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Monstrueuse provocation policière des comploteurs fauteurs de guerre

Articles parus dans L’Humanité, 15 juillet 1953, p. 1 et 5

MALGRE les ondées, il continuait à se dérouler avec puissance, ce défilé paisible et joyeux, tout gonflé d’espoir, sûr de la force du peuple de France, sûr de la victoire finale des patriotes sur les embastilleurs.

Les Algériens défilaient en criant : « Libérez Messali Hadj ! Libérez les détenus politiques français ! »

C’est alors – il était 5 h. 10, au moment de la plus violente averse – que se produisit la monstrueuse provocation policière ordonnée par les mêmes comploteurs, les mêmes fauteurs de guerre qui, pour empêcher la paix, provoquent à Berlin, provoquent en Corée en sabotant, avec Syngman Rhee, les accords d’armistice. Il fallait, à Paris aussi, que le sang coule. Et le sang a coulé !

Au moment où la tête du groupe compact, discipliné, des Algériens, ayant dépassé la tribune, se dirigeait vers l’avenue du Trône pour se disperser et commençait à plier ses banderoles, soudain, des petites rues adjacentes, surgirent des policiers en formations serrées, fonçant sur les Algériens et les frappant à coups de pèlerine et de matraque, s’acharnant particulièrement sur le portrait de Messali Hadj. Les Algériens, d’abord surpris, refluèrent sur la place de la Nation, où leurs camarades continuaient d’avancer. Il y eut un moment de flottement, puis les Algériens, unis aux patriotes français, se ressaisissant, se défendirent avec un admirable courage contre l’incroyable, la brutale agression de la police. Ce fut la bagarre.

Assassins ! Assassins !

Et alors les paisibles Parisiens massés sur les trottoirs ou attablés aux terrasses des cafés entendirent avec horreur des coups de feu. Une salve nourrie. Puis, quelque instants plus tard, une autre. On voyait la fumée des coups de feu au-dessus de la foule, sous la pluie. Alors un énorme cri d’indignation jaillit de milliers de poitrines : « Assassins ! Assassins ! » Et aussi, avec une fureur terrible : « Le fascisme ne passera pas ! » Les Français s’élançaient de partout au côté des Algériens. Bien loin de reculer, la foule accourait, le vaillant peuple de Paris se battait, aux côtés des Algériens, avec eux, contre les embastilleurs, contre les colonialistes oppresseurs de peuples, contre les assassins.

Les personnalités républicaines massées sur la tribune – des hommes et des femmes de toutes opinions, de toutes croyances, unies par le seul amour de la République et des libertés – se dressèrent alors et entonnèrent d’une seule voix, avec l’immense foule des Parisiens, une bouleversante Marseillaise, fervente comme un serment.

Scènes atroces

Des scènes atroces se produisaient. Partout le sang coulait. On soutenait, on relevait, on transportait des dizaines de blessés – à la poitrine, aux jambes, au ventre, à la tête – on les amenait dans les cafés. On appelait des ambulances, des médecins bénévoles se présentaient pour les premiers soins.

Dans un café, on apportait un Algérien blessé par balle dans l’aine, puis un second, un jeune, dont le visage ruisselait de sang, blessé aussi dans la région du cœur. Au bout de quelques instants, il expirait. Ses camarades lui fermèrent les yeux ; les assistants, bouleversés, se découvrirent … tandis qu’on amenait un troisième blessé, à la tête.

Et ainsi, dans tous les cafés, des scènes pareilles se déroulaient, tandis que policiers et C.R.S. continuaient à frapper avec sauvagerie, à tirer, à tuer … La bagarre provoquée et continuée par la police se poursuivait.

Bientôt, du côté de l’avenue du Trône, un car de police, renversé, flambait, d’autres cars avaient leurs vitres brisées. leurs toitures défoncées. Un autre car et une voiture de police brûlaient.

Les C.R.S., ivres de sang, entraient dans les cafés où s’étaient réfugiés des femmes, des enfants effrayés, et ils frappaient, frappaient. Quatre femmes furent ainsi matraquées dans un café. L’une d’elle avait la tête ensanglantée, une autre, blessée aux reins, pleurait de douleur.

Impossible sur le moment de dénombrer les blessés et les morts, il en arrivait de partout. Un groupe d’Algériens, portant sur leurs épaules un camarade ensanglanté de la tête à la ceinture et qui paraissait mort, le présentèrent solennellement à la tribune en criant : « Voyez ce que font les fascistes policiers ! »

On a vu à l’entrée du cours de Vincennes un commissaire divisionnaire, armé d’un revolver, faire feu à trois ou quatre reprises, en visant.

Plusieurs cars de C.R.S. firent irruption sur la place de la Nation, à travers la foule, 80 à l’heure.

Les C.R.S., mitraillette au poing, les agents armés de matraques tentaient de cerner la place de la Nation, s’y lançaient en formations serrées, matraquant, arrêtant les passants.

Une maman et sa petite fille …

A un moment, une maman avec une petite fille traversaient pour s’en aller. Un policier, par derrière, frappa la mère. Puis l’enfant. A coup de matraque. Femme et enfant s’écroulèrent. Après quoi les flics les ramassèrent et les embarquèrent dans un car.

Une femme de Levallois a été sauvagement brutalisée par l’agent 18.570, puis embarquée, elle aussi, avec des dizaines d’autres.

Les C.R.S. se ruent même dans les immeubles, assomment les Algériens qu’ils y découvrent, puis les arrêtent. Ils poursuivent les passants jusque dans les couloirs du métro pour les y matraquer. Mais les employés et le chef de gare leur interdisent courageusement l’accès des quais.

Paris a répondu

Les Parisiens, solidaires des Algériens, mains nues, se sont défendus avec un courage digne de leurs pères de 1789 contre la police fasciste déchaînée. Pendant plus d’une heure, Français et Algériens sont demeurés maîtres de cette place de la Nation où la statue de la République, bras tendus, semblait les encourager, les soutenir de son souffle.

Sept morts sont déjà comptés. Des dizaines de blessés dans presque tous les hôpitaux de Paris. Les maîtres de Washington vont se frotter les mains. Mais Paris, indigné, leur a, sur-le-champ, montré qu’il ne fait pas bon provoquer les fils des vainqueurs de la Bastille, les défenseurs de la liberté, de la paix …


Les élus communistes sont allés s’incliner devant les dépouilles des morts

En fin d’après-midi, une délégation, composée de Florimond Bonte, député, Alban Satragne et Raymond Bossus, conseillers municipaux, s’est rendue dans les différents hôpitaux pour s’incliner devant les dépouilles mortelles et s’enquérir de la santé des blessés.

D’autre part, Lucienne Mazelin et André Voguet se sont rendus à l’hôpital Saint-Louis.


Le honteux communiqué du ministère de l’Intérieur

Hier soir, à 23 h. 30, le ministère de l’Intérieur faisait diffuser un communiqué intitulé : « Après l’émeute de la Nation ».

Martinaud-Déplat baptise « émeute » la charge par la police d’une manifestation pacifique. Martinaud-Déplat ose présenter comme en état de « légitime défense » les policiers qui en tirant tuèrent 7 manifestants et en blessèrent plus de 100 !

Ce n’est pas tout. Il chiffre à 10.000 (au lieu de dizaines de milliers) le nombre de manifestants. Il ose dire que les manifestants algériens formaient « la moitié » du défile et qu’ils étaient les derniers (alors que les quartiers de Paris proprement dit venaient derrière). Il ose dire, souhaitant par là faire entre Français et Algériens une discrimination odieuse, que le groupe des Algériens refusa de se disloquer !…

Le ministre de l’Intérieur portera la honte supplémentaire d’essayer de déguiser, par ses contre-vérités, des événements qui ont eu pour témoin toute la place de la Nation et qui ont plus que jamais soudé l’union entre patriotes, par le sang français et algérien coulant en même temps.


MORTS pour la liberté

A l’heure où nous mettons sous presse, sept morts sont identifiés. Tous ont été tués par les balles de la police.

Amar Tabjadi, 26 ans (décédé à Saint-Louis).

Bacha Abdallah, 25 ans, habitant, 1, rue du Capitaine-Soyer, au Pré-St-Gervais (décédé à l’Hotel-Diez d’une balle à la gorge).

Daoui Larbi, 27 ans, habiterait rue des Ecoles (tué net d’une balle en plein cœur, à la morgue de Tenon).

Dranis Abdelkader, 31 ans, habitant, 29, av. du Bas-Meudon, à Issy-les-Moulineaux (décédé à Saint-Louis).

Isidore Illoul, 20 ans (décédé à Saint-Louis).

Lurot Maurice, 40 ans, trésorier du syndicat des Métaux du 18e, habitant 101, rue du Mont-Cenis (18e), (tué d’une balle au cœur, mort place de la Nation).

Tahar Madjeb, habitant 6, rue Baudot (17e) (décédé à Tenon, blessé de deux balles).

Par ailleurs, on compte, dans les différents hôpitaux, plus d’une centaine de blessés dont certains gravement atteints par balle.

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