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Marcel Baufrère : Pour la première fois dans le journal de la C.G.T. apparaît l’antisémitisme, poison venimeux du fascisme

Article de Marcel Baufrère paru dans La Vérité, n° 122, 10 mai 1946, p. 2

Cela a commencé par une attaque de Pierre Hervé, dans Fraternité, accusant les « agitateurs trotskystes » d’être composés de « 80 % de juifs ». Dans le même article, Hervé lançait une pointe contre la finance juive. Ces procédés, rappelant ceux de la propagande de Gœbbels, ont provoqué un certain émoi, y compris dans les rangs du P. C. F.

Un nouvel exemple vient s’ajouter aujourd’hui à l’article tristement célèbre d’Hervé. Il s’agit d’un article publié par le Bulletin intérieur du groupe syndical C.P.P. B.C.M. et T.P. (Syndicat des employés de l’office professionnel du bâtiment et des travaux publics). Ce bulletin est daté de janvier-février 1946. Dans un article intitulé : « Un peu d’air, S. V. P. », nous lisons ce qui suit :

Aussitôt la Libération, il y eut un enthousiasme qui aurait pu faire croire à une reprise des affaires … Le peuple, qui avait souffert son compte, crut que le travail allait devenir générateur de vie, il n’en fut rien … Il aurait fallu une politique des prix implacable, et surtout étrangler les individus qui spéculent sur la misère du pauvre monde … Le passé ne nous ayant rien laissé dans la tête, nous revoyons les mêmes hommes au pouvoir, les combinards, LES JUIFS, les financiers et les politiciens. Les sans abri sont toujours dehors … Les Français sont nus, les garde-manger sont vides.

R. LAMIRAND
(secrétaire de la sous-section C.P.P.B.C.M. et T.P.).

Ce bulletin porte la mention C.G.T. et Chambre syndicale des employés de la R. P. Nous devons avouer que, stupéfaits de trouver un langage typiquement fasciste dans un journal de la C.G.T., nous nous sommes assurés de son authenticité. Aucun doute ne subsiste à ce sujet. Le signataire de l’article, qui a au moins le courage de ses opinions (contrairement aux auteurs anonymes de tracts antisémites), est un militant du parti communiste français, connu chez les syndicalistes des employés de la R. P.

C’est là un symptôme suffisamment grave des conséquences de la propagande chauvine dans la classe ouvrière pour que nous ayons cru de notre devoir de le signaler.

En abandonnant l’internationalisme, la classe ouvrière ouvre la voie à toutes les dégénérescences. Les partis ouvriers, qui faussent la conscience de classe du prolétariat en se faisant les apôtres de l’idéologie bourgeoise périmée, ouvrent une voie dangereuse dont les fascistes pourront se servir demain. Vous poussez sur la roue pour écraser l’Indochine ! Vous poussez sur la roue pour écraser les juifs ! Vous n’aurez pas la force d’arrêter son mouvement sur la pente fatale.

Pour notre part, nous ne laisserons pas prostituer le communisme. Il n’y a pas de communisme « national », il n’y a pas de communisme chauvin. Il y a le communisme de Lénine, qui fait table rase de tous les concepts barbares de la morale bourgeoise et restera le champion de toutes les causes justes.

Luttant pour son émancipation, la classe ouvrière est l’alliée naturelle de toutes les victimes du capitalisme putréfié.

Dans toute l’Histoire, les grandes vagues antisémites ont été le prélude de la réaction. Lutter contre l’antisémitisme, c’est le devoir élémentaire des révolutionnaires.

Marcel BAUFRERE.

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