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Ernest Raynaud : Donnez-leur un toit et du travail et non des balles !

Editorial d’Ernest Raynaud alias Robert Tréno paru dans Franc-Tireur, 13e année, 15 juillet 1953, p. 1

Les tragiques bagarres de la place de la Nation attirent, une fois de plus, l’attention sur un problème que la France n’a pas encore su résoudre : celui des Nord-Africains de la métropole.

La condition de ces transplantés est la plus ambiguë qui soit. Originaires d’Algérie, ils sont citoyens français ; nés en Tunisie ou au Maroc, ils ont un statut de travailleurs étrangers, encore que leur pays ne soit pas souverain.

La misère, cependant, ne s’arrête pas à ces distinctions subtiles, Elle est leur marâtre commune. Presque toujours sans logis, très souvent sans travail, ces Nord-Africains de la métropole – et particulièrement de Paris – sont réduits à l’état de sous-prolétariat. On peut même dire, pour beaucoup d’entre eux, de parias.

Evidemment, des esprits bornés penseront : « Pourquoi viennent-ils en France ? » ou « Pourquoi ne retournent-ils pas chez eux ? » Questions aussi imprudentes que sottes, car les Nord-Africains pourraient également nous demander ce que nous allons faire dans leur pays à eux.

Ils viennent en France parce que, chez eux – nous parlons des Algériens, qui fournissent le contingent le plus nombreux d’immigrés – ils mourraient de faim. « Chaque année, la population s’y accroît de 130.000 personnes. La récolte par tête de la population musulmane, qui était de 5 quintaux en 1872, n’était plus que de 2 quintaux en 1948. Le salaire recueilli en France, si misérable soit-il, permet à 100.000 familles, là-bas, en Algérie, de ne pas mourir de faim, au sens physiologique du terme. » (1)

Dès l’instant que la France a pris en tutelle ces populations, c’est à elle de leur assurer un sort plus digne et plus humain. Malgré de louables initiatives, elle n’y est pas encore parvenue, il faut bien le dire, et notre pays traîne cette tare indigne d’une démocratie. Comme les Américains ont leurs Porto-Ricains, nous avons nos Nord-Africains !

DU moins, en attendant, pourrait-on éviter des incidents comme ceux d’hier, incidents dont la fréquence commence à devenir inquiétante. Il faudrait savoir si les Nord-Africains ont ou non le droit de manifester. Si on leur dénie ce droit, qu’on le dise nettement, et qu’on explique pourquoi s’il se peut. Si on l’admet, pourquoi ces violences et ces provocations ?

Nous parlions, tout à l’heure, de la condition ambiguë de ces transplantés. Citoyens français depuis 1947, les Algériens jouissent officiellement, comme tels, de tous les droits et prérogatives attachés à cette qualité, ce qui leur donne la faculté de circuler librement entre l’Algérie et la France. Mais leurs droits politiques semblent extraordinairement réduits. Parmi les inscriptions figurant sur les banderoles des manifestants d’hier, il en était une qui rappelait la Déclaration des Droits de l’Homme : « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits ». Il est tout de même abusif que la vieille Charte des libertés françaises ne soit encore qu’une revendication pour une catégorie de citoyens français.

Autrement dit, qu’il y ait en France des citoyens de deuxième zone !

Il faut jouer franchement le jeu avec ces gens-là. Puisqu’on les admet dans la communauté, ne les laissons pas dans l’escalier de service.

Et si leur présence nous gêne, il ne fallait pas aller les chercher.

Cela dit, répétons-le, ce problème appelle surtout une solution sociale.

Qu’on donne aux Nord-Africains un toit et du travail, et non des balles !

R. TRENO.


(1) Renseignements puisés dans une remarquable enquête de notre collaborateur Michel Collinet.

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