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Pierre Morain : 1 an de prison !

Article signé L. Bala paru dans Le Libertaire, n° 446, 29 septembre 1955, p. 1

LE 29 juillet dernier, 24 travailleurs algériens et un ouvrier français, P. Morain, étaient condamnés par la Chambre correctionnelle de Lille pour « reconstitution directe ou indirecte de ligue dissoute, M.T.L.D. ».

Deux étaient acquittés, tous les autres condamnés de un à 5 mois de prison, dont P. Morain.

Mais le procureur de Lille, jugeant que les condamnations étaient insuffisantes, fit appel à minima devant la Cour d’Appel de Douai.

Le vendredi 23 septembre, P. Morain et ses camarades algériens passaient en jugement devant la Cour d’appel de Douai.

Dix Algériens étaient absents, car « transférés » en Algérie ; 9 furent jugés par défaut, et 5 seulement étaient présents aux côtés de Morain :

_ Aïti Aïas, déjà condamné à 5 mois ;

_ Benaïssa Mohamed, un mois ;

_ Bouzar, acquitté.

_ Dehas Ali, acquitté;

_ Nechrac Mokrane, 4 mois.

LE PROCES :

9 heures. La séance est ouverte. Le Président fait l’appel des inculpés ; puis commence son réquisitoire.

Tous sont accusés de « Reconstitution directe ou indirecte de ligue dissoute M.T. L.D. ».

Les « preuves » :

Aïti Aïas est « accusé » d’avoir participé au défilé des Algériens le 1er Mai à Lille, il était au 3e rang, ce qui « prouve » qu’il est un chef !

Au cours d’une perquisition, on a trouvé chez lui Le Libertaire ! De plus il est accusé d’être l’auteur de l’article du Lib du 23 juin intitulé : « Un travailleur algérien emprisonne à Loos (Nord) parce qu’il avait défilé le 1er Mai écrit au Libertaire ».

Voilà tout ce que les magistrats fascistes ont trouvé à lui reprocher :

_ Participation à un défilé autorisé.

_ Lecture d’un journal autorisé.

_ Article dans ce même journal.

C’est tout, et cela suffit pour qu’ils condamnent Aïti Aïas à 10 mois de prison.

Dans son article, Aïti écrit en parlant des flics et des juges : « J’avais déjà été victime des fascistes ». A la lecture de ce passage, le Président s’est tourné vers ses assesseurs et le procureur, disant d’une voix haineuse : « Messieurs, ceci est pour nous, c’est nous qui sommes les fascistes ! »

Nous demandons au Président : Pourquoi s’est-il reconnu ? C’est sans doute qu’il a choisi son camp !

Ben Aïssa Mohamed est condamne à 2 mois de prison, uniquement pour avoir participé au défilé du 1er Mai.

Bouzar, un mois de prison. Le 7 mai, il a été arrêté à sa sortie de l’hôpital où l’avaient conduit les coups portés par les flics le 1er Mai ; il est tout naturellement (!) accusé d’avoir provoqué du désordre sur la voie publique … ». Monsieur le Président, vos flics n’en seraient-ils pas plutôt les responsables ?

Dehas Ali, 2 mois, et cela parce que se rendant en voiture à Lille le 1er Mai, avec sa femme et ses enfants, il avait pris en chemin deux Algériens qui allaient au défilé.

Nechrac Mokrane, 10 mois, « accusé » d’être au premier rang sur la photo du défilé, d’avoir à la boutonnière des effigies de Messali Hadj, d’avoir défilé devant des pancartes réclamant la libération de Messali, d’avoir chez lui des photos de Messali, de Neguib, une feuille de pétition pour la libération de Messali, des numéros du Libertaire.

Monsieur le Président, y a-t-il une loi qui interdit d’avoir chez soi des photos, de réclamer la libération d’un emprisonné ?

Les 9 absents sont rapidement passés en revue et condamnés à 2 mois de prison, l’un d’eux à 3 mois. Espérons qu’ils courent encore !

Tous les Algériens ont été condamnés, au dire du Président et du Procureur, comme des Français faisant du séparatisme et on est en droit de s’étonner lorsque le Procureur, en arrivant à Morain, déclare :

« Pour Morain, le cas est plus grave, car messieurs, Morain, lui, est Français. »

Que de contradictions, Procureur ! Les Algériens, vous le reconnaissez vous-même, ne sont pas Français, mais alors s’ils ne sont pas Français, pourquoi les condamner pour séparatisme ? Vous savez très bien que vos arguments n’en sont pas. Mais vous tremblez, vous tremblez comme tous les bourgeois dont vous défendez les intérêts.

Oui, Morain est Français, mais le Procureur semble avoir des doutes, car au cours de son accusation, il lui demande d’une voix pleine de rage : « Oui ou non, êtes-vous Français ? » Alors, Morain, calmement, avec conviction, lui lance à la gueule ces simples mots, expression de l’internationalisme prolétarien : « Oui, je suis Français, mais avant d’être Français, je suis ouvrier ! »

Alors le procureur se redresse et tout en insultant Morain, l’accuse de renier les traditions et les institutions françaises « que nous avons mis tant de temps à édifier », il l’accuse de « vouloir détruire la société » établie, la société de classes ; c’est donc bien là un procès de classe qui est fait à Morain. Ceci en est la preuve flagrante.

Ensuite le réquisitoire se poursuit. Morain est « accusé » d’être l’auteur de deux articles du Lib au mois de mai : « Bonzes, concluez vous-mêmes » et « Les travailleurs algériens ont montré l’exemple aux travailleurs français le 1er Mai à Lille ». Morain est accusé d’avoir écrit des « grossièretés » envers la France et le maréchal Leclerc ».

En conclusion de son réquisitoire haineux, le procureur demande le maximum : 2 ANS.

La séance est levée à midi, elle reprendra à 17 heures, où seront lus les « attendus » et le verdict.

17 h. 30. Les Algériens sont condamnés pour tentative de reconstitution de ligue dissoute, pour séparatisme.

Morain, lui, est condamné :

_ pour avoir fait « l’apologie des actes des Algériens le 1er Mai, actes qui tendaient à la reconstitution du M.T.L.D., il est donc accusé de reconstitution indirecte de ligue dissoute M.T.L.D.

_ pour avoir porté atteinte à l’intégrité du territoire français. Comme le précise le procureur « pour activité antinationale ».

La loi sur la reconstitution de ligue dissoute date de 1936 ; elle a été créée contre les groupements fascistes, contre les « Croix de feu » entre autres. Depuis, il s’y est ajoute une note : « Elle est applicable contre les groupements armés seulement ». Donc ici, elle est en défaut. Mais les juges ne s’en sont guère souciés.

Il est bien clair que ce jugement ne tient pas debout. D’ailleurs il n’y a pas eu de jugement. Tout était prêt à l’avance.

C’est le pouvoir bourgeois qui se défend et s’il tape dur, c’est une preuve de plus que son agonie est commencée, car il a peur.

Il a surtout peur de ce que représente Morain : l’Internationalisme prolétarien.

La phrase et ce qu’elle représente : « ouvrier avant d’être Français », fait trembler tous les bourgeois.

Le jour n’est pas loin, en effet, ou les travailleurs chasseront du pouvoir les capitalistes et leurs chiens. Ce jour-là, tous les condamnés à mort, tous les torturés, les emprisonnés seront vengés.

Vive l’Internationalisme prolétarien !

Vive la lutte du peuple algérien !

L. BALA.
(envoyée du Libertaire.)

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