travailleurs nord-africains et français contre l’état d’urgence et la répression colonialiste.

10 h. Quelques centaines des travailleurs français sont maintenant là. Des fanfares sont arrivées, jouant la Jeune Garde, mais aussi la marche du salopard colonialiste Leclerc : la 2e D. B. !… Déployant des banderoles appelant à l’UNITE, les travailleurs français F. O. et C.G.T. ouvrent le défilé, au son de l’Internationale et aux cris d’ « UNITE ».

Suivant de quelques mètres, imposant par leur nombre, les camarades algériens avancent avec leurs banderoles, reprenant les mots d’ordre du Mouvement National Algérien. Tous portent l’effigie « Libérez Messali Hadj ».

Mais la police, tolérant que des Français défilent, ne peut souffrir de voir des travailleurs algériens manifester. S’introduisant dans les quelques mètres qui séparent Français et Algériens, des flics en civil veulent empêcher ceux-ci de défiler. C’est alors que toute la flicaille, matraque en main, C.R.S. armés de mousquetons, se ruent sur nos camarades algériens. Les derniers rangs français se retournent aux cris d’UNITE. Je les appelle à la rescousse des camarades attaqués, mais déjà quelques-uns, trop peu malheureusement, essayent de rejoindre les rangs algériens. Un vieux travailleur tombe sous les coups des matraques, les flics s’acharnent sur une femme. Pour ma part, je réussis à rejoindre les rangs nord-africains.

PENDANT CE TEMPS, F.O. ET C.G.T. CONTINUENT LE DEFILE, LAISSANT LES FLICS MATRAQUER LES TRAVAILLEURS ALGERIENS !

Si tous les « ouvriers » français et non quelques-uns, avaient agi suivant la solidarité prolétarienne, les flics se seraient retrouvés pris entre deux blocs dans la rue Gambetta. La lâcheté des dirigeants de la C.G.T. et F.O. lilloises, enlaidit une fois de plus le mouvement ouvrier français, si toutefois les bonzes sont encore dignes de parler et d’ « agir » en son nom, et retarde l’unité si nécessaire entre tous.

Les travailleurs algériens, se défendant avec le bois de leurs banderoles, résistent ! Sous la poussée de la flicaille, ils se trouvent séparés en deux groupes : l’un résistant rue Gambetta, l’autre dans la rue du Maire-André. Je me trouve avec ce groupe. Je vous en parle en attendant d’avoir des nouvelles de l’autre groupe. Dans cette rue du Maire-André, les bois pleuvent sur les flics répondant par les mêmes moyens et les grenades lacrymogènes. SOUS UNE AVALANCHE DE PAVES ARRACHES, LES FLICS RECULENT ! Durant cinq minutes, ils n’osent plus attaquer ! Seuls les gaz lacrymogènes leur permettront de foncer à nouveau, ne pouvant toutefois atteindre les travailleurs algériens qui continuent un BON TRAVAIL.

Les bourgeois du quartier ONT PEUR. Les vitrines des mercantis-commerçants, les glaces des bagnoles bourgeoises volent en éclats ! Peureusement, la bourgeoisie s’enferme dans ses riches maisons, ferme les volets, les rideaux de fer de leurs boîtes à commerce …

11 h. 30. La bagarre provoquée par la police est terminée. Les bourgeois timidement commencent à ressortir. Je retrouve le défilé F.O.-C.G.T. qui rejoint la Bourse du Travail, accompagné de quelques flics, suivi d’un car … SYMBOLIQUE !

Quelques travailleurs entrent à la Bourse pour le meeting de Force Ouvrière. L’Internationale est chantée. Après la lâcheté qui vient d’avoir lieu, on aurait mieux fait de chanter la Marseillaise, chant des bourgeois, des réformistes et DES LACHES !

La lâcheté n’a pas suffi à l’orateur F.O., un certain PRIVIER ! Pour se donner bonne conscience, il plonge dans les calomnies les plus ignobles. Profitant de leur absence, et pour cause ! il traita les travailleurs algériens matraqués, de fascistes et de S.S., d’ex-suiveurs de DORIOT ! Il félicita les travailleurs français d’avoir continué de défiler, laissant les flics matraquer leurs frères Algériens !

C’est écœuré de cette monstrueuse trahison que j’ai rejoint la gare où la police fouillait les Algériens qui s’y trouvaient. Preuve que celle-ci a eu peur et la bourgeoisie lilloise avec elle ! Ce qui nous console …

Minuit. Voici d’autres renseignements que j’ai pu avoir :

Dès le début du défilé, un délégué syndical avait transmis aux travailleurs algériens l’ordre de la police de ne pas défiler. Devant le digne refus de ceux-ci d’obtempérer, il alla rejoindre les rangs de la flicaille, se ravisa et rejoignit le défilé. Ainsi ce « militant » (!) savait très bien ce qui allait suivre. Son rôle, s’il avait agi en militant, était de faire arrêter le défilé des travailleurs français pour que ceux-ci viennent en aide aux travailleurs nord-africains. Les directions C.G.T. et F.O. ont besoin d’un bon nettoyage !

… Dans d’autres villes du Nord, la police a aussi attaqué les cortèges nord-africains. Voici quelques chiffres des blessés et d’arrestations :

LILLE : 70 travailleurs algériens arrêtés, une quarantaine de blessés (Algériens et flics. Un de ces flics très gravement atteint. Espérons qu’il crèvera s’il ne l’est déjà).

MAUBEUGE : une cinquantaine d’arrestations, 12 Algériens, 7 flics blessés.

DOUAI : Une trentaine d’arrestations, 17 blessés.

A noter que pour cette dernière ville, deux travailleurs algériens ont été arrêtés en voiture, le matin du 1er Mai, à 3 h. 15. Les flics les ont fouillés et ont trouvé sur l’un d’eux des épingles pour insignes et les deux journaux : LA VOIX DU PEUPLE et LE LIBERTAIRE. A la question des flics : « Pourquoi achètes-tu Le Libertaire ? » – « Je trouve ses positions justes. Il défend la classe ouvrière ! »

Ces deux camarades algériens ont passé toute la journée au poste pour qu’ils ne puissent manifester. Ils n’ont été relâchés que le soir à 18 h. 30. Mais les 30 arrêtés y étaient toujours à cette heure.

Bravo ! camarades algériens. Mais Bon Dieu ! militants de la Fédération Communiste Libertaire, nous avons un travail immense pour que la classe ouvrière française et ses syndicats comprennent, avant qu’il ne soit trop tard, l’intérêt d’une lutte commune avec les travailleurs algériens. Ces travailleurs algériens blessés et arrêtés, la classe ouvrière française en porte la lourde responsabilité. Comme me le disait ce soir un camarade algérien : « L’on a commencé par attaquer notre liberté. Les travailleurs français ne comprennent pas malheureusement que demain, les mêmes qui nous oppriment actuellement s’attaqueront de la même manière à la liberté de la classe ouvrière française ».

Le Secrétaire du Groupe Communiste Libertaire.


Après le 1er mai de Lille

CERTAINES rectifications de nomination sont à apporter dans la lettre transmise au « Lib » au sujet des manifestations de LILLE.

Au lieu de « Place de la Liberté », il faut lire « Place de la République ». Deux défilés eurent lieu : celui de la C.G.T. et celui de F.O. C’est à celui de la C.G.T. que devaient participer les travailleurs Nord-Africains s’ils n’avaient pas été attaqués par la police et les C.R.S.

Ces rectifications n’enlèvent rien à la lâcheté des dirigeants de la C.G.T. et de F.O. qui ont couvert de honte le « mouvement ouvrier » français de Lille.

1°) PAR LA C.G.T.

en la personne de LEBLOND, secrétaire du Syndicat des Métaux C.G.T., qui prévint la police que les travailleurs algériens passaient outre à l’interdiction de défiler avec les mots d’ordre du Mouvement National Algérien et qui alla retrouver les Nord-Africains en compagnie du Commissaire DIERICK.

– En continuant le défilé laissant les flics matraquer nos camarades algériens.

2°) PAR F.O.

– en la personne de PRIVIER, traitant les Algériens de fascistes, de S.S., d’ex-suiveurs de Doriot !

– En publiant le communiqué suivant, vrai lèche-cul de la bourgeoisie.

« L’Union locale « Force Ouvrière » de Lille lient à faire connaître à la population lilloise et principalement aux habitants des rues Léon-Gambetta et adjacentes, qu’elle dégage toute responsabilité des incidents regrettables qui se sont produits lors du rassemblement organisé par l’Union locale C.G.T. le dimanche 1er mai à 10 h., Bourse du Travail.

« L’Union locale « Force Ouvrière » remercie les travailleurs de toutes les professions ayant participé à son cortège, qui s’est déroulé comme prévu dans le calme et la dignité. »

3°) Par les participants français au défilé, en ne se portant pas, à part quelques éléments au nombre infime, à l’aide des travailleurs algériens attaqués par les flics, en ne suivant pas l’exemple de 1er mai de lutte contre la bourgeoisie donné par les ouvriers algériens.

La presse régionale est tombée dans l’ignoble :

« Liberté », journal stalinien, ne se dépare pas de son réformisme et de son hypocrisie. Ce torchon peut être fier (!) du « pacifique défilé » de la C.G.T. Et nous pouvons lire : « En dépit de ces violences (celles de la police) qui déshonorent ceux qui en portent la responsabilité (comme si l’honneur pouvait être synonyme de police !), la manifestation du 1er mai s’est poursuivie dans les rues de Lille ». De quoi être fiers !

Vous avez certes fait, après votre meeting place de l’Hôtel de Ville, une délégation auprès de la Préfecture pour réclamer la libération immédiate des emprisonnés. Mais c’était un peu tard pour prendre la défense des camarades algériens ! Il fallait les soutenir dès la bagarre et tout d’abord ne pas les moucharder aux flics ! Et vous saviez très bien que votre délégation était insuffisante. Seule une nouvelle manifestation de masse par action directe pouvait libérer ceux qui avaient été emprisonnés à cause de votre lâcheté.

Votre attitude dénie d’ailleurs formellement que les masses algériennes avaient été « embrigadées par le P.C. », tel que veut le faire croire le journal « socialiste » « Nord-Matin ». Et celui-ci, à l’image du journal réac-calotin « Nord-Eclair » chiala sur le « pauvre agent » Ousseau écroulé par un pavé et piétiné par les travailleurs algériens.

Présentez donc les flics comme des agneaux ! Quant à nous, nous préférons notre formule « pour un œil d’ouvrier, deux yeux de flics, pour une dent d’ouvrier, toute la gueule d’un flic ! »

Chialez donc, à l’image de « Nord-Eclair », sur les étalages des commerçants « stupidement ravagés par des briques, des pavés, des morceaux de fonte », sur les « glace d’un marchand de fleurs, les vases où fleurissait du muguet » ! Poètes, les soudards ! Poètes à l’image de leur 1e mai à eux, une fête et non une journée de lutte.

« Nord-Matin » termine ainsi :

« Après la clôture du meeting (C.G.T.), une délégation conduite par M. le sénateur RAMETTE se présenta à la Préfecture pour protester ! Elle fut éconduite.

« Le parti communiste qui a embrigadé les Nord-Africains avec une « discipline » remarquable devrait avoir le courage – si l’on peut dire – de revendiquer la responsabilité d’une « manifestation » dont on aura quelque peine à admettre la spontanéité. »

Ne vous en faites pas. Les travailleurs algériens sont assez mûrs politiquement pour ne pas se laisser « embrigader » par un parti qui, tout comme le vôtre, les trahit journellement.

Et nous répéterons pour « Nord-Eclair » qui titre « Des Algériens du M.T.L.D. ont provoqué des bagarres dans la région » que partout, que ce soit à LILLE, DOUAI ou MAUBEUGE, ce sont LES FLICS QUI ONT TOUJOURS ATTAQUE.

A toutes ces manœuvres de diversion, les travailleurs du Nord doivent répondre par l’UNITE avec les travailleurs algériens en s’engageant dans la lutte pour :

– LA LIBERATION des emprisonnés du 1er Mai.

– LA LIBERATION de MESSALI HADJ et de tous les autres emprisonnés politiques.

– LA LEVEE DE L’INTERDICTION DU M.T.L.D. et de son journal « L’Algérie Libre ».

– LE RETRAIT DU CONTINGENT et des forces de répression d’Afrique du Nord.

– le boycottage syndical des forces de répression dans les ports et aérodromes.

– L’INDEPENDANCE de l’Algérie et de tous les peuples coloniaux.

– L’EXCLUSION des dirigeants racistes des syndicats.

– UNE POLITIQUE révolutionnaire et anti-colonialiste de ceux-ci.

Le secrétaire du groupe communiste libertaire.

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