Article de Rudolph Prager alias A. Duret paru dans La Vérité, n° 239, 1ère quinzaine d’octobre 1949 ; suivi de Chawki Mostefaï, « En France aussi le colonialisme règne… pour les Nord-Africains », La Vérité, n° 241, 1ère quinzaine de novembre 1949 ; « L’immigration de la faim », La Vérité, n° 242, 2e quinzaine de novembre 1949 ; « Ils sont 3.000 chez Renault », La Vérité, n° 243, 1ère quinzaine de décembre 1949 ; « Un an pour percevoir les allocations familiales », La Vérité, n° 244, 2e quinzaine de décembre 1949 ; « Ils seront forts s’ils sont organisés », La Vérité, n° 246, 2e quinzaine de janvier 1950.

L’IMMONDE campagne contre les Nord-Africains bat son plein dans la grande presse, trouvant des échos jusque dans « Combat » et « Franc-Tireur ». On laisse entendre que la majorité des crimes et des agressions commises en France sont le fait de Nord-Africains, ce qui, entre parenthèses, est formellement démenti par les statistiques elles-mêmes de la Préfecture de police. Ces imputations systématiques ne peuvent avoir qu’un but : provoquer la méfiance, l’hostilité de la population française et justifier à l’avance des mesures de police contre les travailleurs arabes résidant en France.
Aucun prolétaire français ne doit être dupe de cette manœuvre de diversion. La situation des Nord-Africains vivant en France est véritablement tragique. Ils sont près d’un demi-million, Algériens pour la plupart, venus dans la Métropole parce qu’ils sont assurés de crever de faim dans leur pays, eux et leurs familles, à plus ou moins longue échéance. C’est une immigration de la faim, comme l’intitule le professeur Louis Chevallier.
Ils sont condamnés à mourir de faim chez eux parce que les colons leur ont volés leurs terres ; parce que les gros requins de la colonisation dont les propriétés s’étendent sur des dizaines de kilomètres préfèrent produire du vin qui rapporte gros, plutôt que du blé ; parce que pour une population qui augmente chaque année de 150.000 unités en Algérie, il n’y a pas de débouché dans l’industrie par la simple volonté de l’impérialisme français qui interdit la création d’une industrie nationale, préférant exporter les matières premières à l’état brut.
Force leur est donc de laisser leur famille sur place et de venir chercher un emploi en France. Ce qui n’est pas une tâche facile, non plus. Presque tous originaires de la campagne, souvent des régions montagnardes de la Kabylie, ils arrivent dans les grandes villes sans métier, illettrés. Car tant est immense l’œuvre accomplie par la France en Algérie en cent ans, qu’il n’y a d’écoles que pour un enfant à peine sur dix.
Le résultat n’est pas difficile à deviner. Les seuls emplois réservés aux Nord-Africains, à de rares exceptions près, sont les tâches de manœuvres aux besognes les plus insalubres que ce soit dans les mines, la métallurgie ou les produits chimiques. Cependant que la grande majorité reste sans travail. Sur les 120.000 Nord-Africains de la Région Parisienne, un quart seulement ont un emploi.
Comment vivent-ils ? A huit, dix dans une chambre d’hôtel sordide quand ils ne couchent pas sur une table ou une banquette de bistrot.
Quels sont les véritables criminels ? Les quelques Nord-Africains qui, plongés dans le désespoir, se laissent aller à dévaliser des passants le soir, ou le colonialisme qui les accule dans une misère atroce et une situation sans issue ?
Le mouvement ouvrier français ne peut être indifférent devant ce problème angoissant. Il ne doit pas rester inactif plus longtemps. La C.G.T. a pensé souvent à utiliser les Nord-Africains mais rarement à les soutenir efficacement. Elle ne conçoit l’organisation des travailleurs Nord-Africains qu’à la condition quelle soit dirigée et tenue en mains très étroitement par des éléments favorables et tout dévoués au P.C.F.
Les maux dont souffrent les Nord-Africains ne peuvent s’alléger que par l’organisation des Nord-Africains eux-mêmes, en premier lieu. C’est le devoir des travailleurs français d’aider à se former et de soutenir énergiquement une telle organisation. L’expérience et l’attitude raciste de la population européenne en Afrique du Nord incite le travailleur arabe à une méfiance générale de tout ce qui relève de la Métropole. Il appartient aux ouvriers français d’aller au devant de leurs camarades Nord-Africains, d’adopter une attitude fraternelle et solidaire à leur égard en toute occasion, de soutenir activement toutes leurs revendications face au patronat et aux autorités, afin de souder le front de lutte commun contre l’impérialisme.
A. DURET.

Une enquête de « La Vérité »
EN FRANCE AUSSI LE COLONIALISME REGNE… POUR LES NORD-AFRICAINS
Une déclaration de Mostefaï Chawki
(Président de la Fédération de France du M.T.L.D.)
IL faut tout mettre en œuvre pour empêcher que se réalise le plan colonialiste de division entre travailleurs français et nord-africains. Il n’est que trop visible que ton cherche à isoler les Nord-Africains en France de manière à les dresser contre les travailleurs français et vice-versa. Déjà l’on nous signale l’enrôlement de Nord-Africains dans les troupes de choc du R.P.F.
Aux ignobles campagnes de presse xénophobes tendant à faire représenter l’émigration nord-africaine comme le centre nourricier du banditisme et du gangstérisme, « LA VERITE » entend riposter en montrant les conditions d’existence véritable des travailleurs nord-africains dans leur hideuse réalité. Nous indiquerons comment, par système, on en fait des déclassés, comment ont les condamne littéralement à la famine quand on ne les soumet pas à des travaux ruinant à coup sur leur santé à bref délai.
Nous verrons que le colonialisme, le racisme sévissent aussi de belle façon en France même sur cette « terre de liberté ».
Pour débuter notre enquête sur la vie des travailleurs nord-africains en France, nous sommes allés interroger les dirigeants du Mouvement national algérien. Le Docteur Mostefaï Chawki, délégué à l’Assemblée Algérienne, nous remit la déclaration que voici que nous publions bien volontiers.
Nous invitons les travailleurs nord-africains à collaborer à notre enquête en nous faisant part de leurs doléances, des difficultés de toutes sortes auxquelles ils se heurtent à tout instant. Qu’ils nous écrivent nombreux. « La Vérité » leur fera bon accueil, elle sera leur porte-parole.
A. DURET.
NOUS remercions « la Vérité » de nous avoir demandé notre avis sur la situation de nos compatriotes, ainsi que tous les quotidiens ou hebdomadaires qui s’éloignent des chemins faciles de la démagogie anti-coloniale ou anti-arabe, de tenter d’éclairer objectivement une opinion publique dont il faut manifestement rectifier les éléments d’appréciation sur la qualité du Nord-Africain en tant qu’homme ou travailleur, ces éléments étant jusqu’ici fournis soit par une propagande intéressée, soit par un fond de préjugés que la situation et l’aspect généralement misérables de nos compatriotes ont tendance à enraciner.
Mais le Français moyen qui a été abreuvé pendant près de deux mois d’une littérature de dénigrement systématique de l’Algérien qui apparaît dans sa forme générique comme un être essentiellement dégradé, voleur, gangster, agresseur, ce Français moyen s’est-il interrogé : 1° sur l’origine véritable du débordement anti-algérien de la presse réactionnaire ; 2° sur la raison de l’émigration massive ; 3° sur les remèdes éventuels à une situation vraiment dramatique de nos compatriotes ?
Nous voulons bien le croire. Cependant, il nous semble utile d’y ajouter quelques observations.
Une remarque s’est imposée à nous : c’est l’ensemble parfait avec lequel un certain nombre de quotidiens ont exécuté la manœuvre ; il est difficile d’imaginer pareille harmonie sans évoquer l’ombre d’un chef d’orchestre très peu clandestin d’ailleurs. L’occasion était excellente par ailleurs pour créer un sentiment de xénophobie chez l’ouvrier français, plus réceptif à ce genre d’excitation dans la période actuelle de pré-crise. De toutes façons, ce sont là des raisons insuffisantes à nos yeux et indignes de journalistes conscients de leur véritable rôle.
La crise d’hystérie s’est calmée. La campagne de presse s’est apaisée, à part quelques soubresauts. Il serait bon de demander à ces indésirables algériens ce qu’ils sont venus faire. Ils nous répondraient que chez eux, ils sont devenus des parias, des sous-prolétaires, que le colon les paye 90 francs pour une journée de travail de 14 heures, que le gendarme ou le garde-champêtre leur inflige une amende de 10.000 francs parce que leur âne a choisi de marcher à gauche sur une route à peine carrossable, que le caïd leur soutire 5.000 francs pour l’obtention d’une quelconque pièce d’identité, que l’administrateur ou le commissaire de police leur inflige trois mois de prison ferme pour « pensée nuisant à la souveraineté française », qu’il est renvoyé de son administration, de son urine ou de son chantier lorsqu’un mouchard le dénonce comme nationaliste, que … que … enfin que la vie était devenue intenable en Algérie, qu’il était réduit au tragique dilemme de laisser mourir de faim sa famille ou s’expatrier, que le caïd lui facilite toutes démarches pour partir en France, car l’administration veut éloigner le jeune et le mécontent, que la Compagnie d’aviation lui fait payer quelque 5.000 francs pour un voyage Alger-Paris (ne demandons pas à ces Compagnies de quelles aides elles bénéficient pour équilibrer leur budget). qu’arrivé en France le bureau d’embauche lui ferme la porte au nez parce que le patron ne veut pas d’Algériens ; que désespéré, il est harassé, déguenillé, donnant de l’Algérien l’image de la déchéance lui, cet homme qui a cette noble mais vaine prétention de gagner son pain à la force de ses bras, de s’élever au niveau de la dignité humaine par son propre effort, puisque la « mission civilisatrice » de l’impérialisme français a fait de lui ce qu’il est : un homme civilisé « qui vole, qui ment, qui viole et qui tue ».
Cet homme nous dirait encore que, rejeté de partout, il est accosté par quelqu’un qui lui susurre à l’oreille des moyens de se tirer d’affaire, par exemple : fournir des renseignements sur les « nationalistes » et il sera nourri, hébergé dans un des foyers nord-africains, ou s’enrôler dans les groupes de chocs du R.P.F. qui lui procurera travail, argent de poche et revolver pour « taper sur les nationalistes ».
Voilà en quelques mots une esquisse tracée de la situation des nôtres.
Quant aux moyens d’y remédier, nous pensons fermement que, si des mesures sociales et justes étaient appliquées au travailleur nord-africain pouvant alléger sa peine, seule une réforme de structure lui permettant de confectionner sa propre loi, sa propre sécurité sociale, sa propre exploitation de ses richesses et répartition de ses bénéfices, lui assurera les moyens d’une vie réellement digne. »
Mostefaï CHAWKI.

UNE ENQUÊTE DE « LA VERITE »
Chez les travailleurs nord-africains (II)
L’IMMIGRATION DE LA FAIM
NON ! Ce n’est assurément pas par plaisir, ni par goût de l’aventure que les Nord-Africains sont accourus en masse dans la métropole. Le séjour en France n’est point d’un si grand attrait pour eux. Le climat n’y est pas très accueillant et les coutumes, le mode de vie leur sont étrangers. L’atmosphère générale n’est, certes, pas empoisonnée par ce racisme virulent qui sévit en maître dans leur pays, mais sans spécialités, sans formation professionnelle aucune, les poches vides et la grande majorité ne sachant ni lire, ni écrire, ils sont condamnés à végéter dans un état proche de celui des clochards.
On est incapable de saisir l’exacte situation de ces Nord-Africains que nous côtoyons, de comprendre le sens de leur immigration, ses causes, tout son fond de désespoir si l’on ne se rend pas compte de l’état des choses en Afrique du Nord. Force nous est de jeter un rapide coup d’œil de l’autre côté de la Méditerranée.
L’écrasante majorité de l’immigration nord-africaine se compose d’Algériens. Les Marocains constituent une infime minorité. Il n’y a presque pas de Tunisiens.
L’émigration, pour le travailleur, le paysan pauvre d’Algérie, c’est la dernière planche de salut, oh ! combien fragile, pour se sauver de la famine et en sauver les siens. C’est le Professeur Louis Chevallier, spécialiste de la démographie, qui dit de l’immigration nord-africaine qu’elle est « une immigration de la faim ». On ne saurait mieux dire.
Il ne s’agit pas, toutefois, d’en rechercher simplement les causes dans les éléments et dans la nature, comme on se plaît quelquefois à le faire. L’ORGANISATEUR DE LA FAMINE EN ALGERIE, C’EST L’IMPERIALISME FRANCAIS, C’EST LE COLONIALISME. Il est facile de s’en apercevoir pour peu qu’on désire s’en rendre compte.
Il est entendu qu’une notable partie du pays occupée par de hautes montagnes, de hauts plateaux et de vastes steppes, est peu propice à la culture. Mais ces obstacles ne rendent-ils pas d’autant plus impérieux l’utilisation optima, la plus rationnelle des régions fertiles afin de pouvoir faire face à l’augmentation de la population de 120.000 êtres par an ?
Or, tout a été mis en œuvre pour maintenir à un niveau très bas le rendement des terres exploitées par les indigènes. La culture des céréales, base de l’alimentation, au lieu d’être développée, est en continuelle régression depuis bien avant la guerre.
La fameuse œuvre de la colonisation tend en fait à transformer toute la population indigène en un immense sous-prolétariat de manœuvres bons à faire tout et rien, à créer une vaste armée de mendiants perpétuels. Cette œuvre commença, on le sait, par une confiscation massive des terres appartenant aux indigènes, bouleversant tout l’équilibre de la société.
Deux chiffres suffisent pour indiquer la situation des paysans algériens :
– MOINS DE 75.000 EUROPEENS DETIENNENT PLUS DES TROIS DIXIEMES DE LA PROPRIETE FONCIERE ;
– 2.100.000 MUSULMANS SE PARTAGENT LES SEPT DIXIEMES RESTANTS.
La grande majorité des paysans ne possèdent pas plus d’un à trois hectares, d’une terre rocailleuse, mal exposée, qui ne peut les nourrir.
La statistique nous apprend que DEUX MILLIONS DE PETITS PAYSANS NE DETIENNENT QUE 18 % DES TERRES CULTIVEES, alors que 1.175 gros propriétaires POSSEDENT A EUX SEULS 8.7 % DES TERRES.
Faut-il s’étonner, dans ces conditions, que 60 % des familles rurales soient absolument indigentes ? Près de 600.000 familles rurales ne possèdent aucune terre. Le salaire moyen de l’ouvrier agricole est actuellement de 200 à 250 francs par jour sans autre avantage. Chacun sait que cet ouvrier ne travaille pas toute l’année et les prix en Algérie sont très proches de ceux de la métropole (le pain y vaut 40 francs le kilo).
Tenaillées par la faim, les masses rurales prolétarisées affluent vers les villes où règne un chômage endémique. Elles erreront désœuvrées et continueront à souffrir de la faim, car l’impérialisme s’oppose à la création d’une industrie qui, seule, pourrit sortir le pays d’une misère sordide. L’Algérie sans industrie, ce sont des générations sans emploi.
Non, ce n’est pas par plaisir qu’ils sont venus en France, ces immigrés. L’impérialisme a si bien fait les choses qu’ils ne peuvent vivre dans leur pays. Ils y peuvent tout juste creuser leur propre tombe et celle de leur famille, s’il leur en reste la force. Il ne leur reste qu’un choix : s’expatrier ou mourir.
A. DURET.

UNE ENQUÊTE DE « LA VERITE »
Chez les travailleurs nord-africains (III)
Ils sont 3.000 chez Renault
NOUS sommes près de 3.000 dans cette vaste cité qu’est l’usine Renault, m’a dit ce délégué syndical nord-africain avec qui nous avons passé en revue, à la sortie de l’atelier, les maux de ses compatriotes.
Les revendications que nous avons vues là représentent une charte valable, dans l’essentiel, pour l’ensemble des travailleurs nord-africains en France.
J’ai posé la question, à savoir à quelles besognes les Nord-Africains étaient employés dans l’usine, en étant certain de la réponse :
à tous les travaux, les plus pénibles, les plus insalubres, les plus dangereux, que les ouvriers français n’acceptent d’exécuter que s’ils sont poussés à la dernière extrémité.
Et le camarade délégué me donne des exemples très précis.
– Nos compatriotes, on les trouve presque entièrement à la fonderie, au décapage, à la peinture, au ponçage et aux presses. Au total, les Nord-Africains ne sont qu’une petite minorité de 1/12e dans la boîte. Et quand on regarde à la fonderie et aux ateliers des presses, on s’aperçoit qu’ils y sont en majorité ou au moins la moitié de l’effectif.
C’est, paraît-il, parce qu’ils supportent mieux les chaleurs écrasantes de la fonderie. On ne nous dit pas si leurs organismes supportent mieux aussi les émanations de gaz toxiques et les atmosphères irrespirables. L’atelier le plus redouté dans l’usine est celui des grandes presses. Le nombre d’accidents graves, nous dit le délégué, y est le plus élevé :
– Il y a peu de temps, un camarade a eu les deux mains coupées, un autre l’épaule écrasée. Le grand nombre d’accidents dans ce travail périlleux tient à la cadence qui est imposée aux gars. Pour les éviter, il faudrait augmenter les temps. Mais, n’est-ce pas, les bénéfices passent avant tout.
Evidemment, on justifie le maintien des Nord-Africains à ces besognes par leur non qualification. Sur ce point, les délégués ont réclamé à la direction, d’une façon persistante, une formation professionnelle accélérée. Cette réclamation se trouve éludée très régulièrement de la manière que voici : la direction ne voit pas d’inconvénients à admettre aux cours professionnels les Nord-Africains dans les mêmes conditions que les travailleurs français. Du fait que les 9/10e de nos compatriotes, explique le camarade, sont illettrés, tout accès à une formation professionnelle, qui pourrait les sortir de leur condition inférieure, leur est interdit.
– Nous avons demandé l’institution d’un cours spécial pour nos camarades qui tiendrait compte de leur niveau culturel, mais la direction ne veut absolument rien savoir.
Le refus opiniâtre qu’oppose le patronat à une telle revendication s’intègre parfaitement dans la politique impérialiste qui en tend conserver les peuples d’outre-mer en tant que main-d’œuvre à bon marché. Ce qui est un moyen en même temps pour freiner l’accès de ces peuples à leur indépendance.
Une des questions les plus angoissantes, c’est la question du logement. Nous agitons sans arrêt ce problème devant la direction, me dit le délégué.
– On nous a fait un certain nombre de promesses, mais rien n’a été réalisé jusqu’ici. Il nous a été dit en dernier lieu qu’un terrain était sur le point d’être acheté en vue de la construction de logements ou de baraquements.
On ne peut s’imaginer comment logent les Nord-Africains dans la Région Parisienne Lors d’une rafle, l’autre jour dans un café à Meudon, la police a trouvé 30 Arabes couchés dans la cave. Les Nord-Africains sont l’objet d’une exploitation sans vergogne d’un grand nombre de patrons d’hôtels et de cafés qui échafaudent de véritables fortunes sur leur misère. Ils sont entassés par dizaines dans des pièces malsaines, chacun versant un bon prix, quand on ne les fait pas coucher par fournées, les uns le jour et les autres la nuit.
Il y a chez Renault des cas de Nord-Africains sans logis qui ont résolu la question en passant la nuit dans quelque réduit caché de l’usine. Il ne faut pas se demander à quel état physique sont réduits des gens vivant dans de telles conditions.
Une autre revendication capitale des Nord-Africains touche les allocations familiales. Il nous faudra revenir plus en détail sur cette question vitale. Signalons pour aujourd’hui que les familles restées en Algérie perçoivent souvent leurs allocations avec un an, voire deux ans de retard et que cette somme se trouve amputée de diverses façons.
Le camarade délégué me parle encore de la question des congés.
Nous avons obtenu, me dit-il, qu’il nous soit accordé un congé annuel de deux mois pour pouvoir retrouver nos familles. Mais nous voulons obtenir une réduction de 50 % du prix du voyage, sans quoi il est difficile à nos camarades de retourner chez eux. Il ne serait pas difficile d’organiser des voyages groupés bénéficiant d’un tarif réduit et on comprend mal le refus auquel nous nous heurtons.
Il faut dénoncer aussi certaines pratiques qui consistent à déclasser des camarades à leur retour de maladie ou de vacances.
Nous avons encore à aborder dans notre conversation avec le camarade délégué nord-africain diverses questions ayant trait à la représentation et à l’organisation syndicale des Nord-Africains. Nous examinerons en détail ce sujet dans un prochain article après avoir pris là-dessus l’avis d’autres camarades nord-africains.
A. DURET.

UNE ENQUÊTE DE « LA VERITE »
Chez les travailleurs nord-africains (IV)
Un an pour percevoir les allocations familiales
IL nous faut consacrer à la question des allocations familiales la place qu’elle mérite. Elle occupe le premier rang dans les cahiers de revendications des travailleurs nord-africains.
Au surplus, il s’agit d’un domaine où la discrimination raciale de la part d’un organisme d’Etat lui-même est des plus flagrantes. La situation critique et les souffrances des familles algériennes n’ont pas d’autre cause, ici, que l’incurie et la mauvaise volonté de l’administration d’Etat dont c’est la tâche, en principe, d’alléger la misère ouvrière.
Il faut près d’une année, en moyenne, pour que la famille d’un ouvrier algérien perçoive les allocations familiales. Voilà un scandale peu banal qui dure depuis des années et auquel il n’a pas été encore trouvé de remède. Pour la simple raison, sans doute, que l’on ne veut pas y remédier. Il suffirait, pour y mettre bon ordre, d’un tout petit coup de balai en Algérie dans cette administration parasitaire.
Des cas précis ? Un ouvrier algérien travaillant à Unieux, dans la Loire, est avisé, le 16 AVRIL 1949, par la caisse de compensation des allocations familiales d’Alger qu’elle vient de verser à sa femme la somme de 52.305 francs représentant les sommes dues DE JANVIER 1947 à SEPTEMBRE 1948. Voilà une famille qui aura attendu ses allocations pendant deux ans et trois mois.
Des camarades m’affirment qu’il y a des familles qui attendent encore des prestations qui leur sont dues depuis 1946. Le journal « La République Algérienne » affirme à ce sujet :
« Il est de notoriété publique (sans que l’on puisse malheureusement citer les chiffres exacts que l’administration et le gouvernement ne veulent pas révéler) que les dépôts ainsi gelés s’élèvent à plusieurs dizaines de millions. »
Comment qualifier les gens qui gardent par devers eux ces dizaines de millions, sinon de criminels de droit commun, d’affameurs du peuple ?
N’oublions pas que si le travailleur nord-africain s’est expatrié, c’est en général pour sauver sa famille de la famine. Pour pouvoir gagner la métropole, il doit souvent vendre ses bêtes, faire des emprunts. Il laisse donc sa femme, ses enfants dans le plus complet dénuement.
A quoi tient cette lenteur infinie dans les payements ? C’est très simple. On a cru bien faire en constituant des caisses algériennes à Alger, Constantine et Oran. Ces caisses jouent le rôle d’intermédiaires entre les caisses métropolitaines et les familles. Un intermédiaire – comme tout intermédiaire qui se respecte – parfaitement inutile et parasitaire qui prélève pour sa digne besogne d’amortisseur et de ralentisseur 25 % des prestations versées.
Les caisses algériennes doivent juger la situation des ayants droit d’après les pièces justificatives qui leur sont fournies. Chose que feraient au moins aussi bien les caisses métropolitaines elles-mêmes, puisque en fait il n’y a pas d’enquête directe auprès des familles. Ce travail fait dans la métropole échapperait peut-être à l’atmosphère raciste qui imprègne toutes les administrations algériennes.
Dans l’état actuel des choses, une navette aussi passionnante qu’interminable s’établit entre les caisses métropolitaines et les caisses algériennes avant que les familles y voient venir le premier sou.
Echanges de fiches, de bordereaux, de fonds et de comptabilité s’effectuent durant des mois. Les dossiers s’égarent, se retrouvent. Les erreurs se produisent sans arrêt dans ce bel enchevêtrement et chacun se renvoie la balle. Au bout, il y a les inévitables détournements. La famille d’un travailleur de la commune de Lafayette, dans le Constantinois, touche 10.000 francs alors que le montant des allocations envoyées est de 11.678 francs. Le caïd a passé par là.
Pour parfaire ce beau tableau, on n’applique pas aux familles algériennes le régime d’allocations en vigueur en France. Il y a une différence considérable entre les sommes que ces familles touchent en Algérie et celles qu’elles toucheraient si elles résidaient dans la métropole. Or les cotisations perçues par les caisses sur le compte des employeurs sont les mêmes que pour les ouvriers français. La différence entre le montant total des cotisations que perçoivent les caisses et celui des sommes effectivement versées aux familles des Nord-Africains travaillant en France est estimée à un milliard, voire à un milliard et demi.
C’est un vol manifeste des travailleurs nord-africains et de leurs familles. Sont frustrés des enfants déjà sous-alimentés et déficients, qui auraient besoin des plus grands soins. Le vol dans ce cas est « officiel », « légal ». Il se pratique au grand jour.
Les revendications des travailleurs nord-africains sont claires :
1° Versement direct des allocations familiales par les caisses métropolitaines aux familles restées en Algérie, par mandat postal.
2° Application aux familles résidant en Algérie du régime en vigueur en France, sur la base des taux métropolitains pour tout ce qui concerne les allocations familiales et de salaire unique, prénatales et de maternité, ainsi que les primes attribuées à la naissance de chaque nouvel enfant.
A. DURET.

UNE ENQUÊTE DE « LA VERITE »
Chez les travailleurs nord-africains (V) (fin)
ILS SERONT FORTS S’ILS SONT ORGANISES
UNE dernière grande revendication dont nous ont entretenu les travailleurs Nord-Africains concerne l’allocation de chômage. Sur les 120.000 Nord-Africains que compte la Région Parisienne. 40.000 seulement justifient d’un emploi stable et régulier. Les deux tiers vivent donc, sur la loi des statistiques, d’expédients, de petits commerces divers dont la vente de cacahuètes.
Toujours est-il qu’une grande masse de Nord-Africains, souvent arrivés de fraîche date, se trouve absolument dénuée de ressources et subsiste par on ne sait quel miracle. C’est à leur état de misère extrême que ces travailleurs doivent de ne pouvoir bénéficier des allocations de chômage. Comment pourraient-ils justifier de l’année de séjour obligatoire dans la commune alors qu’ils n’ont où se loger et dorment au petit bonheur sur une table de café, dans une cave ou chez un compatriote plus fortuné ? Quelquefois ils ne sont en France que depuis quelques mois. Et il est souvent impossible de faire état du certificat de travail récent qu’exige la réglementation.
Il est bien certain que les critères normaux sont absurdes quand il s’agit des Nord-Africains dont les conditions de vie sont précisément « anormales ». A moins de leur rendre délibérément inaccessibles les allocations de chômage, il faut en aménager la réglementation en commençant par éliminer l’impossible séjour d’un an dans la même commune.
Nous avons passé en revue les principales revendications de l’émigration nord-africaine. Sans doute pourrions-nous en allonger encore la liste. Mais il ne suffit pas de formuler des revendications pour qu’elles se trouvent satisfaites. L’affreuse misère des travailleurs nord-africains est inhérente au système colonialiste, au régime de l’impérialisme. Leur condition ne se trouvera pas allégée par quelques mesures de charité.
L’immigration de la faim ne se terminera qu’avec l’oppression de l’Algérie par l’impérialisme français, La lutte pour l’amélioration des conditions de vie de l’émigration nord-africaine doit s’insérer dans le grand combat anti-impérialiste pour l’indépendance.
Avant tout, les travailleurs nord-africains doivent compter sur leur propre force. Le poids de cette force est fonction de son organisation. Inorganisés, les travailleurs nord-africains ne peuvent rien ; organisés, ils peuvent bien des choses. Cette organisation, c’est au mouvement national qu’il appartient de la promouvoir, à notre sens, dans son intérêt comme dans celui des masses : dans l’intérêt du combat anti-impérialiste en un mot.
L’organisation doit partir, à notre avis, de Commissions nord-africaines créées dans les usines, entreprises, mines, etc … Ces Commissions, pour être efficaces, doivent se placer dans les cadres du mouvement syndical français le plus puissant, c’est-à-dire la C.G.T. Ils s’y substitueront aux Commissions du même nom déjà constituées qui sont une création spécifiquement bureaucratique sans attaches ni contrôle de la grande masse.
L’affiliation à la C.G.T. ne peut avoir pour sens une soumission et encore moins une approbation de la politique menée par ses dirigeants. Sa seule justification est la nécessité d’une étroite liaison avec le prolétariat français. Des Commissions nord africaines, s’appuyant sur la grande masse de leurs compatriotes, loin d’être des jouets aux mains de la bureaucratie syndicale, seront en mesure de faire prévaloir leurs intérêts et leurs points de vues en dépit des obstructions possibles ou probables de la part des dirigeants staliniens ou autres.
Il n’est pas douteux que de telles Commissions seront d’un grand poids dans bien des entreprises, dans bien des localités et des régions. Elles imposeront le respect des travailleurs nord-africains. Elles rendront plus cohérents leurs rangs. Elles seront une école de formation syndicale et politique inappréciable. Elles décupleront les forces du mouvement national lui-même et donneront à la lutte anti-impérialiste une puissance incomparable.
A. DURET.
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